Dans une réunion tenue le 6 décembre dans la province Cibitoke avec des administrateurs communaux de plusieurs provinces, Thaddée Ndikumana, ministre de la Fonction publique, a signifié aux administrateurs communaux qu’ils sont désormais les employeurs principaux de la commune. Une décision inquiétante pour les syndicats.
Par Alphonse Yikeze et Rénovat Ndabashinze
« Tout employé de l’Etat, qu’il soit sous-contrat ou sous-statut, qui œuvre au sein de la commune, toi, l’administrateur, tu es tenu de savoir la tâche qu’il exerce dont il doit te dresser un rapport », estime le ministre de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi.
Selon le ministre Ndikumana, l’employeur principal au sein de la commune, c’est l’administrateur. « Notre but est que tout employé de l’Etat, qu’il soit sous-contrat ou sous-statut, soit soumis à l’autorité de la commune ».
Dans le but de rendre effective la présence de la Fonction publique au sein de la commune, le ministre signifie aux administrateurs communaux qu’ils seront les employeurs des employés issus de tous les ministères.
D’après M. Ndikumana, les administrateurs communaux devront également s’enquérir de la présence des fonctionnaires étatiques sur leur lieu de travail (Présence notamment pour le salut du drapeau).
Pour le nouveau ministre du Travail et de l’Emploi, enseignants, médecins, moniteurs agricoles … tous devront rendre des comptes aux administrateurs communaux et seront rémunérés sur base de leurs performances.
Ce n’est pas tout. Les employés de l’Etat exerçant au sein de la commune devront, chacun, remettre un rapport de leur activité à l’administrateur communal qui le transmet à son tour au gouverneur. Ce dernier se chargeant ensuite de transmettre ledit rapport au ministre de tutelle de l’employé.
Selon le ministre Thaddée Ndikumana, le monopole des autorités locales dans le contrôle des fonctionnaires de l’Etat fait appel à la bonne gouvernance. « Certains s’interrogent si tel enseignant, propriétaire d’une épicerie, ayant abandonné sa progéniture, se présente à son lieu de travail aux heures requises ? C’est cela aussi la bonne gouvernance ».
Vient ensuite la gestion des performances. « Si au niveau communal, tous les établissements ont moins de 50% de moyenne, il y aurait lieu de se demander si l’administrateur communal a saisi ce qu’est la gestion des performances », s’interroge le ministre avant de poursuivre. « Le titulaire médical dont les patients se plaignent, c’est quoi sa performance ? Qu’en est-il de tel vétérinaire dont les vaches dont il a la charge sont très mal en point, une carence en termes de remèdes des cultures, donc, en gros, s’enquérir du travail effectué par les employés de l’Etat, c’est cela l’indice de performance ».
Pour Isaac Nyandwi, administrateur de la commune Rugazi (Province Bubanza), les annonces du ministre Ndikumana vont renforcer son pouvoir à la tête de la commune. « Le développement de la commune est basé sur l’ensemble des activités qui s’y opèrent. Ces nouvelles dispositions nous permettront d’assurer le contrôle absolu des tâches exercées dans tous les domaines ».
Quant à l’administrateur de la commune Gihanga, Léopold Ndayisaba, il estime que ces nouvelles prérogatives lui permettront de mettre en œuvre les projets communaux et le programme national de développement. « Nous allons aussitôt tenir des réunions avec les représentants des différents services pour établir les dysfonctionnements, s’il y en a et arriver par la suite à des résultats ».
>>Réactions
Pour Mélance Hakizimana, vice-président de la Confédération syndicale du Burundi (COSYBU), la communication du ministre est très ambiguë. En effet, explique-t-il, la commune est une entité administrative relevant du ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique.
Ce syndicaliste dit ne pas comprendre comment l’administrateur va évaluer tous les fonctionnaires résidant dans sa commune. « Certains ne relèvent même pas de son ministère.Professionnellement, il est impossible d’évaluer quelqu’un dont tu n’assures pas le suivi au quotidien. »
Au cas où le ministère voudrait faire ce qu’on appelle ailleurs la fonction publique communale, il trouve que ce n’est pas possible au Burundi. « La superficie du pays ne le permet pas. Le Burundi n’est pas un pays fédéré. »Il explique que dans les pays comme la RDC, la Tanzanie, on peut décentraliser plusieurs ministères jusqu’au niveau communal.
