VIDEO - La Grande Tribune de la Présidentielle avec Jean-Luc Mélenchon

LA TRIBUNE - Nous assistons à un retour fulgurant de la crise Covid. Allons-nous vivre dans la pandémie permanente ? La vaccination va-t-elle devenir annuelle, comme pour la grippe ?

JEAN-LUC MÉLENCHON - C'est ma thèse depuis le départ quand je disais qu'il y aurait une deuxième vague. Les virologues le disaient dès le début : les pandémies de cette nature fonctionnent par vagues. Je souhaitais que l'on tire les leçons de la première. Cela me valait des commentaires sarcastiques de la part de ceux qui ne prennent pas en compte le temps long des cycles de la nature et des êtres humains.

L'état de pandémie deviendra réellement permanent si ses causes ne sont pas réglées. Ce virus émerge et dégénère en pandémie dans un contexte social particulier. Pas de Covid sans élevage intensif qui favorise le passage des virus des animaux aux hommes. Ni sans départ forcé des animaux sauvages de leur habitat naturel détruit par un modèle particulier de culture.

Le phénomène sanitaire a une racine écologique et un point de départ social. Or, depuis le début de la pandémie, aucune décision n'a été prise sur les fermetures d'élevages intensifs. Au contraire, cela continue. On en a eu récemment une nouvelle démonstration. Des cas de grippe aviaire ont été détectés en France, dans un élevage de 160.000 poules. Peut-on encore appeler cela un élevage ? Les « fermes-usines » sont une des causes essentielles des pandémies. Si le modèle capitaliste de l'agriculture ne change pas, la pandémie sera permanente.

Le pass sanitaire reste-il une bonne solution pour empêcher la fermeture des frontières, et ainsi éviter une rechute de l'économie ?

Le pass sanitaire n'a jamais été une protection et ne le sera jamais. Il a été imposé en France pour obliger à la vaccination alors même que l'OMS a donné pour consigne de ne pas rendre ce vaccin obligatoire. Si on se fixe l'objectif de « convaincre sans contraindre » et que les résultats ne sont pas à la hauteur, il faut s'en prendre aux « pas-convaincants », pas aux « pas-convaincus ». Par ailleurs, le pass sanitaire donne l'illusion de la sécurité. La seule solution pour l'avoir, c'est la vaccination puisque personne n'a les moyens de payer un test par jour. Or, la vaccination ne vous garantit pas de ne pas être contaminé et de ne pas contaminer les autres. Ce n'est donc pas une solution.

Mais la vaccination réduit les formes de maladie grave.

C'est certain. Moi-même, je suis vacciné pour cette raison. J'ai fait une évaluation rationnelle : il vaut mieux être vacciné que ne pas l'être. Mais je sais que je reste en danger. Le seul moyen de savoir à quoi s'en tenir, c'est de faire un test. Le gouvernement l'a rendu impossible, en supprimant la gratuité des tests (pour les non vaccinés, NDLR). Nous souhaitons le retour de la gratuité du test. La France républicaine a un rite commun : la trêve des confiseurs. Les réveillons de Noël et du premier de l'an, tout le monde les fait. On va avoir des réunions de famille. Chacun doit pouvoir se comporter de façon responsable. Comment le faire, si on doit débourser 40 euros toutes les 24h pour savoir si on est contaminé ? Surtout que tout le monde va vouloir se faire tester 24 heures avant Noël. Qu'est ce qui a été organisé ? Rien. Le foutoir est garanti, ainsi que la transformation en foyers de contamination des deux réveillons.

Que faut-il faire alors ?

Fermer les frontières depuis les pays où la contamination part. C'est une mesure de précaution élémentaire. Mieux vaut cela que de se retrouver face à une crise que plus personne ne maîtrise. Et puis il faudrait enfin comprendre qu'il faut prendre modèle sur des sociétés que l'Europe a tendance à regarder de haut.

Toute l'Afrique vit avec des pandémies depuis des générations. Elle a donc appris à faire face, par des précautions quotidiennes. Il faut apprendre à vivre avec le virus, avec la permanence des gestes barrières, le port du masque, les sociétés par roulement, les salles de classe par roulement, les purificateurs d'air... Aucune leçon n'a été tirée des précédentes vagues. Je le déplore, d'autant que Les Insoumis ont fait une commission d'enquête, avec plein de solutions. Laquelle a été retenue ? Aucune.

Par exemple, sur les lieux de travail, ceux qui savent le mieux ce qu'il faut en penser, ce sont ceux qui y travaillent, pas quelqu'un à l'extérieur. Je suis pour des assemblées de travailleurs sur les lieux de travail pour faire des préconisations. Mais cela bute sur le mépris général pour les conditions de travail. Et pourtant nous nous concentrons sur des événements liés à la sécurité dans tel ou tel quartier. Il en va de la crise sanitaire, comme de tout le reste. Il y a un regard, une façon de la traiter comme phénomène sociologique, qui dépend du balcon où on la regarde. Les propriétaires du capital ne regardent pas cela tout à fait de la même manière que les travailleurs directement concernés.

La campagne sous Covid sera très compliquée si elle conduit à interdire les grands rassemblements, de faire nous-même des démonstrations de force.

Jean-Luc Mélenchon

Vous avez déclaré que vous craignez que l'esprit public soit obsédé par les questions de sécurité sanitaire dans les prochains mois. Cette réflexion est-elle intégrée dans votre stratégie politique ?

Oui, depuis le début. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons démarré très tôt notre campagne. Nous savions que nous serions jusqu'au bout dans l'incertitude. Pour construire une opinion publique favorable, nous avons besoin de plus de temps que ceux qui défendent l'ordre établi. Ils ont moins de travail à faire pour convaincre les gens que nous qui expliquons qu'on va en passer à la planification écologique, la 6ème république, convoquer une Constituante... Il nous faut plus de temps pour ancrer les convictions et fabriquer une opinion stable et ferme capable de résister aux coups qui nous seront portés en fin de campagne.

C'est devenu une tradition. La France y est entrée avec une certaine gourmandise. La dernière fois, c'était l'affaire Fillon : quatre semaines de débats sur les costumes de Monsieur Fillon, plutôt que son programme. En 2012, nous avons eu un mois de discussions sur la viande hallal, alors que se votait le mécanisme européen de stabilité financière. Il y a une capacité de la classe médiatique à fabriquer des diversions absolument extraordinaires.

