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Préambule

Je tiens à préciser 2 choses : une, j’adore ces lunettes et j’ai hâte de pouvoir les essayer ; deux, cet article au ton parano a pour objectif de lancer le débat sur les conséquences de l’utilisation de ces lunettes par le grand public.

Fonctionnalités des lunettes

En préambule, je vais résumer les possibilités offertes par ces lunettes (il faudrait d’ailleurs l’écrire au singulier, car la version actuelle n’a qu’un seul verre, devant l’oeil droit). Ces lunettes ont la particularité de pouvoir afficher des informations issues d’Internet en surimpression de la vue classique (principe de la réalité augmentée), ainsi que de capturer des photos, des vidéos ou de l’audio.

L’appareil intègre de nombreux capteurs, dont un appareil photo/caméra, 1 haut-parleur, 2 microphones, une antenne WiFi, un accéléromètre, un gyroscope et un compas. Une connexion Bluetooth permet de profiter de la connexion Internet d’un smartphone ou d’une tablette, si aucun hotspot WiFi n’est disponible.

Devant l’oeil droit, un mini écran affiche en sur-impression des images réelles toutes sortes d’informations, soit en réponse à une demande de l’utilisateur, soit sans même qu’il ait demandé quoi que ce soit (principe de Google Now). Concrètement, pour utiliser ces lunettes, vous n’avez rien à faire, ou bien simplement leur parler !

Vue de la caméra et de l’écran translucide des lunettes Google Glass

Pour l’instant (mars 2013), ces lunettes n’existent qu’en une seule version (Explorer Edition), le verre spécial étant monté du côté droit d’une monture spécifique. En plus des développeurs, certains ont pu être sélectionnés pour acheter les premiers modèles dès 2013. Mais Google a déjà précisé qu’il était prévu que Glass soit disponible sur des lunettes de vue ou des lunettes de soleil : autant dire qu’il pourra alors y avoir une adoption massive par le grand public.

Pour une présentation plus détaillée, consultez la fiche de mon encyclopédie des produits/services Google.

Ce qui pose vraiment problème avec les Google Glass

Le reste de cet article est largement inspiré de celui de Mark Hurst, publié le 28/02/2013, que je vous encourage bien entendu à lire (en anglais).

Pour résumer le paragraphe précédent, je pourrais dire que ça y est : le futur est arrivé ! Merci Google de nous l’avoir « offert » ! En effet, nous avons désormais la possibilité de combiner totalement notre vie réelle et notre vie virtuelle, de capturer chaque instant de notre vie et de le conserver précieusement – éternellement – pour consultation ultérieure et partage avec des amis ou tous publics.

Vous commencez sans doute à réaliser le problème majeur qui se pose pour l’utilisateur des lunettes : il risque de ne plus pouvoir dissocier sa vie réelle (personnelle, professionnelle, privée et publique) de l’univers Google. En effet, si vous utilisez ces lunettes au quotidien (on peut vous comprendre tellement leurs fonctionnalités sont attirantes), Google peut savoir où vous allez, qui vous rencontrez, ce que vous dites, vos marques et produits préférés, celles et ceux que vous détestez, bref vos habitudes, avec qui vous partagez ces éléments de votre vie, etc.

Bien sûr, dans ses conditions générales d’utilisation, Google se défendra de pouvoir faire tout ça, mais le croirez-vous ?

Les lunettes Google feront-elles de votre vie un enfer ?

On va dire que vous avez confiance en Google, mais que se passera-t-il le jour – inévitable ! – où vous vous ferez pirater vos lunettes ? Un inconnu, une entreprise, un gouvernement pourrait réussir à prendre le contrôle de vos lunettes à distance. Sans que vous vous en rendiez compte ! Je vous laisse imaginer ce qui pourrait arriver : perte de confidentialité, transmission d’informations compromettantes à des tiers, fliquage de votre vie entière…

Mais ce n’est pas ça le principal problème des lunettes Google. Pourtant c’est déjà peu rassurant…

La problématique essentielle n’est pas ce qui concerne l’utilisateur des lunettes, mais toutes les autres personnes. Toutes celles et ceux que croise chaque utilisateur des lunettes. C’est-à-dire n’importe qui, y compris vous et moi. Mark Hurst a été inspiré par ce tweet daté du 24/02/2013, disant à peu près « Il y a un enfant qui porte les lunettes Google, dans le restaurant qui était, jusqu’à cet instant, mon préféré ».

