Au seizième jour d’audience, les victimes ou les proches des 13 personnes qui ont perdu la vie au bar La Belle Equipe se sont succédés à la barre. Six ans après les faits, leurs visages, leurs regards, leurs mots montrent à quel point leurs vies ont été bouleversées.
"La terrasse de la Belle Equipe était blindée", se souvient Chloé. Elle est la première à s’avancer face à la cour en ce seizième jour d'audience consacré au massacre survenu au bar La Belle Equipe. C'est une jeune femme blonde, belle, vivante, habillée de rouge, tout comme ses ongles vernis.
A la barre, face au président Jean-Louis Périès, elle n'est pas seule. A ses côté, un ami, frère d’une victime assassinée à la même terrasse dans le XIe arrondissement. Tout au long de son témoignage, où se mêlent douleur et colère, il la soutiendra, serré contre elle, l’enlaçant parfois.
Ce soir-là, Hooda, la directrice du bar fête son anniversaire. Des amis de longue date ou des potes du quartier sont venus. Chloé est là, "une parigote sur 3 générations", dit-elle. Elle a grandi à la Goutte d’Or dans un quartier bigarré. Elle travaille à la Belle Equipe comme serveuse tous les lundis. Mais ce soir-là, elle n'est pas de servive. Elle vient fêter l’anniversaire de Hooda, avec tous ses amis, dont, "Ludo", Macathéo Ludovic Boumbas.
La jeune femme décrit l'ambiance d'une soirée de l'est parisien. "Je croise Michelli (Gil Jaimez, décédée), qui me montre sa bague de fiançailles, je croise Hodda (Saadi, décédée), qui me dit qu’elle a retrouvé son amour de jeunesse, je croise Jacinthe (Koma, décédée), je vagabonde."
"Ludo vient d’arriver, quel dragueur, il me complimente sur ma tenue vestimentaire, je n'ai pas le temps de répondre, la première rafale de balles commence, on entend les bruits de verre et ça coupe l’électricité partout, je suis touchée mais j'en ai pas conscience. (...) Ludo me plaque au sol, il y a des balles par milliers, des étincelles, on ne comprend pas ce qui se passe, il me protège avec son corps, Djamila (Houd, décédée) supplie les assaillants d’arrêter. Et puis une autre rafale encore plus forte et après plus rien, un silence glaçant".
Ensuite, la jeune femme raconte le chaos qu’elle voit autour d’elle. "Un silence mortuaire" si ce n’est le gémissement des blessés. "Je regarde Ludo, Ludo ne répond pas." (...) "Je suis entourée de cadavres. La terrasse est retournée, les corps sont embringués les uns dans lesautres", poursuit la jeune femme.
Elle est en état de choc. Blessée au bras, des amis l’accompagnent rapidement à l’hôpital. "Nous sommes les premiers à arriver à l’hôpital. On supplie les pompiers d’aller aider nos amis, mais à ce moment-là, personne ne comprend trop ce qu’il se passe", explique-t-elle. Quelques dizaines de minutes plus tard, "c’est l’hécatombe. Tous les blessés du Bataclan ont débarqué. Comme les urgences sont surchargées, je demande à rentrer chez moi." Elle doit patienter. Dans une chambre, une infirmière lui dit en pleurs : "J’ai vécu la guerre d’Algérie, jamais je n’ai vu autant d’atrocités."
Chloé évoque les conséquences sur sa vie. Elle ne souhaite plus venir dans le quartier. "Cela me rappelle trop ce que j’étais et ce que je n'ai plus", souffle-t-elle défaite. Elle décrit "les conséquences sur les invisibles, nos familles", réceptacles des doutes, des peurs, des colères.
Une vidéo d’hommage à "Ludo", Macathéo Ludovic Boumbas a été projetée dans la cour d’assises. On le voit danser.Des images qui témoignent de "l'ambiance qui règne habituellement dans ce bar, mais aussi le soir de la fusillade", a précisé Maître Bibal, l’avocat de la partie civile.
"Aujourd’hui on a besoin d’enterrer cette histoire, mon poto, mon héros, mon Ludo merci de m’avoir sauvé la vie, merci d’avoir fait qui je suis. J’ai aussi une intime pensée pour tous mes amis survivants, des athées, des juifs, des bouddhistes, des musulmans, des orthodoxes", a t-elle conclu. Le président de la cour la remercie pour son témoignage "aussi émouvant" avant d’appeler une autre partie civile.
C'est au tour d'Ambre de venir témoigner de ce qu'elle a vécu ce soir-là. Elle était serveuse à La Belle Equipe.