Tous les appareils de transmission qui étaient des machines à convictions politiques autrefois comme les mutuelles, les associations, les grands syndicats ont disparu. Tout le pouvoir va maintenant à ceux qui peuvent fabriquer des événements et, par un effet de sidération quotidien, obstruent l'esprit public, empêchent de réfléchir et proposent des sottises démenties le lendemain. C'est l'information en continu. La campagne sous Covid sera très compliquée si elle conduit à interdire les grands rassemblements, et d'interdir de faire nous-même des démonstrations de force.

Vous allez tenir un grand meeting dimanche 5 décembre à La Défense, à Paris. Le Covid peut-il dissuader les gens de venir ?

On verra dimanche ! Mais en effet dans le contexte sanitaire, combien de temps pourra-t-on encore continuer à en faire ? Cela n'a déjà pas été simple d'organiser la réunion du 5 décembre. Il n'y avait pas de salle à un prix accessible dans toute la région parisienne. La démocratie est devenue horriblement chère. On voulait aller au Zénith ! Mais on nous a opposé que toutes les salles étaient occupées. Deux mois après, surprise : elle est libre pour Zemmour. Cela a montré que sa candidature était effective depuis longtemps.

Oui, nous avons besoin de démonstrations de force ! Les sondages ne nous donnerons pas cette force puisqu'ils ne prennent en compte que les gens qui sont sûrs d'aller voter. Les milieux populaires ne sont pas pris en compte. Nous sommes donc sous la pression d'une machine à nous résigner. Je l'ai prévu depuis le début, c'est pourquoi j'ai dit : « on démarre tôt » et on a fait des meetings en ligne.

Sur les réseaux sociaux vous êtes très créatif.

C'est le seul moyen de contourner l'officialité médiatique. Mais ce n'est pas efficace à 100%. L'officialité reste nécessaire. On ne peut pas se priver d'aller dans ses émissions. Tout le monde n'a pas encore compris qu'avec son téléphone on peut passer directement sur son écran de TV. Une fois qu'on aura compris cela, on aura vaincu l'officialité, car on pourra la contourner. D'ici là, il faut être présent partout à la fois.

En plus, on a un énorme appareil contre nous. Le seul vrai adversaire, le seul qui compte, c'est Monsieur Macron. Il dispose de beaucoup de sympathies dans bien des milieux médiatiques et d'un énorme appareil gouvernemental, le soi-disant service public audio visuel. Du matin au soir, il déverse de la propagande gouvernementale et traine dans la boue tout ce qui n'est pas d'accord avec le chef. Il suffit de regarder une seule de ces émissions pour s'en rendre compte.

Supposez que je m'accorde avec Madame Hidalgo. Il faudrait que je mette de l'eau dans mon vin.

Jean-Luc Mélenchon

Vous avez fait 11% à la présidentielle de 2012, 19% en 2017 et vous avez été 4ème les deux fois. Pour 2022, vous espérez virer en tête à gauche, avec 9% à 10% des intentions de vote actuellement. Quelle stratégie allez-vous déployer pour rassembler votre camp divisé et faible comme jamais ?

La gauche paraît faible parce que ce n'est pas un camp. Il y a là-dedans des néolibéraux assumés, les socialistes. Il y aussi des fédéralistes européens, pour qui l'Etat-Nation n'a pas de sens et sont organisés pour sa disparition. C'est le cas des écologistes. D'autres encore pour qui la victoire n'est pas un sujet. Les Communistes ont fait le choix d'une candidature de témoignage. Cela ne fait pas un « camp ». J'ai donc pris le problème par l'autre bout. On ne peut pas avoir d'accord au sommet, pour des raisons valables. Si nous venions à les mépriser, cela nous détruirait.

Supposez que je m'accorde avec Madame Hidalgo. Il faudrait que je mette de l'eau dans mon vin. Pas question de 6ème République par exemple. Ou de rétablir tel ou tel impôt. On ne parlerait de rien. On dirait « regardez, nous sommes unis ». Mais les gens répondraient : « c'est justement ce qu'on vous reproche. Nous ne croyons pas à ce que dit l'un ou l'autre. Vous vous mettez ensemble, vous faites donc semblant. On ne croit pas à ce que vous dites. Vous n'êtes pas crédibles ». L'unité tuerait notre crédibilité.

Cependant j'ai essayé. J'ai proposé le Front populaire, puis la Fédération populaire. On m'a envoyé balader. Nous sommes entrés dans les élections régionales et départementales en disant puisque l'essentiel n'y était pas engagé - les institutions, les finances, l'Europe - nous pouvions faire des listes communes. On m'a envoyé balader. Et cela même lorsque j'ai proposé aux Verts toutes les têtes de listes, sauf une. On m'a aussi envoyé balader et même exclu des listes. J'ai parfaitement compris le message.

Nous nous sommes organisés comme en 2016 : drapeau et musique en tête, nous allons essayer de convaincre. Mais aussi une méthode posée par Manuel Bompard, notre directeur de la campagne. Il a décidé d'utiliser l'outil star prisé par les médias - que ces derniers présentent comme étant la vérité à l'état pur - en faisant faire nous aussi des sondages sur les principales mesures de notre programme. Et là, on découvre des pourcentage de 70% ou même 80% d'opinions favorables.

La question qui se pose, c'est pourquoi, alors qu'on a un programme dont le contenu est approuvé par une telle majorité de Français, cette majorité ne se retrouve pas dans les urnes ? Dès le mois d'août, j'ai annoncé aux amphi d'été comment nous allons nous y prendre. C'est arithmétique : plus l'abstention sera forte, moins ce sera bon pour nous. On a donc concentré toute notre logistique dans le but de faire reculer l'abstention des milieux populaires via le porte-à-porte, les caravanes, les référents par immeubles. Voilà notre stratégie de campagne. Faire voter les milieux populaires. S'ils votent, notre chance est immense de gagner.

Pensez-vous que les Verts pourraient se retirer en votre faveur, si vous êtes en première position dans la dernière ligne droite ?

Je ne sais pas. Ils ont été capables de le faire pour les socialistes. Mais il y a eu une telle diabolisation, à dessein, car nous étions les plus forts. J'ai été personnellement diabolisé de toutes les manières possibles. Sur des heures de perquisitions, on a eu droit à 40 secondes de mes yeux exorbités. Sans qu'une seule fois personne ne demande si c'était normal qu'il y ait 100 personnes qui nous perquisitionnent ?