M. Hakizimana indique qu’avec ce discours du ministre, le fonctionnaire va désormais se retrouver avec une double hiérarchie : « Son supérieur hiérarchique dans le cadre professionnel et l’administrateur. Il sera contraint de donner un rapport à ces deux niveaux. »
Ainsi, il estime que cette question doit passer au niveau du cadre du dialogue social entre les partenaires sociaux. « Et ce, pour voir si l’ambition du ministre est réaliste, réalisable ou pas. »
Il rappelle d’ailleurs que le poste d’administrateur est politique : « Dans sa cotation, il risque de se pencher seulement sur des critères politiques. Or, la cotation n’a rien à avoir avec la politique. Il sera alors très difficile à tel ou tel autre administrateur d’être neutre professionnellement. »
Selon lui, la tâche qui revient à l’administrateur communal est de coordonner seulement l’ensemble des services de sa commune. « On échange sur le fonctionnement. S’il y a des recommandations, elles passent par là. Sinon, instituer l’administrateur comme chef hiérarchique de tous les services de sa commune c’est pratiquement impossible. »
Pour M. Hakizimana, si le pays a pris le chemin du dialogue social, cette question doit être débattue afin d’éviter de mauvaises interprétations, des polémiques. « Bref, la loi ne prévoit nulle part que l’administrateur est le chef hiérarchique de l’ensemble des fonctionnaires. »
Pour le président de la Fédération nationale des Syndicats du Secteur de l’Enseignement et de l’Education au Burundi (FNSSEEB), l’annonce du ministre consacre une violation de la loi parce que, dit-il, chaque secteur professionnel a sa propre organisation. Et de s’inscrire en faux contre le statut d’employeur principal dévolu désormais à l’administrateur communal. « C’est vrai, l’administrateur communal a la responsabilité de veiller au bien-être des citoyens, de veiller à la scolarisation de tous les enfants en âge de l’être, de favoriser l’accès aux soins pour tous, mais cela ne signifie pas que l’administrateur devient l’employeur principal »
Le syndicaliste tient à rappeler que dans le secteur de l’enseignement, il y a les directeurs communaux de l’Enseignement et des directeurs provinciaux de l’Enseignement. « Ce sont eux qui doivent assurer le contrôle et l’évaluation des enseignants : performances professionnelles, aptitudes intellectuelles … »
Antoine Manuma juge qu’avec les déclarations du ministre, l’administrateur communal va se retrouver avec des prérogatives qui vont au-delà de ce que prévoit la loi communale. « Il y a un risque énorme d’ingérence à l’endroit des représentants de l’Etat dans différents secteurs ».
Selon le président de la FNSSEEB, l’administrateur et le conseil communal ont la responsabilité de fournir les bancs pupitres « dont manquent tant d’écoles et la construction de salles de classe ».
Et de demander au ministre de se concerter avec les représentants syndicaux. « Cela sera l’occasion pour lui de se renseigner sur le fonctionnement de différents services ». De même, d’après lui, les administrateurs communaux doivent échanger avec les représentants syndicaux pour déterminer les prérogatives de chacun.
Enfin, M. Manuma appelle à la fin du chevauchement de différents ministères. « Tout ce qui touche au domaine de l’Enseignement est du ressort du ministère de l’Education. De même, tout ce qui concerne les fonctionnaires relève du ministère de la Fonction publique … »
Pour l’expert en éducation, l’annonce du ministre Thaddée Ndikumana va entraîner une politisation du secteur de l’enseignement. « Il y a des conséquences au niveau du recrutement du personnel enseignant où l’administrateur communal fera tout pour imposer des membres du parti au pouvoir »
Et de pointer du doigt la supposée mise à l’écart du ministre de l’Education dans ces prises de décision. « Les enseignants sont sous la tutelle du ministère de l’Education nationale. Son silence vaut soit complicité ou impuissance. Il est carrément humilié dans cette histoire »
Le docteur en mathématiques s’inquiète également d’un risque d’anarchie. « Les employés du ministère de l’Education nationale vont se retrouver ballotés entre leur ministère de tutelle et le ministère de l’Intérieur dont dépendent les administrateurs communaux ».Pour Libérat Ntibashirakandi, cette situation va participer à une démotivation des enseignants et, par conséquent, à une dégradation de la qualité de l’Enseignement.
Le professeur d’université appelle le chef de l’Etat à ramener l’ordre dans le Gouvernement. « Il doit rappeler les textes qui précisent le rôle de chaque ministère pour mettre un terme aux chevauchements auxquels on assiste »
Pour des professionnels de la loi, le discours du ministre de la Fonction publique Dr Thaddée Ndikumana mérite des éclaircissements. Selon eux, une mauvaise interprétation des propos du ministre est porteuse de graves conséquences. Tatien Sibomana, juriste, explique.
