Le chef d’Etata invectivé Esdras Ndikumana,journaliste de RFI et de l’AFP. Il l’accuse, entre autres, d’exagérer la gravité de la propagation de la pandémie du Covid-19 et de nourrir des sentiments hostiles à son égard.

Cela a l’air d’un lynchage public, répétitif. Et le président burundais n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il semble qu’il n’ait pas toléré les articles du journaliste consacrés à la gestion de la pandémie du Covid-19. A l’occasion de sa rencontre avec des jeunes entrepreneurs au Stade Intwari, mardi le 31 août, Evariste Ndayishimiye a publiquement accusé le journaliste de RFI (Radio France Internationale) et de l’AFP (Agence France Presse) de verser dans l’apologie de la pauvreté du Burundi.

« Malheureusement, il y a des journalistes qui ne font que promouvoir la pauvreté dans le pays. Il y en a un (Esdras Ndikumana de RFI, NDLR) qui dit toujours que la Covid-19 fait rage au Burundi, que tous les hôpitaux du Burundi sont pleins de malades de covid-19 et que la pandémie emporte plusieurs vies humaines. Est-ce qu’il n’est pas promoteur de la pauvreté ? », a indiqué le numéro Un burundais, avant d’ironiser, sarcastique: « Mais il se dit journaliste international. Il est Burundais. Comment se fait-il qu’on haïsse le pays où l’on a grandi ? »

Aux dires du chef de l’Etat, Esdras Ndikumana est le seul journaliste qui continue de ternir l’image du Burundi. Le fondateur du journal Iwacu, Antoine Kaburahe se serait « ravisé. »

« Il ne nous restait que deux journalistes qui détruisent notre pays. Mais un s’est ravisé. Il a reçu notre message. Dites-lui qu’il a bien fait de se ressaisir. On m’a confié que Kaburahe a dit qu’il ne le fera plus. Dites-lui que c’est bien. Dites-lui de dire aussi à son ami de se raviser. Le président est mortel, mais le pays restera éternellement ».

Bis repetita

Ce n’est pas la première fois que le président Ndayishimiye vilipende le journaliste Esdras Ndikumana. Le 19 août dernier, le journaliste a également été la cible d’une diatribe du patron de l’exécutif à l’occasion d’une soirée de clôture de la semaine dédiée à la diaspora burundaise. Là aussi, il l’a qualifié d’oiseau de mauvais augure qui spécule et gonfle les chiffres des cas de Covid-19 au Burundi. « Il est le seul journaliste burundais qui rêve de voir le Burundi sombrer dans l’abîme, de voir les Burundais mourir. Il a très envie de voir le Covid-19 nous assiéger. Allez lui dire ceci: continue de leur souhaiter le malheur, mais Dieu est vivant ».

Pour rappel, Esdras Ndikumana vit en exil depuis 2015. Alors correspondant de RFI et AFP au Burundi, il est arrêté puis tabassé le 2 août par des agents du SNR (Service National de Renseignement). Ils lui reprochent de s’être rendu sur le lieu de l’attaque armée qui a coûté la vie au général Adolphe Nshimirimana, ancien patron des renseignements burundais. Il recevra en janvier 2016, le prix de la presse diplomatique francophone, des mains du ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius.

Le président Ndayishimiye s’en prend à un journaliste de RFI

Elan de solidarité

Plusieurs professionnels des médias se disent choqués par les propos du président burundais et évoquent leur soutien sur les réseaux sociaux. « Plein soutien à notre collègue Esdras Ndikumana @rutwesdras après les 2 prises à partie du PR Evariste Ndayishimyie @GeneralNeva » peut-on lire sur le compte Twitter de Sonia Rolley, journaliste de RFI.

Certains journalistes sur place se disent inquiets : « C’est un message subliminal qui nous ait adressé. Aujourd’hui c’est notre confrère Esdras qui est ciblé et heureusement il est loin des frontières burundaises. Demain, il pourra s’agir d’un journaliste qui vit au Burundi. Et là ce sera plus dangereux.»


>>Réactions

RFI apporte son soutien à Esdras Ndikumana

Dans un communiqué interne de ce jeudi, la Radio France Internationale proteste contre les accusations et les menaces visant son ancien correspondant au Burundi. Elle dit avoir appris avec stupéfaction les attaques verbales successives lancées par le président du Burundi contre Esdras Ndikumana. Elle qualifie ces accusations d’infondées et d’absurdes. La RFI apporte son soutien à son journaliste rappelant que depuis le début de la pandémie, l’ensemble de sa rédaction rend compte de la situation sanitaire au Burundi, comme dans tous les pays du monde avec professionnalisme et la plus grande objectivité en se fondant sur des témoignages recoupés et vérifiés.

Arnaud Froger condamne les propos ‘’graves, dangereux et virulents’’ du président

Le responsable du bureau Afrique de RSF se dit choqué et condamne les propos « graves, dangereux et virulents » du président Ndayishimiye contre un journaliste dont la crédibilité et le professionnalisme n’est plus à remettre en cause.

