Le ciel est bas sur la montagne de Broummana. Au sommet d’une côte bordée de pins se dresse une bâtisse blanche, austère. À l’accueil, une dame derrière son comptoir décroche le combiné : « Allô ? Que Dieu vous bénisse Monseigneur, des journalistes sont là pour vous voir. » La standardiste change de visage. « Ah, il n’est pas là ? Il n’est pas là », signale-t-elle en hochant la tête. « Il ne vient pas souvent ici. Il a beaucoup d’institutions (à gérer) », renchérit-elle. On ne saura jamais vraiment si l’homme dont elle parle, le prêtre maronite Mansour Labaky, se trouvait à ce moment-là dans les murs du bâtiment principal du couvent des sœurs de la Croix à Broummana.
Depuis que la Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican l’a reconnu coupable, en 2013, d’abus sexuels sur trois mineures, sur une période allant de 1976 à 1997, c’est dans ce lieu quasi désert que le prêtre de 81 ans se serait retranché, condamné à une vie de prière et de pénitence, loin de tout mineur, et privé de son office ecclésiastique.
Huit ans après la condamnation du Vatican, le prêtre se retrouve cette fois face à la justice civile, et plus précisément devant la justice française. Un procès s’ouvre lundi matin à Caen, en Normandie, où il sera jugé par contumace pour des accusations de viols et agressions sexuelles sur mineures de 15 ans par personne ayant autorité. Les faits auraient été commis en France dans le foyer Notre-Dame-Enfants du Liban, qui accueillait des enfants libanais et que le père Labaky a ouvert à Douvres-la-Délivrande en 1990. Le foyer a fermé ses portes en 1998.
Depuis l’ouverture de l’information judiciaire en 2013 auprès du tribunal de Caen, le prêtre, qui encourt une peine de réclusion criminelle de vingt ans, n’a plus jamais posé le pied sur le sol français. En 2017, le Liban avait refusé de l’extrader malgré un mandat d’arrêt émis contre lui via Interpol un an plus tôt. « Au moins 27 victimes sont recensées dans le dossier, mais pour la plupart d’entre elles les faits sont prescrits. Les victimes libanaises sont sûrement beaucoup plus nombreuses, mais elles ne peuvent s’exprimer tant que Labaky a autant de pouvoir au Liban », affirme Maître Solange Doumic, l’avocate des trois plaignantes.
Le clerc, qui continue de clamer son innocence, jouit toujours d’une certaine aura dans son pays natal. Abouna Mansour est inscrit dans la mémoire collective comme le chantre de l’Église maronite et le sauveur des orphelins de la guerre civile. Compositeur de musique et écrivain prolixe, sa liturgie a bercé plusieurs générations. Pendant une décennie, il a pu compter sur le soutien d’une partie de la communauté chrétienne jusqu’à ses branches les plus puissantes. En réponse aux accusations, le prélat brandit la thèse du complot. Son avocat libanais, maître Antoine Akl, évoque tour à tour une affaire de succession qui aurait mal tourné, déclenchant l’ire de certaines accusatrices, mais aussi une cabale « sioniste », en raison de la conversion d’une « académicienne d’origine juive » au christianisme par le prêtre.
« Un jour, je ferai chanter la messe »
Mansour Labaky, né à Baabdate en 1940, est ordonné le 26 mars 1966. Le Liban connaît son âge d’or, et le jeune clerc ne manque pas d’ambition. Il est chargé à l’époque de la direction spirituelle au séminaire patriarcal de Ghazir. C’est là qu’Antoine Saad, ancien secrétaire général de la chaîne chrétienne Télé Lumière et ancien secrétaire général de l’université La Sagesse, le rencontre pour la première fois. Il a alors 12 ans. « C’était notre professeur de musique. J’ai été élevé par lui, comme des centaines d’autres jeunes. Pas une seule fois je n’ai entendu quelqu’un se plaindre d’un mot ou d’un geste déplacé », assure Antoine Saad, qui défend l’innocence de son ami de longue date. « Quelqu’un d’aussi occupé que lui, qui connaît tout un tas de gens haut placés ici ou ailleurs, n’a pas le temps de s’adonner à ces choses dont on l’accuse », poursuit-il.