Est-ce que vous êtes lancé dans une stratégie de dédiabolisation ?

Non, parce que je ne suis pas ma caricature, pardon de vous le dire. Beaucoup n'ont pas fait attention à d'où je venais, ce que j'ai fait et comment j'évolue. On s'est arrêté à des effets de tribune.

J'ai même entendu un journaliste dire : « ce type est fou, il veut être "le bruit et le Führer". » Cela m'a bien fait rire.

Jean-Luc Mélenchon : « Pour les patrons et les industries du futur, je suis une affaire formidable. Avec moi, au revoir les aléas du marché ! »

Jean-Luc Mélenchon

Vous êtes un peu un tribun quand même.

Beaucoup et j'en suis fier. C'est ma tradition historique. Des fois, je surestime la culture de mes adversaires. Quand je dis « ma personne est sacrée », je m'identifie au tribun du peuple. Dans la Rome antique, c'est un crime devant les dieux de l'empêcher d'agir. C'est un peu romanesque et je reconnais que je n'aurais pas dû penser de mes adversaires qu'ils connaissaient l'histoire. De même que le jour où j'ai dit : « je suis le bruit et la fureur». Le monde actuel conduit à une inégalité telle qu'il va y avoir de la violence partout et j'ai dit je suis « le bruit et la fureur ». Comment ai-je fait pour ignorer que la plupart de ceux qui m'ont entendu alors ne savaient pas que c'est le titre d'un des plus grands romans de William Faulkner tiré d'un vers de Shakespeare ? J'ai même entendu un journaliste dire : « ce type est fou, il veut être "le bruit et le Führer". » Cela m'a bien fait rire.

En voyant monter cette extraordinaire vague de haine contre les musulmans, quelque chose s'est réveillé en moi. Cela tient à mon enfance, dans le Maghreb, à la période de la décolonisation.

Jean-Luc Mélenchon

Vous êtes devenu plus sage, dans un monde de fureur ?

Le temps passe sur tout le monde. A 70 ans, attendez vous à moins me voir faire des sauts périlleux arrière. Je ne joue pas la comédie. Je suis comme je suis, à chacune des étapes. Il y a autre chose. En voyant monter cette extraordinaire vague de haine contre les musulmans, quelque chose s'est réveillé en moi. Cela tient à mon enfance, dans le Maghreb, à la période de la décolonisation. De cette énorme cohue dans laquelle je me suis trouvé pris : le départ du Maghreb.

Je partais du Maroc, où il n'y avait aucun problème particulier, mais toute ma famille partait d'Algérie. Cela m'a ramené à l'idée de comment faire en sorte que tout cela ne recommence pas. Je ne veux pas qu'on retrouve dans ce pays les doses de haine que j'ai pu voir se créer. Les hommes qui étaient mes modèles d'esprit d'aventure, d'entreprise se transformant tout d'un coup en ces gens hargneux, contre lesquels j'ai été protégé par mon éducation. Je ne veux pas que cela recommence ici.

Que des jeunes de 10, 11, 12 ans se sentent rejetés par la communauté nationale, comme nous l'avons été, nous jeunes pieds-noirs. Cela me pousse à dire mollo. Il faut apaiser. Parce que je sais que si vous laissez sortir cette pâte là du tube, elle ne pourra plus rentrer. Il faut faire ce qu'on peut, chacun à sa place, pour éviter que cela dégénère.

La sécurité du monde et la place de notre pays sont en jeu. Nous ne sommes que 67 millions : on a intérêt à être vigilants.

Jean-Luc Mélenchon

Vous avez dit que les questions de sécurité et de défense étaient mal traitées dans les élections. Vous aviez, il y a 5 ans, évoqué une sortie progressive de l'Otan. On a vu que les thématiques vous ont rattrapé. Emmanuel Macron a évoqué l'état de mort cérébrale de l'alliance militaire transatlantique. Il y a un début de débat sur la question de l'Otan, suite à l'affaire des sous-marins français qui auraient dû être vendus à l'Australie. Sur plusieurs sujets de sécurité, vous allez peut-être pouvoir davantage porter ces questions. Si la France sort progressivement de l'Otan, quelles sont les solutions pour assurer la sécurité du pays, et quelles sont les alliances possibles ?

Vous dites que les thèmes sont sur la table. A présent, ici, oui mais ce n'est généralement pas le cas. Cette situation est exceptionnelle. On ne parle jamais de défense. Tout est figé, tout est tabou. Si vous dites quelque chose contre les Etats-Unis, on vous traite instantanément d'anti-américain primaire. Ce à quoi je réponds que je ferais de l'anti-américanisme supérieur, le jour où il y aura de l'américanisme supérieur.

Mais si vous m'interrogez sur ces questions, c'est que vous sentez bien à quel point c'est fondamental. La sécurité du monde et la place de notre pays sont en jeu. Nous ne sommes que 67 millions : on a intérêt à être vigilants. Mais nous sommes visibles, hâbleurs et surtout présents sur tous les continents et toutes les mers. Nous sommes donc une nation directement impliquée dans la marche du monde.

Les dirigeants français le traitent cela avec beaucoup de désinvolture. Le pire étant Monsieur Hollande qui ne s'y intéressait pas et en avait une vision faite de beaucoup d'ignorance. Il a, par exemple, signé un mois après avoir été élu, un accord à Chicago pour l'Otan, acceptant qu'on installe des batteries anti-missiles en Pologne. On nous vendait ça comme une machine à contrer des missiles iraniens. Il a avalé cela tout rond, en disant « j'ai fait connaître mes réserves ». Mais aussitôt l'Europe était transformée en champ de bataille.

Si on accepte les missiles anti-missiles en Pologne et qu'ils menacent 70% du processus de défense des Russes, cela veut dire qu'on menace les Russes. Et donc qu'ils vont répliquer. On accepte qu'une partie de la bataille ait lieu en Pologne. De la même manière, les bombes nucléaires nord-américaines en Allemagne ne sont pas une affaire pour les Français, car ils rapprochent une cible de la France.