Comment interprétez-vous le discours du ministre de la Fonction publique à l’endroit des administrateurs communaux ?
Les non-initiés du droit administratif pourraient dire que le ministre a raison. Parce qu’effectivement, l’administrateur communal est l’autorité communale qui remplace le pouvoir exécutif dans cette circonscription.
Mais, pour quelqu’un qui est plus avisé, c’est un discours qui peut causer beaucoup de préjudices au fonctionnement même des services publics.
C’est-à-dire ?
Je dis cette assertion dans deux textes essentiels à savoir : la Constitution de la République du Burundi du 7 juin 2018 et dans une loi organique N°1/04 du 19 février 2020 portant modifications de certaines dispositions de la loi N°1/33 du 28 novembre 2014 portant organisation de l’administration communale.
Que disent-ils ?
Dans l’article 18, alinéa 2, de la Constitution de la République du Burundi, il est stipulé que le gouvernement respecte la séparation des pouvoirs, la primauté du droit et les principes de bonne gouvernance et de transparence dans la conduite des affaires publiques.
A l’article 149 de la même Constitution, il est clairement dit qu’une loi précise la distinction entre les postes de carrières ou postes techniques et les postes politiques.A l’article 33 de la même Constitution, il est dit que, à l’alinéa 1, le pouvoir exécutif est délégué au niveau provincial à un gouverneur de province chargé de coordonner les services de l’administration œuvrant dans la province.
Ce qui signifie que dans une entité provinciale, il y a beaucoup de services publics, y compris les services judiciaires. Mais, en termes de coordination, le gouverneur de province représentant le Chef de l’Etat dans la province, il peut les convoquer dans une rencontre pour voir comment les services sont rendus, dans une réunion de sécurité, etc. Mais, cela ne signifie pas que c’est lui qui les gère, les dirige. Il coordonne seulement.
Il est clairement dit que, à l’article 17 de la loi organique précitée, l’administrateur communal dirige et administre la commune. Il coordonne toutes les activités œuvrant dans sa commune y compris celles des services déconcentrés.
Est-ce qu’il n’y a pas risque de mauvaise interprétation de ce discours du ministre ?
Si le ministre dit cela devant ces administrateurs dont certains n’ont pas probablement le niveau requis pour l’appréhender à leur juste valeur certaines résolutions et recommandations des ministres, cela peut être interprété de plusieurs manières.
Par exemple ?
Les uns peuvent croire que, désormais, l’administrateur contrôle le président du tribunal de résidence, le médecin communal, etc. Or, il coordonne seulement. Il ne gère pas les chefs de service. Il ne les cote pas. Ils ont d’autres autorités hiérarchiques, ministère par ministère, organisation par organisation, etc.
Que peuvent être les conséquences ?
Ce discours peut prêter à beaucoup de confusion et d’interprétations. Un administrateur peut être exposé à toutes sortes d’abus du pouvoir. Ce qui entraîne le chambardement et la politisation à outrance des services publics. Pour rappel, il fut un temps où des gouverneurs déclaraient tel ou tel autre individu persona non grata dans leur circonscription. On peut facilement retourner dans ce genre de situation.
L’indépendance de l’appareil judiciaire sera très affectée si les administrateurs interprètent mal les propos du ministre. Ils vont chercher à dicter des ordres aux présidents des tribunaux alors que la Constitution est très claire : le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du législatif et de l’exécutif.
A l’alinéa 2 de l’article 2014, il est dit que dans l’exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu’à la Constitution et à la loi. Or, avec ce discours du ministre, l’administrateur peut se dire, finalement, cette loi m’avait privé des prérogatives de faire main basse sur l’appareil judiciaire. Bref, le principe sacro-saint de la démocratie consacrant la séparation des pouvoirs va voler en éclat.
Si les rapports seront désormais transmis aux gouverneurs par les administrateurs, à quoi serviront alors les directeurs communaux de l’enseignement, de la santé, etc. ?
L’administrateur a le droit d’être informé de la situation des services de sa circonscription. Mais cela ne signifie pas en aucun cas qu’il reçoit les rapports. Il peut les recevoir en copies.
Que faire alors ?
Il faut que le ministre puisse clarifier son discours. Car, l’administrateur n’a pas l’autorité hiérarchique directe sur les Chefs de service, encore moins, sur le pouvoir judiciaire. Il faut lire les lois qui existent et qui clarifient clairement les tâches de l’administrateur, ses pouvoirs et ses compétences.
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