Mansour Labaky lors d'une intervention sur Télé Lumière. (capture de vidéo)
Au début des années 70, Mansour Labaky quitte sa montagne pour les États-Unis où il entame la traduction des mélodies liturgiques du syriaque à l’anglais. « Un jour, je ferai chanter la messe », professe-t-il alors, s’imposant comme le réformateur de la liturgie maronite. « Le Liban a son père Duval (père jésuite français chanteur-compositeur), à quelques petites différences près. Il ne se produit pas de scène en scène, de ville en ville, il préfère la télévision et les 45 tours et en guise de guitare, bien sûr, il possède un “oud” », écrit L’Orient-Le Jour en 1971. Ce bourreau de travail gagne rapidement en notoriété. Au domicile familial, les congrégations religieuses se succèdent et les aficionados se pressent. Le futur patriarche Raï, un ami proche, est alors bien moins connu du public.
« C’est quelqu’un qui aimait être au centre de l’attention. S’il était mentionné dans un article ou s’il passait à la télévision, c’était le sujet de conversation du clan », se remémore sa nièce, Céleste Akiki. Celle qui vit depuis des années aux États-Unis est l’une des rares femmes libanaises à l’accuser publiquement d’avoir abusé d’elle, alors qu’elle était mineure. Elle mettra des années à sortir de sa solitude, à s’extirper de ce qu’elle qualifie d’« enfer ». Céleste n’a que huit ans lorsque son oncle lui laisse entendre qu’ils « formeraient tous deux un couple formidable », dit-elle. « “Tu es ma nièce préférée, tu es sensible, drôle, intelligente, tu serais l’épouse idéale pour moi”, m’a-t-il murmuré », ajoute-t-elle. Une conversation a priori anodine, mais qui amorce un tournant dans leur relation. « En réalité, il préparait sa proie en l’isolant, et il a réussi », déplore Céleste Akiki. En 1975, la guerre éclate et son père meurt subitement d’une hémorragie cérébrale. Quelque temps plus tard, Mansour Labaky s’insinue comme une « figure paternelle et un guide spirituel », selon sa nièce qui assure que c’est alors qu’il l’a agressée sexuellement pour la première fois. Elle a 14 ans. Lui, 22 de plus. Il profite de la confession en s’enfermant avec elle dans la chambre parentale. « Je me souviens qu’un “non” avait explosé dans ma tête, mais il n’est pas sorti. J’avais trop peur », confie-t-elle. Son oncle sème la zizanie dans la famille afin d’ostraciser Céleste. Il lui est alors impossible de révéler quoi que ce soit. Qui la croirait ? « Vous avez en face de vous Mansour Labaky, c’est-à-dire quelqu’un d’adulé dans le cercle familial, et mis sur un piédestal dans tout le pays », appuie-t-elle.
Chorale d’enfants
Janvier 1976. Alors vicaire de la paroisse de Damour, Mansour Labaky est témoin des attaques des factions palestiniennes qui font des centaines de morts. Aux survivants rassemblés dans son église, alors que la bourgade est encerclée et que tout secours paraît impossible, le prêtre demande « de pardonner et d’offrir leurs vies pour la paix du monde ». Tous répondent par un chant de foi et d’amour. Les habitants parviennent à s’échapper par la mer en s’entassant dans des barques, sous une pluie glaciale. L’épisode le pose en héros et lui permet de façonner son personnage. Ce drame le convainc de fonder des foyers pour venir en aide aux orphelins de toutes confessions. Il projette aussi de lancer, à travers tout le pays, une chorale, à la manière des Petits chanteurs à la croix de bois. Pour financer ses plans, le prêtre s’entoure de personnes influentes et fortunées à travers le monde. Missionné par le patriarcat maronite, celui qui est nommé en 1978 curé de Roumié donne des dizaines de conférences dans des églises et dans des centres culturels, religieux et universitaires.