J'ai donné ces quelques exemples pour montrer que ce sont des questions où il faut faire preuve de caractère et de courage. Il y a aussi les modèles de ceux qui ont su le faire. Mitterrand disait que la menace de l'Union soviétique n'était pas prise au sérieux. Il avait cette phrase terrible :« Les fusées sont à l'Est, les pacifistes à l'Ouest ! ». Ce n'est pas selon moi le meilleur moment de sa présidence, mais il l'assumait. Nous étions dans l'obligation de dire si oui ou non on le soutenait.

Le Général de Gaulle avant lui avait assumé une position d'une incroyable provocation : créer la force nucléaire française « tous azimuts ». Les journalistes lui disaient : « tous azimuts !! mais aussi pour les Américains ? ». Je partage cette position. La France défend ses frontières toute seule. Et elle doit prendre tous les moyens d'exercer des représailles. La dissuasion nucléaire est une arme posthume. Tout le monde vit en paix avec les Français parce qu'ils sont capables de répliquer avec une violence insoutenable. En sachant que cette violence n'aurait pas la même signification si on l'appliquait à un pays comparable au nôtre, ou à une immense nation, avec des milliards de personnes. Une arme nucléaire n'a pas le même sens si vous devez tirer 4 à 5 fois avant d'obtenir le même résultat qu'avec un seul tir sur la France.

Nous en étions là, à se poser des questions sur l'efficacité de nos moyens. La France a commencé à retirer les fusées du plateau d'Albion, trop visibles. On a gardé une force nucléaire qu'on transporte par avion et une autre sous la mer. Pour les sous-marins, tout repose sur leur indétectabilité. S'ils le sont, tout ce que nous avons en mer ne sert plus à rien. Nous avons de forts doutes sur le caractère non-détectable des sous-marins français. Car nous avons appris que les câbles sous-marins étaient des détecteurs et nous nous demandons si depuis l'espace il n'est pas possible de voir.

Un changement radical dans ce domaine s'est produit. L'espace était démilitarisé par un accord signé notamment par la France et les Etats Unis. Mais les Américains ont décidé de le déchirer et de créer un état-major de l'Espace. Tout le monde a compris ce que cela voulait dire. Puis, on a appris que les Chinois avaient tiré sur un satellite, puis que les Américains et les Russes savaient le faire. Si on est capable de détruire un satellite, cela veut dire qu'on a la capacité de couper toutes les connexions qui dépendent de ce satellite. Une bonne partie des systèmes de détection et de mise en relation de l'armée française sont liés à l'espace. Pas que de l'armée française d'ailleurs. La dissuasion se passe aujourd'hui dans l'espace. Et à l'inverse depuis l'espace on peut tirer sur la terre.

Plus besoin de dissuasion nucléaire si on est capable de la pratiquer depuis l'espace.

Jean-Luc Mélenchon

Vous êtes pour une dissuasion spatiale et un désarmement nucléaire ?

Il faut faire les deux. Si vous n'êtes pas une menace, en état de résister, vous n'êtes pas crédible. La situation comporte une possibilité technique nouvelle. Depuis l'espace on peut aussi tirer sur la terre. Il suffirait d'un tir sur la centrale de Nogent et il n'y aurait plus de France. Nous serions totalement désorganisés par le déménagement de 12 millions de personnes. Nous pouvons faire la même chose aux autres. Qui affronterions-nous ? Pas nos voisins. Rien ne dessine un conflit avec eux. Ceux en état de nous frapper, on les connaît : ceux qui ont la capacité de le faire depuis l'espace. On sait comment répliquer. Plus besoin de dissuasion nucléaire si on est capable de la pratiquer depuis l'espace.

La France est-elle crédible sur cette question de l'espace? La filière, c'est 15.000 personnes qui tirent la technologie. A t-on assez de moyens sur le civil et la défense, sachant que l'avenir du monde se joue là-haut ?

Nous avons une industrie spatiale. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Tout le monde pense que c'est facile de faire une fusée. La question technique réglée par nos scientifiques et nos techniciens, c'est la maîtrise des lanceurs. A Kourou, nous avons le 3ème port spatial du monde. Nous tirons de beaux engins : Ariane 5, bientôt 6 et des fusées russes, italiennes. On sait tout faire, d'un bout à l'autre de la chaîne. On sait même faire des missions dans l'espace lointain, comme Rosetta.

Vous évoquez une mission vers Mars.

Pourquoi on ne le ferait pas? Les Etats-Unis ont lancé une sonde sur Mars. A Toulouse on voit le robot, les caméras sont françaises, l'appareil qui a fait le labo est français. Les américains ont fait la fusée, ce qu'on sait faire aussi.

Si je suis élu Président, je n'accepterais pas que reste à Toulouse le centre de l'Otan pour l'espace. Ils iront plus loin, mais pas à portée d'écoute de leurs « grandes oreilles ».

Jean-Luc Mélenchon

Mettrez-vous de l'argent ? Les Américains, eux, ont leur modèle Nasa/Elon Musk qui a produit un entrepreneur de l'espace.

Si l'industrie spatiale continue et joue un rôle plus grand, cela entraînerait le reste de l'économie. C'est pourquoi je suis partisan d'investir beaucoup dans ce secteur clé. Je veux dire aux Français qu'ils sont le 2ème peuple du monde pour la cotisation individuelle au spatial. Il faut d'abord nous débarrasser des mauvais alliés, qui ne tiennent pas leur parole : les Allemands. Ils ne réservent pas leur placement de satellites aux fusées européennes dont ils sont pourtant actionnaires. Ils éprouvent le besoin d'aller se traîner aux pieds des Américains, dont ils sont les alliés et les vassaux. Nous avons besoin d'avoir des alliés sûrs, stables, fiables comme les Italiens. A ceux qui méprisent l'Europe du sud, je veux rappeler que la 2ème puissance économique d'Europe, c'est la France, la 3ème l'Italie et la 4ème, l'Espagne. La richesse de l'Europe est produite au Sud, pas au Nord, ni à l'Est. Il faut reprendre conscience des réalités.

Puisque nous sommes si forts, nous aurons une expédition sur un objet spatial pour développer nos capacités. Il faut participer à des choses sur lesquelles on gardera l'autonomie d'un bout à l'autre. Si les Emirats Arabes Unis arrivent à envoyer quelque chose sur Mars, pourquoi pas les Français et les Italiens ? Pas contre, pas question de continuer des manœuvres en commun avec les Allemands et les Américains dans l'espace. Si je suis élu Président, je n'accepterais pas que reste à Toulouse le centre de l'Otan pour l'espace. Ils iront plus loin, mais pas à portée d'écoute de leurs « grandes oreilles ».

