POINT DE VUE. Lapublication, mercredi 26 janvier, du livre "Les Fossoyeurs" de VictorCastanet a créé un séisme au sein du groupe Orpea. Les révélations chocs de cebrûlot sur l’accueil de nos "vieux" ont ému l’opinion et créé une crise deconfiance à l’égard des Ehpad privés. La polémique est telle que legouvernement a dû s’emparer du sujet.

Le directeur général d’Orpea France arendez-vous dans le bureau de Brigitte Bourguignon, ce mardi 1er février. Jean-Christophe Romersi devra s’expliquer face à la ministre déléguée chargéede l'autonomie des personnes âgées. L’Inspection générale des affaires sociales(Igas) pourrait, quant à elle, rapidement diligenter une enquête au sein de l’ensemble du groupe Orpea.

En parallèle, ce dimanche 30 janvier, le directeur général d'Orpea, Yves Le Masne, a été démis de ses fonctions par le conseil d'administration de la société. Il est remplacé à ce poste par Philippe Charrier qui devient PDG "avec effet immédiat".

Enquêteédifiante en prime time

L'émotion, la colère et l'indignation sont évidemment légitimes. Pour autant, la prise de conscience aura mis du temps à infuser. Car bien avant le livre deVictor Castanet, un reportage diffusé sur France 2, en septembre 2018, aurait dûalerter l’opinion et les autorités.

Diffusée dansle cadre de l’émission "Envoyé Spécial" et intitulée "Maisons de retraite :derrière la façade", cette enquête menée dans les coulisses des groupes Orpea etKorian était édifiante.

Pensionnaires abandonnés à leur sort, rationnement des repas, manque de personnel,manque de soins... Tout ce que dénonce aujourd’hui "Les Fossoyeurs" figurait déjà dans le reportage d’Envoyé Spécial.

Caméracachée

Parmi lestemps fort de cette enquête, les images tournées en caméra cachée par le fils de l'unedes pensionnaires. Elles montraient une personne âgée tombée de son fauteuilallongée par terre au milieu d’une pièce, demandant de l’aide sans personnepour la secourir ; tandis que d’autres pensionnaires visiblement désorientésdéambulaient dans les couloirs.

Les bureaux des infirmières et des aides-soignantesétaient déserts. Dans l’espace repas, des personnes dépendantes incapables demanger toutes seules étaient abandonnées à leur sort devant leur plateau repas. Des images très dures, renforcées par des témoignages accablants.

1 euro parrepas

Les parolesglaçantes sont, par exemple, celles d’un ancien directeur expliquant que lagestion de ces établissements commerciaux privés, qui coûtent la bagatelle de 3000euros par mois aux résidents, se fait quasiment au centime près. Il faut rognersur les dépenses pour gonfler les bénéfices et atteindre un objectif fixé à 30%de marge. En cas d’absence, le personnel ne serait, par exemple, que partiellementremplacé.

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Un cuisiniersalarié du groupe Orpea expliquait devoir concocter les menus d’une journée entièreavec seulement 4€22 de budget par résident. Petit-déjeuner, déjeuner,goûter et dîner pour... moins de 5€. Cela en dit long sur la qualité desrepas. Ce cuisinier expliquera être au yaourt ou à la part de beurre près...

"Despersonnes décèdent par manque de soins"

Dans cereportage des équipes d'Elise Lucet, des médecins urgentistes témoignent eux aussi desconditions de prise en charge indécentes de certains Ehpad. Ces médecins connaissentbien l’envers du décor de ces établissements parfois clinquants vus de l’extérieur.Ils sont régulièrement appelés pour venir secourir des pensionnaires dont l’étatde santé s’est aggravé.

"On peuttout à fait dire qu’aujourd’hui, on a des personnes qui décèdent par manque desoins", constate froidement face caméra un urgentiste du Samu 93. Ce médecinévoque le cas d’une intervention pour une infection urinaire nontraitée, qui s’était transformée en chocsceptique : "La personne était dans un état gravissime alors que si elleavait été vue 48 heures avant et qu’on avait prescrit des antibiotiques, dans99% des cas l’évolution aurait été favorable."

Amnésiecollective, indignation sélective

Les 45minutes de ce reportage choc d’Envoyé Spécial n’avaient, à l’époque, pas permisde changer les choses. La meilleurepreuve de ce statu quo étant le livre de Victor Castanet qui paraît aujourd’huipour dénoncer les mêmes choses.

De là à penserque ces donneurs d’alerte ne servent à rien, il y a un pas qu’il ne faudrait pasfranchir. À force de dénoncer, de montrer et de répéter les choses, desdécisions et des sanctions finiront par tomber. Les autorités s’émeuvent aujourd’huidu livre "Les Fossoyeurs", pourquoi ne s’étaient-elles pas indignées au lendemain de la diffusion de "Derrière la façade" ?

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C’est contreune amnésie collective qu’il s’agit de lutter. Celle qui nous pousse à ne pasvouloir voir les choses en face. En nous berçant d’illusions et en continuant à confier la fin de vie de nos anciens à desstructures qui nous assurent que tout se passera bien. Ne plus laisser "LesFossoyeurs" agir "Derrière la façade", parce que maintenant personne nepeut dire qu’il ne savait pas.

L'intégralité du reportage "Maisons de retraite : derrière la façade", diffusé le 20 septembre 2018 dans le cadre de l'émission Envoyé Spécial, est à voir ici.