Marilène Ghanem, 51 ans aujourd’hui, le rencontre pour la première fois en décembre 1984, avec sa classe de 4e venue l’interviewer. Les jeunes filles sont immédiatement séduites par ce personnage charismatique. « Écouter de la musique à l’église, c’était nouveau pour nous, très moderne », se souvient-elle. En guise de confessionnal, le prélat a fait installer une chaise et un prie-Dieu à la vue de tous. L’adolescente de 14 ans, fille de divorcés à une époque où c’est encore mal vu, vit une période de tourmente, rongée par la culpabilité d’avoir subi des attouchements par une proche, à l’âge de 7 ans. Des actes qu’elle confesse aussitôt à ce prêtre qui lui inspire confiance. « Avec le visage que tu as, si j’étais ton parent, j’aurais fait la même chose », lui répond-t-il alors, se souvient Mme Ghanem, en lui promettant de passer un jour chez elle. « Walaw Téta, tu sais qui est Mansour Labaky ? Bien sûr qu’il ne va pas venir », lui lance sa grand-mère chez laquelle elle vit. Une semaine plus tard, il se présente sur leur perron. « Il est venu pour m’aider à faire “mon cheminement spirituel”, moi qui n’en avais rien à faire de la religion. Je l’ai raccompagné jusqu’à sa voiture et c’est là qu’il m’a embrassée sur la bouche. Je n’ai pas compris, j’ai cru que c’était ma faute, que je m’étais tournée du mauvais côté. Mais quand on s’est revus, il m’a dit qu’il l’avait fait exprès. Et c’est à partir de là qu’il a fait ce qu’il a voulu faire », raconte Marilène Ghanem depuis l’Italie où elle vit depuis plusieurs années. Selon son témoignage, Mansour Labaky revient la voir à plusieurs reprises, exige d’elle des fellations. La jeune femme est dégoûtée, mais pense lui faire plaisir. Il lui fait croire qu’elle est la femme de sa vie. Pendant l’acte, il lui dit qu’elle est sa « Marie-Madeleine », qu’avec elle « il expérimente le péché et le pardon ». Un « langage spirituel-manipulateur » dont il aurait usé auprès d’autres victimes présumées, qui témoigneront demain au tribunal de Caen. Le père Labaky finit par disparaître brutalement de la vie de Marilène, happé par son projet d’ouverture d’un orphelinat en France. « Il se vantait d’aller au Moulin-Rouge, mais toujours avec son chapelet, ou au casino avec un ami évêque français », dit-elle. L’adolescente, totalement sous son emprise, devient alors la « maîtresse éconduite » et sombre dans la dépression. De première de la classe, elle connaît l’échec scolaire, et sa famille, à qui elle ne dira rien, ne comprend pas ce qui l’afflige. Elle se tourne alors vers les ordres à défaut de mieux.
Pas le « curé type »
La fin des années 1980 marque une nouvelle phase ascendante dans la vie du curé libanais, dont les actions humanitaires sont louées et les ouvrages musicaux et littéraires primés, notamment en France. « Les prédateurs sexuels sont souvent des personnalités connues, qui ont le don d’influencer le public pour pouvoir arriver à leurs fins. Lui n’était pas quelqu’un à la marge, il a des connexions partout », appuie un prêtre libanais sous couvert d’anonymat, qui chantait, enfant, les compositions de Mansour Labaky dans l’église de son village.