Elle se souvient d’une journée magnifique : "Je devais travailler le soir. Je vais plein d’enthousiasme à cette soirée d’anniversaire pour fêter les 35 ans de ma responsable.", explique-t-elle avec beaucoup de difficultés. "Tous les amis de la directrice de salle sont présents, il y a foule. 21 h 30, c’est l’heure de la pause cigarette. Juste avant cela, on me demande des coupes de champagne je cherche les coupes et me retrouve derrière le bar." Ensuite vient le bruit balles : "Je suis accroupie derrière le bar, puis je me lève car j’ai quand même des responsabilités ici. Mais on me crie de m’allonger", se souvient-t-elle.
Les tirs reprennent puis s’arrêtent. "En sortant sur la terrasse, je reste figée, je ne comprends pas ce que je vois. Je ne reconnais pas les gens, que je connais pourtant. Des gens filment avec leurs téléphones portables, je leur hurle d’appeler les secours. En téléphonant à ma mère, ensuite, je lui dis que c’est la guerre. Il y a des morts partout", dit-elle bouleversée, ses mains malaxant son masque jaune. Le regard perdu, elle raconte des sanglots dans la voix, la longue attente des secours qui n’arrivent pas.
Ambre raconte aussi comment elle a tenu la main de son amie Hodda et comment elle tente de la convaincre "qu’elle est forte." (...) "Ça a été une des dernières personnes prises en charge par les secours. Ils ont considéré sans doute qu’il était trop tard…" Elle explique qu'elle n'a pas voulu se laver les mains pour conserver le sang de son amie Hooda.
"Voilà pour les faits", déclare-t-elle en tremblant de tout son corps. Elle parle également des conséquences sur sa vie : "Longtemps je me suis demandée pour quoi je n’étais pas morte, je sais que ce sont des questions à la con", sourit-elle. Elle témoigne de sa difficulté à vivre, à retrouver un travail et le garder. Elle se convainc que tout va bien. Son avocat intervient alors pour signaler qu'Ambre est "une blessée grave" selon des rapports psychiatriques.
Tout l'après-midi, des témoignages comme ceux de Chloé ou Ambre vont se suivre. Ils parlent de la douleur de la perte des êtres chers et de la culpabilité de vivre. Camille dit avoir été "figée par l'effroi." Avec son ami Sammy, ilsvenaient fêter l’anniversaire de la directrice du bar.
Camille a elle aussi les mains fébriles qui se cherchent et se tordent. Sa voix se perd en sanglots. Ils venaient de commander à manger, un groupe d'amis est parti fumer à l’extérieur. "Nous avons survécu, pas les autres", murmure-t-elle.
Et de poursuivre "Je n’ai pas été blessée, je n’ai pas pris de balle, il se trouve que ma vie a été bouleversée par cet événement", avoue-t-elle. Elle énumère les cauchemars, les insomnies les médicaments, les thérapies. "Ma vie a basculé, il n’y aura plus de retour en arrière", partagée entre la culpabilité d’être en vie et l’immense tristesse qu’il y a en elle.
Durant ce procès, Camille aimerait comprendre "comment des êtres humains peuvent participer à de telles tueries" et ajoute : "Cela peut-être aussi être l’endroit où comprendre ce qui pourrait être amélioré, pour se préserver d’une telle violence."
Pour finir, elle a tenu à rendre hommage à chacun de ses amis disparus : "Jacinthe, son charisme unique légendaire, son humour incroyable, son sens extraordinaire du lien aux autres. Marie-Aimée, son rire fantastique, sa générosité, son courage impressionnant, sa détermination redoutable. Justine, sa délicatesse merveilleuse, sa luminosité, sa bienveillance dans tous les domaines. Hodda, sa douceur si rassurante sa droiture mais aussi sa joie de vivre, communicante. Thierry, sa solidité, sa bonté et son audace."
A la barre, durant ce long et douloureux après-midi de témoignages, il y a eu Valérie, la mère de Mathilde grièvement blessée, "une miraculée" comme le déclare Jean-Louis Périès, le président de la cour. Elle dit être là "en tant que victime par ricochet."
Elle raconte son calvaire et affirme comme les victimes précédentes : "Nous sommes les Invisibles. Je suis venu représenter les parents de victimes. On a morflé".
A la barre, il y a eu aussi Juliette et son amoureux rencontré sur les réseaux sociaux, Jessica qui fêtait ses 24 ans, ou Thomas qui a grandi dans le XIe arrondissement et quelques autres encore.
DIRECT. Assassinat de Razia Askari à Besançon : "Pas de culpabilité, ni de remords, manque d'empathie", le profil de Rashid Askari, accusé de l'assassinat de sa femme, disséqué
[Vidéo] The Amazing Spider-Man 2 : la bande-annonce ultime
Nantes. Il avait agressé un chauffeur de tram : condamné à 6 mois, il évite la prison
Test du Samsung AU9000 | TechRadar