Qu’avait-il en tête cette nuit-là ? Quatre ans et demi après la mort de la petite Maëlys, âgée de huit ans, la question du mobile du crime se pose toujours. Le procès qui se tiendra du 31 janvier au 18 février 2022 apportera-t-il des réponses ? Rien n’est moins sûr. En mai 2021, jugé pour la mort du caporal Arthur Noyer, Nordahl Lelandais était resté accroché à sa version – des coups, sans intention de tuer – mais c’est bien pour meurtre que la cour l’avait condamné à 20 ans de réclusion. Et il n'a d'ailleurs pas fait appel. Cette fois, l’ancien militaire et maître-chien, âgé de 38 ans, encourt la perpétuité.
Faute d’éléments matériels, la justice ne l'a pas renvoyé devant les assises pour viol sur mineure. Et certains journalistes à sensations bâtissent même sur ces zones d’ombre des théories hasardeuses, impliquant un complot au sein duquel Lelandais ne serait qu’un « maillon de la chaîne ». En réalité, l’ensemble du dossier judiciaire dessine nettement un autre portrait : celui d’un homme à la dérive, aux penchants pédophiles.
Il est environ 3 heures du matin, ce 27 août 2017, lorsque les parents de Maëlys s’aperçoivent de sa disparition, dans la salle des fêtes où se tient le mariage auquel ils sont invités, à Pont-de-Beauvoisin (Isère). Le DJ vient de diffuser au moins deux chansons que l’enfant adorait – l’une de Kendji Girac, l’autre « Cotton Eye Joe » – et l’enfant n’est pas apparue sur la piste de danse.
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Sa mère se souvient qu’un peu plus tôt, au moment du fromage, elle voulait voir les chiens de son « copain ». Ainsi désignait-elle ce trentenaire, inconnu au bataillon, qui s’est incrusté à la noce et qui lui montrait sur son téléphone des photos de ses deux malinois. La petite est ensuite revenue pour le dessert mais comme elle n’a pas aimé le gâteau, elle est repartie jouer dans la salle. Depuis, elle s’est évaporée.
De plus en plus inquiète, Jennifer cherche sa fille partout, bientôt imitée par les autres convives, dans la salle principale, dans le coin réservé aux enfants, à l’extérieur, dans la cuisine. Elle emprunte le micro du DJ pour passer un appel, ressort et croise alors l'« homme aux chiens », qui revient du parking. « Vous avez vu ma fille ? » demande-t-elle. « Non », répond-il, impassible.
« J’ai été étonné qu’il ne me fasse pas un signe de la main, qu'il ne vienne pas me demander où cela en était pour les recherches de la petite. »À 3 h 50, on appelle la gendarmerie et quinze minutes plus tard, l’enquête commence. À bord d’un hélicoptère, des militaires rallient le domicile des parents de Maëlys, dans le Jura, pour prélever une taie d’oreiller et la présenter à un chien Saint-Hubert. L’animal cherche la trace, on demande aux gens de quitter les lieux et de se regrouper à la mairie pour ne pas perturber son odorat. Le chien ne dépasse pas le parking. À croire que la petite a quitté les lieux à bord d’une voiture.
Au petit matin, quelques invités – parmi les rares qui le connaissaient – ressentent déjà une étrange impression à propos de cet « homme aux chiens ». Un témoin raconte aux gendarmes que Nordahl Lelandais a disparu pendant les recherches. Son portable ne répondait plus. Une fois parvenu à la mairie, où les enquêteurs ont rassemblé les invités pour les interroger, ce témoin aperçoit le maître-chien au bar d’à côté, « Le bon coin », qui le fixe droit dans les yeux. « J’ai été étonné qu’il ne me fasse pas un signe de la main, qu'il ne vienne pas me demander où cela en était pour les recherches de la petite. »
L’étau se resserre rapidement autour de l’ancien militaire : 182 personnes sont passées à ce mariage, et 110 de plus à l’apéritif, mais lui n’a pas d’alibi au moment de la disparition. Lors de sa première audition, il ment en assurant ne pas connaître l’enfant alors que plusieurs témoins les ont vus discuter. Son Audi A3 est saisie le 29 août, des chiens renifleurs inspectent le véhicule et sont alors pris de vomissements, à cause des détergents abondamment utilisés pour laver l’intérieur.