Après avoir charmé la foule, le prêtre sent qu’il a une carte politique à jouer. « Je voudrais provoquer un miracle dans mon pays pour qu’il soit possible d’assurer la survie des 17 communautés qui y vivent », dit-il à Paris en octobre 1988, à l’occasion d’un colloque organisé pour la sortie de son livre Mon vagabond de la Lune. Il appelle même à une conférence internationale pour le Liban. « Après tout, remarque-t-il, l’Amérique se bat bien pour sauver trois baleines. »
Face au déballage judiciaire, l’Église maronite a d’abord eu un réflexe d’autodéfense en envoyant ses missionnaires en croisade contre tous ceux qui osaient salir l’intégrité de Labaky. Photo d’archives L’OLJ
« Je ne pouvais plus rester un curé chantant, écrivain, le “curé type”. Le Liban avait besoin d’actes », confie-t-il dans nos colonnes en 1999. Dans la capitale française, il fonde le mouvement spirituel Lo Tedhal (Ne crains pas, en syriaque). Fort de ses soutiens dans les milieux catholiques français, il ouvre le foyer Sainte-Marie-Enfants-du-Liban en 1990 à Douvres-la Délivrande, dans le Calvados, où il accueille pour l’année scolaire des orphelins libanais chrétiens et musulmans, mais aussi de petits Français. « Il avait l’aura du poète, l’aura du prêtre donné à Dieu. C’était la guerre au Liban, le Liban est très important pour la France, les gens en France aimaient les enfants libanais et étaient fascinés par leur sauveur », souligne Me Solange Doumic. C’est dans ce centre qu’il aurait violé, selon l’accusation, une Française, M.D., alors âgée de 13 ans, qui avait été placée au foyer alors que sa famille traversait une situation difficile, ainsi que deux orphelines libanaises envoyées dans l’Hexagone alors qu’elles avaient 7 et 11 ans. « Avec son caractère manipulateur, il utilisait toutes ses auras différentes pour tenir sous son emprise ces enfants qui ne pouvaient se plaindre à personne », poursuit l’avocate. Certaines victimes françaises racontent, selon l’avocate, que lorsque le père Labaky les embrassait sur la bouche et qu’elles s’offusquaient, il répétait inlassablement la même chose : « Mais vous êtes trop coincés vous les Occidentaux, chez nous en Orient on n’est pas comme ça. Décoince-toi, le Christ est amour. »
En 2011, à la suite du signalement de plusieurs personnes concernant des faits ayant eu lieu en France, une enquête est ouverte à la demande du nonce apostolique, par l’ordinaire des catholiques orientaux de France – alors le cardinal André Vingt-Trois –, ensuite confiée au tribunal ecclésiastique de Paris. Marilène Ghanem, qui a quitté les ordres entre-temps, apprend en 2012 qu’elle n’est pas la seule à être tombée sous la coupe de Labaky et décide de porter plainte. Pendant des années, elle va remuer ciel et terre pour que justice soit rendue, allant jusqu’à appeler le Vatican plusieurs fois par jour pour suivre ou même intervenir dans toutes les péripéties de l’affaire. Céleste Akiki va également porter plainte. « Lorsqu’il a fondé son orphelinat à Caen, il a prévenu tout le monde que j’étais folle en disant, par crainte que je dévoile tout : “Si ma nièce téléphone, raccrochez-lui au nez.” C’est ce qui a mis la puce à l’oreille des responsables français qui sont allés me chercher des années plus tard », raconte Céleste Akiki. Mansour Labaky sera entendu à deux reprises, en mars 2012, par la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, avant d’être condamné par cette dernière en première instance par décret du 23 avril 2012. Après avoir fait appel, son ultime recours sera rejeté par Rome le 19 juin 2013. « Ils l’ont jugé sans qu’il puisse se défendre. Il n’a eu droit qu’à une heure pour lire, en présence de gardes, le rapport de 206 pages l’accusant », déplore son avocat Me Antoine Akl.
« On ne lui a laissé que l’oxygène »
Lorsque le verdict tombe, Céleste Akiki est prévenue que la prescription a été levée dans son cas à cause de la gravité des faits, qui relèvent de l’inceste. « Je me remémorais toute la période où les abus ont commencé. Et je voulais mettre ça entre parenthèses. Même s’il est condamné, rien ne ramènera ce que vous avez perdu. L’innocence des enfants est sacrée », livre Céleste Akiki, très émue.