L'industrie spatiale française, avec moi comme président de la République, connaîtra des développements qu'elle n'a jamais eu jusqu'à présent.

Jean-Luc Mélenchon

Elon Musk n'est donc pas votre héros ?

Le type me rappelle les bouquins de science-fiction. Mais la vérité c'est que Elon Musk n'existe pas. Il n'existe que par les contrats que la Nasa lui passe, donc l'Etat américain.

Il a eu l'audace d'envoyer des satellites à moindre coût via des lanceurs réutilisables.

On va trouver une solution. Ariane 6 est une merveille technique. Elle va abaisser de manière considérable le coût des satellites qu'on va envoyer dans l'espace. L'industrie spatiale française, avec moi comme Président de la République connaîtra des développements qu'elle n'a jamais eue jusqu'à présent. Nous créerons une université francophone de l'espace pour accueillir toutes les jeunes intelligences du monde francophone. Ce sont des centaines de millions de francophones, pas loin du milliard. C'est là que se trouvent l'énergie et la vitalité. C'est là que se trouve l'avenir de la France.

Il va falloir fabriquer des bateaux. Ça tombe bien, les Français ont des chantiers navals. Tout le monde n'en a pas.

Jean-Luc Mélenchon

Vous parlez beaucoup de la mer. Quelle est votre idée de développement sur les mers et faut-il exploiter le fond des océans ?

Je suis assez content d'avoir réussi à ramener en politique un débat qui n'existait plus : la mer. Je l'ai fait avec l'amicale complicité des gens de mer, quel que soit leur bord politique. Nous sommes le deuxième territoire maritime du monde. Sous Lionel Jospin, la France a accru de 10% son territoire, sans tirer un coup de fusil (par le programme d'extension du plateau continental « extraplac », Ndlr).

Mais pour garantir et assurer nos responsabilités sur cet ensemble, nous avons l'équivalent de 2 voitures de police pour tout l'hexagone. C'est d'autant plus déplorable que nous sommes confrontés à des problèmes importants en mer. Il n'existe pas de droit sur les grands fonds, qui sont des endroits où chacun fait ce qu'il veut. Cela ne nous est pas égal. Car à la première marée noire, personne n'est capable de reboucher les forages. On l'a vu dans le Golfe du Mexique, où le pétrole s'est déversé sur les côtes pendant des mois suite à un accident. Si nous prenons la situation en Méditerranée, la France ne peut pas être d'accord pour creuser des trous pour trouver du gaz ou du pétrole au large de Chypre ou de Gaza. La mer Méditerranée met 100 ans à se renouveler.

Donc vous ne creusez pas tant qu'on n'a pas la garantie qu'on est capable de faire face à un accident. Et c'est vrai pour toutes les mers du monde. Une de nos premières tâches sera de remettre tout cela sur la table. Cela illustre ma conception de la puissance. Dès lors que la France est capable de se protéger seule, ce n'est pas le plus difficile, alors elle n'a plus besoin de faire des démonstrations de force. Elle peut être une puissance par son autorité morale, en prenant en charge des tâches d'intérêt général pour l'humanité telles que la protection des océans. En faisant cela, nous créons aussi un volant d'entrainement pour notre économie. Il va falloir fabriquer des bateaux. Ça tombe bien, les Français ont des chantiers navals. Tout le monde n'en a pas.

On a failli en perdre la propriété.

On ne déménage pas comme ça un chantier naval. C'est vrai que les Italiens avaient des chantiers en Chine. On avait des raisons de se méfier d'eux. Mais il y a toujours moyen de s'entendre avec les Italiens. En attendant, les chantiers navals existent. C'est là qu'on va fabriquer ce dont on a besoin. Je prends un exemple tout bête. Trouvez-vous normal qu'on ait un seul bateau pour aller sur les terres australes françaises ? La France est positionnée au pôle Sud où on a un bateau qui tourne tantôt pour l'armée, tantôt pour la recherche scientifique, tantôt pour un autre. Trois copropriétaires. L'ancien bateau, on l'a vendu à une ONG qui fait aussi du travail de recherche. On a besoin de plusieurs bateaux pour les terres australes françaises. Il nous faudrait un brise-glace. Il faut renouveler tout le matériel. Sinon pourquoi une base scientifique permanente en Antarctique ?

Ma réflexion de fond sur le sujet de la dette, c'est que personne ne la payera jamais.

Jean-Luc Mélenchon

Cela va coûter beaucoup d'argent, comme pour le plan de bifurcation écologique. Vous parlez de 200 milliards. Vous les trouvez où ?

Ce n'est pas très difficile ! Nous avons une banque française, qui dépend de l'Etat, la BPI. Elle peut s'approvisionner auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE). Mais on peut aussi emprunter à d'autres. En ce moment, c'est plutôt intéressant d'emprunter. Ce sont les gens qui nous payent pour nous prêter. Le taux actuel est de 0,1% et l'inflation, c'est 3%. C'est une bonne situation. C'est le moment de s'endetter.

Cela pourrait changer...

Si on passe son temps à avoir peur, on ne fait rien. Ma réflexion de fond sur le sujet de la dette, c'est que personne ne la payera jamais. Aujourd'hui, la dette de la France n'a jamais été aussi importante mais n'a jamais payé aussi peu. Pourquoi ? Parce que ce qui compte avec une dette, c'est la charge qu'elle impose, pas le montant global.

Les idéologues du camp d'en face ont inventé une nouvelle règle pour faire peur : les rapports entre la dette et la richesse produite sur un an. Une règle ridicule. Imaginez qu'on le calcule avec vos dettes immobilières personnelles. Au lieu de regarder ce que cela vous coûte tous les mois et si cela est supportable par rapport à vos revenus, on dirait : cela représente 200 à 300 fois votre salaire annuel. Vous avez une crise cardiaque instantanée. C'est pourtant le calcul appliqué aux Nations.