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Ses contradictions – et la certitude que son téléphone a été coupé au moment de la disparition de la fillette – amènent les enquêteurs à placer Lelandais en garde à vue le 31 août. Libéré au bout de quelques heures, le trentenaire regagne son domicile, mais il se sait dans l’œil du cyclone. Le 3 septembre au matin, avec un ami présent, il est même contraint d’appeler lui-même le « 17 », se sentant « menacé, en danger », probablement par des adeptes de la justice expéditive. À tel point qu’ils fouillent les abords de sa maison familiale, armés de bâtons, et crient : « On sait que t'es là, on va te découper ! » Quelques heures plus tard, il retourne finalement en garde à vue. Puis il est mis en examen.
Les militaires ont de moins en moins espoir de retrouver Maëlys en vie. Ils contrôlent plusieurs véhicules, se renseignent sur la collecte des poubelles, traquent les images de vidéosurveillance, fouillent des ruines, des épaves de voiture, des caravanes, sondent la terre, l'eau, prennent contact avec les chasseurs…Les mauvaises conditions météo entravent leur travail. Et aussi l’omniprésence des journalistes.
« Je m'imagine qu'il a pu avoir une histoire de dettes avec des gens et qu'il a vendu la petite pour payer. »Car l’affaire s’étale dans tous les médias et l’onde de choc sidère ce petit territoire à cheval entre Isère et Savoie. Lelandais, tueur d’enfant ? Jusque-là, on le prenait pour un mytho banal, un squatteur de soirées, un fana de tuning un peu lourd, un dealeur passé du shit à la coke. Mais pas pour un criminel.
C’est sur ce terreau de perplexité que naissent bientôt les rumeurs : « Pour moi, Nordahl n’est pas assez intelligent pour faire disparaître Maëlys sans qu’on puisse la retrouver. Je pense qu’il doit avoir un complice », assure une de ses connaissances. Quel complice ? « Il a fréquenté une salle de boxe dont un entraîneur a eu des problèmes avec les gosses », échafaude un autre. « Je le vois plus dans le cadre d'un trafic pour de l'argent », confie un nouveau témoin. « Je m'imagine qu'il a pu avoir une histoire de dettes avec des gens et qu'il a vendu la petite pour payer ses dettes », ose une jeune femme. Des dettes envers qui ? « Un copain m'a dit qu'un mec qui sortait de prison aurait dit que Nordahl avait des dettes avec des Albanais. » Variante aux airs de téléphone arabe : « Avec un Libanais. »
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Ces rumeurs figurent bien au dossier de l’affaire Maëlys. On les retrouve, étirées et déformées, presque quatre ans plus tard, proférées par deux journalistes, Karl Zero et Oli Porri Santoro, au micro de Cyril Hanouna dans l’émission « Touche pas à mon poste » notamment, en mai 2021 : « « Il est probable que Nordahl Lelandais bénéficiait de complicité (…) Il y a des gens qui sont toujours libres comme l’air et qui, pour l’instant, ne sont pas inquiétés par la justice (...) On parle de crime organisé (…) Maëlys ne correspond pas exactement au type de personnes que Lelandais avait envie de violer, est ce que c’est pas une commande ? » font mine de s'interroger les deux, en pleine promotion pour une nouvelle revue axée sur les affaires à scandale, et laissant entendre qu’ils disposent d’éléments tangibles en ce sens (qu’on attend toujours…).