Imaginez que vous soyez dans une discussion en tête à tête avec une personne portant les fameuses lunettes. Comment serez-vous certain qu’il/elle vous écoute vraiment ? Son attention pourra être détournée car à tout instant, il peut recevoir une notification, un SMS, consulter Internet ou pire : vous prendre en photo, vous enregistrer ou vous filmer, puis le publier sur Internet. D’ailleurs, le saurez-vous vraiment s’il vous filme ? Quand bien même, lui arracherez-vous ses lunettes ? Et s’il s’agit de ses lunettes de vue ? Sans doute ne pourrez-vous pas faire grand chose.

Vous allez rétorquer que vous ne connaissez personne qui porte ces lunettes. Mais si dans le bus que vous prenez, parmi les 50 personnes présentes, un voyageur filme les autres avec ses lunettes Google ? Cette vidéo sera enregistrée sur les serveurs de Google (le fameux cloud), non pas pour quelques jours comme c’est le cas avec les caméras de surveillance qui vous filment dans la rue, mais pour l’éternité. Cette vidéo peut être rendue publique sur Internet (par exemple YouTube) visible de tous.

Cette vidéo n’est pas un simple fichier sur un disque dur d’une société de surveillance. Elle est gérée par Google, qui a d’immenses possibilités d’analyse. Par exemple, Google maîtrisant la reconnaissance faciale (on l’a vu dans Picasa et dans Google Images, pour n’en citer que deux), il est possible de tenter de reconnaître les visages des personnes situées dans ce bus, ce jour-là à cet endroit-là. Il ne vous a pas échappé que Google a créé son propre réseau social, Google+. Depuis ses débuts, certains ne le présentent d’ailleurs pas comme un réseau social (tel que Facebook) mais comme un système d’identification des utilisateurs de Google. Mais comme Facebook, Google+ demande à ses utilisateurs d’utiliser leur vraie identité. Et pour la photo du profil de chaque utilisateur, devinez quoi : Google impose qu’elle contienne un visage. Google peut donc sans aucun problème relier chaque visage filmé dans le bus à un utilisateur de Google. Et donc à toute sa vie en ligne (en tout cas celle faite avec Google) : les requêtes effectuées, les sites consultés, les amis, les lieux habituels, les articles rédigés, etc. (la liste est très longue).

Et si je vous dis que Mark Zuckerberg s’est déclaré très intéressé par les lunettes de Google, pour lesquelles Facebook développera des applications ? Facebook dispose également de technologies de reconnaissance du visage (entre autres depuis le rachat du spécialiste mondial Face.com), ce qui ouvrira des possibilités gigantesques dans ce réseau de plus d’un milliard d’individus…

Toutes les conversations enregistrées dans le bus pourront être analysées par Google pour les transcrire en texte. Ainsi, Google pourrait stocker ce que vous avez dit dans un espace public mais dans ce qui était une conversation privée. Et si tout cela est accessible par une simple recherche Google ?

Allons un peu plus loin dans les projections. Jusque-là j’essaie de décrire ce qui peut se passer quand l’utilisateur des lunettes décide de vous filmer ou de vous enregistrer. Mais s’il n’était pas à l’origine de cet enregistrement ? Si c’était Google qui déclenchait la capture vidéo ? Ou bien une demande d’un gouvernement (ou de la NSA…) ?

Rappelez-vous les protestations (souvent légitimes) au moment de la sortie de Google Street View. Chaque personne utilisant les lunettes Google sera comme une des voitures Google qui photographie les rues. S’il y a des millions de Google Glass utilisées quotidiennement, rendez-vous compte de la masse d’informations potentiellement accessible à Google… N’est-ce pas là une version de Big Brother plus belle (effrayante) que ce qu’on a pu imaginer jusque-là ? Ce n’est plus un gouvernement qui nous épie, c’est chacun de nous qui devient Big Brother.