La France est en moyenne endettée sur 7 ans. Cela fait à peine 12% de la richesse produite en une année. C'est rien. La preuve : tout le monde court après les titres de la dette française. On a voulu nous faire le coup de la Grèce en abaissant notre note sous Hollande. Mais où en est la Grèce ? Tout cela a commencé en 2010, nous sommes en 2022. La dette grecque a plus que doublé. Tout cela n'est pas sérieux sur le plan économique. Le sérieux économique, c'est d'être capable de payer tous les mois ce qu'on doit. Moi je trouve que c'est encore excessif. On peut le réduire. Comment ? En discutant avec la BCE. Voilà ma position. La dette Covid est pour l'essentiel, en valeur, dans la caisse de la Banque Centrale Européenne. Cette dette-là doit être annulée. Cela ne coûterait rien à personne. Aucun investisseur ne serait floué. Pour vous rassurer on peut la mettre perpétuelle et à taux zéro. Cela permet de rester dans le bilan d'institution financière.

Notez ce que je dis comme un engagement. Aucun pays ne paiera jamais sa dette publique car elle est trop élevée. Pour s'en débarrasser il y a plusieurs autres hypothèses. D'abord couper la gorge de l'Etat. Plus de service public : c'est ce que les orthodoxes essaient de faire. Ensuite, faire de l'inflation. Avec 10%, en 10 ans il y a plus de dettes. Troisième hypothèse, vous faites la guerre. Vous détruisez beaucoup et vous fabriquez beaucoup. Ou encore, pire que tout : la banqueroute.

Mais le secteur le plus dangereux, ce n'est pas la dette de l'Etat, c'est la dette privée. Elle représente plus que la valeur de la production d'une année. Et quand une grande entreprise endettée ferme parce qu'elle a trop de dettes, vous ne récupérerez jamais votre argent. Il est donc un acteur public capable de prendre la relève si cela tourne mal. Je prends un exemple actuel : les prêts garantis par l'Etat. Beaucoup d'entreprises n'arrivent pas à rembourser. Si l'Etat ne paye pas, cela s'écroule en dominos. Donc il faut les reprendre.

C'est un peu ce que dit Christine Lagarde : en disant qu'elle ne remontera pas les taux de sitôt, elle fait du Mélenchon ?

Je suis sûr d'une chose : on pourrait aussi décider de ne pas payer. Si nous devions être pris à la gorge, pour moi c'est : la France d'abord, la dette après. Je ne suis pas [Alexis] Tsipras. Le premier ministre grec a choisi de céder, alors qu'il était en état, du fait du mécanisme européen de stabilité financière, de se faire respecter. De dire qu'il n'était pas en capacité de payer. Il ne l'a pas fait, c'est son affaire.

S'il avait refusé de payer, cela aurait couté 45 milliards à la France et 65 milliards aux Allemands. Ils se seraient traînés à genoux pour que Tsipras revienne à la table négocier avec eux. J'utilise des formules imagées pour faire comprendre que l'économie est un rapport de forces. Il faut arrêter de croire que l'économie est seulement une science. C'est un rapport de forces, un rapport social.

La planification a été inventée par le capitalisme, par Monsieur Ford.

Jean-Luc Mélenchon

Revenons sur les investissements écologiques et la méthodologie de votre planification écologique pour embarquer tous les acteurs. Comment ça fonctionne ?

Le mot planification a été choisi à dessein, pour faire parler. On me répondait : c'est le Gosplan ! Les gens qui croient que le plan est une invention des Soviétiques se trompent. La planification a été inventée par le capitalisme, par Monsieur Ford ! Il faut un plan, parce qu'on a besoin, pour une bifurcation pareille, de visibilité. On ne peut pas dire que « chacun fait comme il le sent » et laisser faire le marché. Il faut associer tous les acteurs.

Je ne suis pas partisan, dans le cadre d'un mandat de 5 ans, de la collectivisation de tous les moyens de production. Ce n'est pas ma proposition politique. Notre programme décrit une économie mixte. Il faut donner de la visibilité à l'entrepreneuriat privé et à l'Etat. Nous allons engager des dépenses et le faire par secteurs. Il y a des priorités.

Si on veut réduire le recours aux énergies carbonées, il faut passer à autre chose. Il faut fabriquer des éoliennes en mer, parce que sur terre, c'est des histoires à n'en plus finir. Il faut utiliser la géothermie, travailler sérieusement à utiliser la puissance de l'océan. On n'en parle jamais mais savez-vous où est la plus grande climatisation du monde ? En Polynésie française. Elle prend l'eau froide dans la mer. Cela sert pour un hôpital. On sait faire.

Dans la mer, vous avez 4 fois la puissance dont on a besoin sur terre en électricité. Il y a aussi l'eau des rivières de France. On peut y mettre des hydroliennes. Il y a déjà une entreprise qui transforme d'anciens moulins en petites centrales électriques. Et il y a les techniques de demain. EDF a créé la première chaîne de panneaux qui fonctionnent à la luminescence. Il suffit qu'il fasse jour. Ils ont fermé cette chaîne. Je surveille qu'il ne vendent pas les brevets. Je rappelle qu'il existe dans le code pénal de quoi punir ceux qui trahissent les intérêts de la Nation. Je le dis pour créer une ambiance de travail. La rigolade est finie si c'est moi qui m'en occupe.

Et on sort du nucléaire ?

C'est une énergie du passé. C'était bien quand on l'a fait. Cela a été fait de manière remarquable. On a fait évoluer des brevets américains, cela a marché un temps, mais on arrive au bout. On a déjà 17 centrales qui ont déjà dépassé 40 ans. On est en zone de risque et on nous dit que cela coûte 80 à 100 milliards le grand carénage.

Des chiffres contestés.

EDF dit 50 mais ils n'ont pas intérêt à charger la mule, car cela alourdit son bilan. Mais là on parle du recarenage. Et les déchets ? Personne ne s'y intéresse. C'est le plus problématique. On les a sur les bras pour 10 à 20.000 ans. Et les incidents ? Même les responsables de l'énergie nucléaire ne disent pas qu'il n'y a aucun risque. Même 1% de risque, c'est 100% de dégât quand il se réalise. A Gravelines, s'il y a un problème, il faut quitter Calais et Dunkerque pour 10.000 ans. Ce n'est pas sérieux d'ignorer un danger pareil.

Mettre des EPR partout. Mais ça ne marche pas ! Ça coûte plus cher et aucun délai n'est tenu à l'image de Flamanville. Et attendez que les Français comprennent qu'on leur enlève les éoliennes pour leur mettre des mini centrales nucléaires à la place !

Jean-Luc Mélenchon

On vit avec ce risque depuis longtemps. Si on ferme les centrales, on risque de se trouver avec une explosion du prix de l'électricité ou de rallumer des centrales carbonées. On n'a pas aujourd'hui les capacités de stocker les énergies intermittentes.