En réalité, rien, absolument rien, n’est venu étayer la piste d’une complicité ou d’un trafic d’enfants. Les promoteurs de la théorie sensationnaliste avancent même que l'incendie qui a ravagé un bâtiment de la gendarmerie grenobloise, à l'automne 2017, a fait disparaître des pièces à conviction compromettantes. En réalité, le sinistre a été revendiqué par l'ultra-gauche, sans aucun lien avec l'affaire. Et selon le parquet de Grenoble, les seuls scellés de la procédure Maëlys détruits par les flammes se résument à une paire de chaussettes trouvée par une voyante et des prélèvements de liquide lave jantes…
En revanche, un élément majeur est apparu au cours des investigations : les penchants pédophiles de Lelandais. En 2017, en exploitant les supports informatiques de leur suspect numéro 1, les gendarmes découvrent en effet qu’il est abonné, depuis février de la même année, à des comptes du réseau social Instagram publiant des photos d'adolescentes, voire d'enfants prépubères, en tenue légère.
Le 6 juillet 2017, des échanges SMS avec sa dernière petite amie montrent que celle-ci avait décelé chez lui ces tendances puisqu’elle lui demande alors, fâchée : pourquoi il « regarde des films pornos sur les enfants ? ».
Le 26 août 2017, au matin, soit quelques heures avant la disparition de Maëlys, il a cherché sur Internet des mots-clés habituellement utilisés par des pédophiles. Le lendemain, il a formulé de nouvelles recherches, plus ambiguës.
« Lors de la reconstitution des faits organisés par la justice, il portera des coups répétés d’une extrême intensité du revers de la main sur le mannequin symbolisant le corps de l’enfant. »Pire, les limiers de la gendarmerie exhument des contenus que Lelandais avait supprimés de ses appareils numériques : deux vidéos d’agression sexuelle commise sur deux enfants dans leur sommeil, l’une en juillet 2017, l’autre en août 2017, six jours avant la disparition de Maëlys. En l’occurrence, deux petites-cousines de Lelandais âgées de six et quatre ans. Mis en examen pour ces faits, le suspect finira par avouer et admettre que les vidéos qu'il avait lui-même tournées étaient destinées à être re-visionnées. Il sera d'ailleurs également jugé pour ces deux dossiers au procès de l'affaire.
Mais jamais il n'a reconnu d’attouchements sur Maëlys. Lors de la reconstitution des faits organisés par la justice, il porte des coups répétés d’une extrême intensité du revers de la main sur le mannequin symbolisant le corps de l’enfant. Sans être réellement capable d’expliquer ce soudain accès de violence.
Retrouvé en février 2018 sur les hauteurs d’Attignat-sur-Oncin (Savoie) dans une cavité entourée de rochers, le corps de Maëlys était réduit à l’état de squelette et aucun indice ne permettait d'attester de violences sexuelles. Si du sperme a été retrouvé sur du papier absorbant dans la voiture de Lelandais, aucune trace n’a été détectée sur les tissus, la culotte ou les sandales retrouvés à côté des ossements figés dans la neige.
Les gendarmes n'ont pas trouvé non plus un téléphone que Lelandais aurait jeté dans les eaux du lac du Bourget, le 2 septembre 2017, et susceptible, selon eux, de contenir des vidéos compromettantes.
Les experts psychiatres ont distingué chez Lelandais une « surenchère des excitations, s’agissant tant de la consommation d’alcool et de toxiques, que de ses conduites sexuelles, qui témoigne de son besoin de maintenir un fort niveau de tension lui permettant de se situer dans une dynamique de toute-puissance radicale, lui procurant le sentiment d’être au-delà de la condition humaine, du bien et du mal ». Cet insatiable appétit sexuel était d’ailleurs au cœur des investigations, Lelandais ayant enchaîné les aventures sexuelles avec des femmes et des hommes. Un habitué des sites de rencontre expliquera même aux gendarmes que le militaire lui avait proposé une relation tarifée.
A la lumière de ces conclusions, la Cour qui le jugera l'interrogera peut-être aussi sur un autre point. Une heure et demie avant la disparition de Maëlys, il avait envoyé un SMS à sa dernière petite amie pour savoir si elle dormait. Elle n’avait accusé réception qu’à six heures du matin passées. Regrettant son silence, Lelandais lui avait confié, pendant son incarcération mais avant ses aveux : « Si tu avais répondu, ça aurait tout changé, putain. »
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