Après le jugement de la Congrégation, le père Labaky se voit interdit de célébrer la messe en public et de confesser, de mener tout accompagnement spirituel, activité publique et prise de parole dans les médias, ou d’entretenir un contact avec les victimes. « On lui a infligé toutes les sanctions possibles, on ne lui a laissé que l’oxygène ! » fustige son avocat libanais. La condamnation du Vatican provoque un déchaînement dans les médias libanais qui vont défendre « l’innocence » de l’homme d’Église. « Deux jours après l’annonce du jugement, il est arrivé au théâtre Monnot, à Beyrouth, et a été accueilli comme une star, dans une salle pleine d’enfants, pour assister à une pièce donnée par des enfants. Cela prouve qu’il s’en fichait totalement. J’étais là avec mes filles et je voyais rouge, mais je ne pouvais pas faire d’esclandre », raconte un témoin de la scène.
Si Mansour Labaky ne s’éclipse pas totalement de la vie publique, il disparaît en revanche des antennes, notamment des programmes de Télé Lumière où il intervenait auparavant de manière récurrente. « Il y a plein de projets en suspens, de nouveaux chants, mais nous ne pouvons pas contredire la décision du Vatican. Nous espérons qu’une décision soit prise pour qu’il puisse réapparaître », continue de croire Antoine Saad.
Entre 2013 et 2016, les partisans du prêtre vont mener campagne, faisant fi du verdict du Vatican. Sur des plateaux télévisés, à la radio ou dans les journaux, des personnalités ou des ecclésiastiques se succèdent pour plaider sa cause. La supérieure générale mère Daniella Harrouk intervient notamment en octobre 2013 sur Télé Lumière au nom de toutes les femmes et filles des écoles des Saints-Cœurs pour proclamer « l’innocence » du « Monseigneur ». « J’étais outrée. Moi, je suis une fille des Saints-Cœurs, et Labaky me faisait sortir de ma classe pour des fellations, et ce dans une pièce en face du bureau de la directrice sans qu’elle n’en sache rien », accuse Marilène Ghanem.
Pour étouffer le scandale, les pro-Labaky n’hésitent pas à traîner les victimes présumées dans la boue. Son avocat Antoine Akl tire à boulets rouges sur tous les accusateurs et dépose une plainte en 2014, notamment contre Mgr Luis Ladaria, alors numéro deux de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le juge d’instruction Peter Germanos, chargé de cette affaire, clôt rapidement le dossier, sans interroger les accusés, se déclarant incompétent dans une affaire concernant l’Église catholique. « Labaky n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait au Liban s’il n’y avait pas cette culture de vénération des gens puissants. Parce que l’impunité règne, il s’est permis d’attaquer les victimes au lieu d’expier sa faute », déplore Me Nizar Saghieh, l’avocat libanais de Céleste Akiki et de Marilène Ghanem.
Le père Mansour Labaky, en l’église de la Madeleine, à côté de Bernard Porte, en 1987. Photo d’archives L’OLJ
La plainte déposée au tribunal pénal de Baabda, que L’Orient-Le Jour a pu consulter, laisse entendre qu’un « ensemble de rancuniers et de rancunières mensongers » ont formé une « alliance de méchants », appelée« Alliance Saint-Antoine », dont « l’objectif était la vengeance, la calomnie, la diffamation, l’insulte et la fabrication de crime mensongers (...) ». Contactée, l’avocate française de Mansour Labaky, Me Florence Rault, n’a pas répondu à nos sollicitations. « Le verdict (de Caen) ne fait pas de doute. Qu’il soit condamné à 5, 10 ou 20 ans de prison, ce n’est pas le problème des victimes, tant qu’il est officiellement condamné pour les crimes qu’il a commis », martèle pour sa part Solange Doumic.
La défense libanaise s’appuyait sur une série de 2 000 e-mails échangés entre les autorités ecclésiastiques et les victimes présumées, et trouvés dans un carton déposé sur le pas de porte de Mansour Labaky en 2013 par « la Sainte Providence ». Les noms des victimes sont jetés en pâture sur les réseaux sociaux. « Non seulement il est illégal de s’emparer d’une correspondance, de la publier, mais il est encore plus grave de l’utiliser pour en changer le sens », s’insurge Me Solange Doumic, qui a elle-même été convoquée par une cour criminelle libanaise pour diffamation après une interview accordée à la LBC en mai 2016. Dans la plainte déposée par la défense de Labaky devant le tribunal de la presse à Beyrouth, l’avocate française est accusée d’avoir lancé une campagne médiatique à base de « calomnie » et de « diffamation publique », entre autres.