Faire la soudure, c'est à ça que sert la planification. Mais il faut fermer parce que les centrales ont dépassé l'âge. Les premières centrales nucléaires à fermer sont celles au-dessus des grandes villes comme Nogent sur la Seine et la plus vieille, à Bugey.

La nouvelle énergie doit remplacer progressivement l'ancienne. Il n'est pas question d'arrêter et de tomber dans le noir. Ceux qui comptent sur le nucléaire en disant que les nouvelles énergies alternatives sont intermittentes, tout le monde sait qu'il y a la nuit et le jour, merci.

Mais qui va leur dire que dans le cadre du réchauffement climatique, le refroidissement des centrales nucléaires se présente différemment. On a connu une situation où 4 réacteurs sur 10 ont dû être mis en arrêt, avec la conjonction des réparations pas faites avec le Covid et du réchauffement de l'eau des rivières. Quelle alternative propose Macron ? Mettre des EPR partout. Mais ça ne marche pas ! Ça coûte plus cher et aucun délai n'est tenu à l'image de Flamanville. Et attendez que les Français comprennent qu'on leur enlève les éoliennes pour leur mettre des mini centrales nucléaires à la place !

Concernant le gaz, se pose le problème de l'indépendance de la France par rapport à ses fournisseurs, notamment la Russie de Poutine.

Sur l'énergie, le mieux c'est de se débrouiller seul, chaque fois qu'on peut. Pour ça, progressivement on change le système. Si on a plus d'hydroliennes et d'éoliennes offshore en mer, on n'aura plus de Russes ou d'Américains qui viendront nous dire ce qu'on doit faire. Le gaz vient en France soit de la Russie, soit des Etats-Unis, par bateaux. Il est utile d'éviter de se faire peur exclusivement avec les Russes, qui ont toutes sortes d'intérêts partagés avec nous, en oubliant les très chères livraisons des Etats-Unis. Les seuls qui nous ont menacés jusqu'à présent, ce sont les Etats-Unis. Lorsque nous avons refusé la 2ème guerre du Golfe. Ils ont décidé des mesures d'embargo contre les Français. Avec l'embargo sur les pièces militaires, notre porte-avion n'avait plus de lanceur.

Cette quête d'autonomie joue en faveur du nucléaire, même si nous dépendons du Niger et du Kazakhstan pour l'uranium.

Excusez du détail. Avez-vous vu au Niger comme les choses sont simples ? Il y a une colonne française coincée là-bas. Elle a réussi à sortir du Burkina, mais elle n'arrive pas à rentrer au Niger. Et après vous venez me dire qu'on est indépendant, mais à quel prix ? Et si les Nigérians décident que c'est insupportable que les Français viennent chercher de l'uranium, qu'est ce qu'on fait ?

Il y a de l'uranium ailleurs, au Kazakhstan.

Chez un tyran, qu'on a été obligé de se repeindre en ami de la France, alors qu'il est dénoncé par toutes les ONG du monde. Le président Hollande a été obligé de se déguiser avec un chapeau et un manteau en moumoute lors de sa visite. Ce jour-là, il n'y a pas eu de démonstration plus simple qu'on dépendait de quelqu'un qui pouvait nous imposer ce qu'il voulait. Il faut donc arrêter avec des arguments qui n'en sont pas. Nous ne sommes pas indépendants. Nous ne sommes pas hors changement climatique avec le nucléaire. Ce n'est pas vrai.

La raison veut qu'on fasse les choses dans l'ordre. C'est pour ça que je parle planification. Pour les patrons et les industries du futur, je suis une affaire formidable. Avec moi, au revoir les aléas du marché, au revoir les changements d'un jour sur l'autre des spéculateurs. Vous tombez sur quelqu'un qui vous dit qu'on va faire ça pendant dix ans. Il y a un marché garanti. Vous pourrez investir là-dedans avec de la visibilité.

Quoi qu'il arrive, mon programme s'appliquera. Et il ne sera du pouvoir de personne de nous en empêcher, sauf les Français eux-mêmes s'ils décident que Mélenchon doit rentrer chez lui par le biais d'un référendum révocatoire.

Jean-Luc Mélenchon

Vous avez critiqué l'alliance avec l'Allemagne en préconisant une alliance avec le Sud de l'Europe. Quelle est votre vision de l'Europe ? Vous Président, pensez-vous qu'on peut maintenir les alliances industrielles sur les batteries, l'hydrogène, Airbus... ?

Je suis pour la coopération internationale donc je ne peux pas dire que je ne m'intéresse pas à une coopération qui existe. Cependant l'Europe s'est mise dans une impasse toute seule, avec des traités qui lui imposent un régime unique : la concurrence libre et non faussée à l'intérieur et avec le reste du monde. La suite est connue : c'est la destruction des services publics. Si avec la planification, je décide d'aller à la souveraineté alimentaire en France, il faudra bien créer un marché pour l'agriculture vivrière. Mais si vous décidez que toutes les cantines de France sont en bio et approvisionnées sur le marché local, vous tombez sous le coup de décisions des traités européens qui l'interdisent. C'est contraire à la concurrence libre et non faussée.De la même manière, si on interdit les glyphosates, on interdira l'entrée en France des produits qui contiennent du glyphosate. On demandera donc « l'opt out » (option de retrait, Ndlr), qui est une clause des traités. On sort de l'application entière des traités. Si on utilise la méthode de « l'opt out », on est dans une crise positive. On pose un problème et on essaye de le régler. Comme cela concerne la France, la deuxième puissance du continent, il est temps de s'en rappeler, on essayera de trouver une solution. Mais quoi qu'il arrive, mon programme s'appliquera. Et il ne sera du pouvoir de personne de nous en empêcher, sauf les Français eux-mêmes s'ils décident que Mélenchon doit rentrer chez lui par le biais d'un référendum révocatoire.

Si vous avez en face de vous une Allemagne sociale et écologiste avec une nouvelle coalition, pourriez-vous vous allier avec eux ? Ils ont aussi besoin d'une planification écologique, non ?

Ils ont besoin de faire de la dépense publique.

Ils augmentent même les salaires.