Concrètement, dès aujourd’hui (ce n’est pas de la science fiction), à tout moment et où que vous alliez, il est possible que vous croisiez un utilisateur de ces lunettes Google. S’il vous filme, vous prend en photo ou vous enregistre (sans que vous vous en rendiez forcément compte), les données peuvent être enregistrées sur les serveurs de Google pour tout le reste de votre vie.

Et si la prochaine version de Google Glass était intégrée dans des lentilles de contact ? Sachez que Babak Parviz, directeur de l’équipe Project Glass et membre de l’Université de Washington, a déjà réussi à construire une lentille de contact intégrant de l’électronique (regardez ce qu’il disait en 2009 sur un plateau). Il faudra peut-être attendre un peu plus, mais on peut parier que cette technologie sera disponible dans un futur proche pour le grand public. Dans ce cas, autant dire que vous ne pourrez plus savoir si les personnes autour de vous exploitent les merveilleuses possibilités offertes par Google Glass !

Les aspects psychologiques

Comme si tout cela ne suffisait pas, je vois d’autres problèmes majeurs induits par ces lunettes. Cette fois-ci, je m’écarte de l’article de Mark Hurst pour revenir aux conséquences sur le comportement de l’utilisateur des lunettes. Figurez-vous qu’à passer vos journées avec ces lunettes, vous risquez de ne plus pouvoir vous passer de ce monde virtuel à portée… d’oeil. Mark parlait des problèmes de distraction, mais certains objecteront que c’est l’inverse, les lunettes vous rendent plus libres et plus proches du monde réel que quand vous marchez dans la rue les yeux rivés sur votre smartphone. Si vous êtes en permanence distrait, comment allez-vous réussir à vous concentrer ? Pensez à vos enfants qui n’auront pas connu un monde sans ces lunettes !

Pourtant, au-delà de ce problème de distraction, je me dis que vous risquez de préférer le monde virtuel au monde réel ! Si le monde réel devient synonyme d’ennui, car inférieur à un monde réel combiné au monde réel, ne croyez-vous pas que les conséquences sociétales seront majeures ? Vous ne regarderez plus le paysage qui s’offre à vos yeux, vous serez en train de lire vos mails ou de regarder une vidéo. Vous n’écouterez plus celui qui vous parle, vous serez en train de jouer avec vos lunettes. Les élèves trouveront là un moyen inédit pour ne plus s’embêter à écouter leur professeur à l’école ; je préfère ne pas imaginer ce qui pourraient leur arriver aux profs, face à une armée d’élèves qui les filment à leur insu, les prennent en photo ou les enregistrent, avant d’en rire une fois partagé sur Facebook ! Ou bien ces élèves qui pourront tricher facilement pendant les examens. Le speed dating deviendra-t-il du Googling en temps réel ? Et les réunions avec vos collègues et chefs ?

Imaginez le choc de génération quand vos enfants auront grandi avec ! Car je pense que d’ici quelques années, on se demandera comment on pouvait vivre sans lunettes connectées, exactement comme on s’est demandé comment on pouvait vivre sans téléphone mobile.

Quel impact sur la santé ?

Il y a également des questions concernant la santé : quel impact de tous les capteurs et autres antennes WiFi, GPS et Bluetooth ? Quel impact sur la vue et les changements incessants d’accommodation de l’oeil droit ? quel impact d’un effort asymétrique des yeux (et du cerveau) ?

Quel cadre législatif ?

Il est évident que tous ces usages concernent directement la CNIL et même la loi, qui va devoir se pencher sérieusement sur la question. Je me demande bien comment on va réellement pouvoir définir un cadre législatif applicable…

Votre avis !

Voilà, j’espère ne pas vous avoir trop fait peur… Alors, les lunettes de Google : d’enfer ou un enfer ? A vous la parole !

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