« Écarter un curé en cachette »
Face au déballage judiciaire, l’Église maronite a d’abord un réflexe d’autodéfense en envoyant ses missionnaires en croisade contre tous ceux qui osaient salir l’intégrité de Labaky. « Selon elle, lorsqu’on s’attaque à un de ses membres, c’est à l’Église tout entière que l’on s’en prend. Or, il est temps que les Églises orientales agissent avec plus de transparence sur les questions d’abus sur mineurs, au lieu d’écarter un curé en cachette », appuie le prêtre libanais anonyme précité.
Les mails piratés atterrissent sur le bureau du pape François, envoyés par le patriarche Béchara Raï lui-même. Le 18 mars 2016, le cardinal apparaît dans une vidéo lors d’une visite au collège Saint-Joseph de Antoura, et prend publiquement la défense de Mansour Labaky, en dénonçant une « campagne de calomnies bien orchestrée », et en précisant avoir apporté au Vatican « les dossiers qui prouvent ces mensonges ». Sous la pression de Rome, il se rétracte quelques jours plus tard.
Peu de temps après, le 8 mai 2016, des médias libanais rapportent le voyage du patriarche à Lisieux pour l’inauguration d’une chapelle dédiée au Liban. Près de 3 000 personnes assistent à la cérémonie. Mais une autre scène se déroule un peu plus tôt à huis clos. « L’évêque de Bayeux-Lisieux, Monseigneur Boulanger, a prévenu en amont le cardinal Raï qu’il n’entrerait pas dans son évêché s’il ne rencontrait pas les victimes de Mansour Labaky », raconte Marilène Ghanem, la seule Libanaise sur les lieux se présentant comme une victime de M. Labaky parmi plusieurs autres victimes françaises. Des propos confirmés par le père Laurent Berthout, porte-parole de l’actuel évêque. « Cette rencontre a eu lieu avant la messe. Les victimes ont livré leur témoignage et le cardinal Raï était bouleversé, très ému par ce qu’il entendait », appuie le prêtre français.
Dans une dernière tentative désespérée, les partisans de Labaky vont même se servir d’une dédicace du pape comme preuve de l’« innocence » du prêtre. En 2019, l’ambassadeur du Liban près le Saint-Siège, Antonio al-Andari, avait fait dédicacer par le souverain pontife son ouvrage Dieu est jeune où ce dernier signe : « Au père Mansour Labaky, avec ma bénédiction, François. »
Cinq ans plus tard, l’affaire Labaky s’est essoufflée. Les langues commencent peu à peu à se délier, notamment depuis que le pape François, qui affiche une tolérance zéro, a exprimé son chagrin suite à la publication le mois dernier du rapport Sauvé sur la pédocriminalité dans l’Église catholique française. Après des années à entretenir le flou autour de la culpabilité de Mansour Labaky, l’Église maronite est désormais claire. « Nous suivons la position du Vatican, c’est pourquoi nous nous sommes dotés d’une loi en novembre 2016 contre les abus sexuels sur mineurs. À ce que je sache, le père Labaky est toujours reclus au couvent », affirme le vicaire patriarcal maronite Mgr Hanna Alwan. L’Église maronite serait actuellement en train d’examiner les cas de prêtres soupçonnés de pédophilie, selon Mgr Alwan.
En 2010, avant même que l’enquête ne démarre, Mansour Labaky prenait la plume dans les colonnes de L’Orient-Le Jour pour défendre l’Église attaquée, selon lui, de toutes parts. « La pédophilie est une maladie, comme le cancer, qui a besoin d’être soignée », écrivait-il dans ce texte qui sonne, à bien des égards, comme un manifeste. Avant d’ajouter : « En chacun de nous sommeille un grand pécheur capable de toutes les turpitudes et un grand saint capable d’être selon le cœur de Dieu. »
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