« Prendre à partie un journaliste pour ses révélations sur la résurgence de l’épidémie du Covid-19 dans un contexte où les autorités ne communiquent pas assez sur la gestion de la crise sanitaire c’est porter atteinte à la liberté de la presse».

Pour Arnaud Froger, c’est un triste rappel de la fragilité de la liberté de la presse, d’expression et le droit à l’information. C’est un constat dangereux et très regrettable pour un président qui pourtant avait présenté des garanties en faveur de la liberté de la presse pour finalement prendre à partie un journaliste qui a été torturé par les agents du service de renseignement et a été contraint à l’exil.

Au-delà de l’attaque contre Esdras Ndikumana, les propos du président sonnent également comme une mise en garde contre les journalistes qui travaillent encore au pays dans des conditions déjà difficiles. RSF exhorte le président à combattre l’épidémie plutôt que les journalistes. Porter atteinte à la liberté de la presse pendant la crise sanitaire, c’est contribuer à affaiblir les efforts pour venir à bout du virus.

Lewis Mudge constate qu’il est dangereux d’être journaliste au Burundi

Selon son directeur pour l’Afrique centrale, Human Rights Watch se dit préoccupé par les propos du président burundais. Il déplore les intimidations dont sont victimes des journalistes, considérés comme étant des défenseurs des droits humains, qui communiquent de façon neutre sur la situation qui prévaut au pays. « La liberté de la presse est importante dans un pays qui a subi de graves violations des droits de l’homme avec la crise de 2015. Les intimidations de la part du chef de l’Etat rendent encore plus difficile le travail des journalistes ».

Lewis Mudge constate avec amertume qu’il est dangereux d’être journaliste au Burundi. Il demande plutôt au gouvernement burundais de laisser travailler les défenseurs des droits humains et les journalistes en garantissant leur sécurité.


Eclairage : Trois questions à Antoine Kaburahe

« Un bon journaliste n’est pas celui qui caresse dans le sens du poil »

Lors de sa rencontre avec les jeunes au stade Intwari, le chef de l’Etat a déclaré qu’il ne « restait que deux journalistes qui détruisent le pays ». Esdras Ndikumana de RFI et Antoine Kaburahe, le fondateur en exil du Groupe de Presse Iwacu. Nous l’avons interrogé après cette sortie du Président Ndayishimiye.

Le président burundais vous a cité dans son discours disant que vous étiez parmi ceux qui ternissaient l’image du Burundi. Quelle a été votre réaction en l’apprenant ?

Etonnement et tristesse. Etonnement, car que ce soit dans mon histoire personnelle ou professionnelle, c’est vérifiable, je n’ai jamais participé à une quelconque entreprise pour ternir l’image de mon pays. Certes, je peux être critique, dire ce qui ne marche pas, mais je suis dans mon rôle de journaliste. C’est toujours dans le but d’aider les autorités à améliorer la situation. Cela m’attriste un peu, car j’ai l’impression que le bon journaliste serait celui qui caresse dans le sens du poil. Ce n’est pas ainsi que je pratique notre métier.

Il a dit que vous avez « arrêté de vous attaquer au Burundi ». Qu’en dites-vous?

Je n’ai jamais « attaqué le Burundi ».Le Burundi, c’est mon pays, je l’aime. Vous savez, je suis entré en journalisme en 1992 et vérifiez dans tout ce que j’ai dit et écrit, j’ai toujours prôné l’ouverture. Avec des collègues très engagés, j’ai pris des risques énormes en donnant la parole à ceux qui étaient muselés, que le pouvoir de l’époque appelait des « terroristes tribalo génocidaires ». Pour moi, c’étaient des citoyens qui avaient droit à la parole. J’étais convaincu qu’il fallait les écouter, dialoguer, mettre fin à la guerre et bâtir la paix. Je n’ai pas été compris. J’ai dû fuir, d’ailleurs. Hier comme aujourd’hui, un journaliste doit prendre des risques, avoir le courage de dire des vérités parfois dures à entendre. Mais cela ne fait pas de lui un ennemi du pays.

Le président vous demande de « conseiller le journaliste Esdras Ndikumana », qu’en pensez-vous?

J’ai beaucoup de respect et d’affection pour Esdras Ndikumana. C’est un aîné dans le métier, il a une grande expérience et c’est un journaliste honnête. Il ne faut donc pas tirer sur le messager parce que le message est déplaisant. Au risque de me répéter, je dis que notre rôle, en tant que journaliste, n’est pas d’encenser les autorités. Nous ne sommes pas dans la « communication. » Notre rôle est de toujours nous interroger, de douter, d’investiguer dans la mesure de nos moyens. Dans une démocratie, les citoyens doivent être bien informés et notre mission est fondamentale. Nous sommes au service des citoyens, sans être les ennemis des autorités ou du pays.

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