Il était temps. La coalition allemande, son principal défaut est d'être allemande. Ils ne s'intéressent qu'à eux. C'est normal. Madame Merkel a défendu la position politique de la droite allemande. Elle a été élue pour ça. Ce qui était bizarre, c'était quand on élisait des gens de gauche en France qui faisaient la politique de la droite allemande. Là, il y avait un problème. Aujourd'hui il y a un accord avec lequel je ne suis pas d'accord. Sur la défense ils disent : « c'est l'Otan ». Ce n'est pas notre avis. Sur les pesticides ? « Autant que de besoin ».

Ce qui est bon pour l'Allemagne de demain, c'est de régler son problème démographique. La dénatalité allemande est un problème immense. Leur seule solution c'est d'intégrer des gens arrivés chez eux et de les transformer en Allemands, comme nous le faisons en France avec le droit du sol. N'en déplaise aux Zemmour et compagnie.

Ensuite, il faut que les Allemands s'occupent de leurs infrastructures, les routes, les ponts, qui sont en état désastreux. S'ils faisaient cela, cela les revitaliserait. Il faut qu'ils commencent chez eux. On ne leur demande pas de venir faire nos routes. Ils sont tellement arrogants. Madame Merkel a dit un jour qu'il n'y avait pas de raison qu'ils travaillent pour payer les retraites du Sud. C'est une accusation gratuite et méprisante à l'égard du Sud.

Les Allemands doivent devenir plus soucieux des autres. Ils ne se sont souciés de personne quand ils ont fait la réunification. Ils ont augmenté leurs taux d'intérêt de manière inouïe avec des conséquences pour toute l'Europe. Et quand ils arrivent dans une coopération, ils nous prennent tout. On fait des fusées, ils sont avec nous, un jour ils payent plus que les autres et ils veulent arrêter le programme spatial européen.

C'est vrai que l'ordre du monde est plus simple aujourd'hui pour les thèses que je soutiens. Je n'ai plus besoin de faire peur. Le sujet des salaires est désormais bien compris. Je ne suis pas un exalté. Je tiens compte des rapports de force que je peux créer.

Jean-Luc Mélenchon

Le monde tel qu'il évolue rend-il plus réalisable votre programme que dans le paradigme d'avant, lorsqu'en 2017, vous arriviez avec un choc de compétitivité avec la hausse du smic ? Sommes-nous dans un momentum, avec la crise Covid, marquée aussi par la hausse de l'inflation, qui rend possible une hausse des plus bas salaires ? On le voit même aux Etats-Unis ou en Allemagne. Cela explique-il votre changement d'attitude ?

C'est vrai que l'ordre du monde est plus simple aujourd'hui pour les thèses que je soutiens. Je n'ai plus besoin de faire peur. Le sujet des salaires est désormais bien compris. Je ne suis pas un exalté. Je tiens compte des rapports de force que je peux créer. J'ai lu beaucoup de choses sur la manière de créer des rapports de force, y compris quand vous êtes le plus faible. Il faut que les gens soient absolument persuadés que vous irez jusqu'au bout de ce que vous comptez faire. Pas que vous céderez en 48 heures comme un Hollande ou un Tsipras. Je suis capable d'aller au bout. Je n'ai pas d'attaches avec cet ordre du monde, avec ce système. Je n'ai pas de sympathie pour lui, car il est brutal. S'il venait à prendre fin, cela ne me chagrinerait pas.

"Il n'y a pas de compromis possible avec Mélenchon", vous reprochent les socialistes. Est-ce qu'à un moment vous seriez prêt à négocier ?

Tous les syndicalistes du monde comprennent mon attitude. Il n'y en pas un qui rentre en négociation en disant : « je céderai ». Il y a bien une négociation mais je n'ai pas l'intention de renoncer à l'indépendance militaire de la France, au programme spatial et à la souveraineté alimentaire. Qui m'obligera à continuer les légumes au glyphosate, à faire entrer en France des produits trop sucrés qui rendent malades ? Sur ces sujets, la réponse est non.

Les riches doivent partager. Mais on fera les choses raisonnablement, ne vous inquiétez pas. Ceux qui sont tout en haut vont en effet payer beaucoup, je ne vais pas le cacher. S'ils veulent avoir peur, qu'ils aient peur.

Jean-Luc Mélenchon

Vous voulez rétablir et tripler l'ISF que Macron a réformé pour en faire un impôt foncier. Est-ce que vous ne craignez pas de faire fuir les plus riches ?

Non. Les riches doivent partager. Mais on fera les choses raisonnablement, ne vous inquiétez pas. On le fera progressivement, car il y a riches et riches. Ceux qui sont tout en haut vont en effet payer beaucoup, je ne vais pas le cacher. S'ils veulent avoir peur, qu'ils aient peur. S'ils s'intéressent à leur patrie, ils auront un peu moins peur. Surtout quand ils ont affaire à quelqu'un qui dit nous planifions, nous prévoyons.

Et sur l'emploi, que ferez-vous ?

Je rétablirai le principe de faveur. On n'a le droit de faire un accord d'entreprise que s'il est meilleur que la branche et dans la branche que s'il est meilleur que la loi. J'ai la pratique de l'économie concrète, plus que beaucoup d'autres qui font des phrases. J'ai été ministre de l'enseignement professionnel. J'ai négocié avec toutes le branches patronales du pays. On négociait les qualifications. M. Macron a tout fait exploser. Tous ceux qui fabriquent quelque chose, auront la main d'œuvre formée, à haut niveau, disponible, pour le faire. On rétablira le bac pro en 4 ans. Je voudrais rappeler que je suis le seul candidat à proposer que tous les élèves de l'enseignement professionnel dès leur première année, puissent toucher 1.000 euros par mois d'allocation, de manière à ce qu'ils puissent ne faire qu'étudier et être à bon niveau.

L'essentiel de la richesse du pays, c'est le travail. En France, on n'a pas de matière première et pas l'intention d'aller la voler chez les autres. La valeur travail, j'en ai assez de voir des gens faire des gargarismes avec ça, parce que pour eux cela veut dire travailler dur et la fermer. Non, la valeur travail, c'est la valeur de la qualification acquise par les travailleurs. Raison pour laquelle je pense que les gens raisonnables, même s'ils me combattent politiquement, peuvent avoir un intérêt à discuter avec moi et à travailler dans le cadre de cette économie mixte et de planification écologique. Tout le monde y trouvera son compte.

Propos recueillis par Marc Endeweld et Philippe Mabille

44 mn

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