Cyril FiévetCyberculture01 octobre 2021 à 10h1011Sommaire

Et si tous les immeubles produisaient plus d’énergie qu’ils n’en consomment ? Et si repenser la façon dont sont conçus et construits les bâtiments était l’une des principales clés d'un développement urbain durable ?

Moonshotsest une rubrique de Clubic présentant de façon résolument optimiste des technologies innovantes et futuristes, susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes de notre monde à moyen ou long terme. Idées improbables, innovations de rupture et solutions crédibles : de quoi faire (un peu) rêver à un monde meilleur, un mercredi sur deux.

Comme le rappelle le Forum économique mondial (WEF), les immeubles représentent à eux seuls 39 % des émissions globales de gaz à effet de serre (11 % en matériaux et construction et 28 % en émissions de fonctionnement). Savoir construire et opérer des immeubles qui n'ont qu’un faible impact sur l’environnement sera crucial pour atteindre les objectifs des accords de Paris sur le climat.

Beaucoup d’efforts sont déjà menés dans ce sens, avec succès. En particulier, des immeubles produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment (dits « immeubles à énergie positive », parfois abrégé en « BEPOS », bâtiments à énergie positive) se multiplient en plusieurs endroits du monde et démontrent qu’un immeuble peut aussi être écologique.

Brattørkaia — © Powerhouse

La Norvège à la pointe

Le Powerhouse Brattørkaia, un immeuble de huit étages à Trondheim, en Norvège, est souvent cité en exemple. Finalisé en 2019, il abrite 18 000 m2 de surface de bureaux, une mezzanine et un parking sous-terrain.

Tout, depuis le design initial jusqu’à sa construction (ou sa démolition ultérieure), a été pensé pour réduire l’impact énergétique et environnemental de l’édifice. Le bâtiment tire ainsi parti d'un ensemble de technologies et principes innovants pour réduire radicalement la consommation quotidienne : circulation d'air pour réduire le recours au chauffage, récupération de chaleur, récupération et traitement des eaux grises, utilisation d’eau de mer pour le chauffage et le refroidissement, utilisation d’appareils électriques particulièrement économes en énergie... La structure de l’immeuble elle-même, à base de béton à faibles émissions, est exposée au travers de découpes stratégiques dans le plafond. « La masse absorbe et retient la chaleur et le froid et permet de réguler la température dans le bâtiment sans utiliser d'électricité », expliquent les architectes du projet.

Brattørkaia — © Powerhouse

En outre, grâce à son toit recouvert de près de 3 000 m2 de panneaux solaires, l’immeuble produit environ 460 000 KWh par an. Et le résultat est probant : « En moyenne, l’immeuble produit plus de deux fois plus d'électricité qu’il n'en consomme quotidiennement et s’auto-alimente en énergie renouvelable, tout en alimentant des bâtiments voisins ou des bus électriques, voitures et bateaux via un micro-réseau local ».

Powerhouse, qui regroupe cinq entreprises et organisations norvégiennes et a donné naissance à Brattørkaia, a produit par le passé plusieurs autres de ces « immeubles climatiques », dont une école occupant 900 m2 et produisant 30 500 kWh par an (école Montessori à Drøbak) ou encore un ancien immeuble rénové (à Sandvika) générant jusqu'à 21 kWh de surplus énergétique par mètre carré habitable.

Ecole Montessori — © Powerhouse

Un autre projet, initialement porté par Powerhouse avant d’être acquis par Miris, a été médiatisé récemment : Svart, un luxueux resort destiné à devenir le premier hôtel au monde entièrement auto-suffisant. Initialement prévu pour 2021, le chantier a été retardé (notamment pour cause de crise Covid) et l'hôtel devrait ouvrir en 2023.

Bâti sur un fjord, au bord du deuxième plus gros glacier de Norvège (Svartisen, à l’intérieur du cercle arctique), l’hôtel de forme circulaire adoptera des parti-pris radicalement écologiques : peu ou prou de béton, acier, aluminium ou briques (remplacés notamment par des pilotis en bois et pierre), potager et pisciculture durables sur site, recyclage des eaux usées, capture et recyclage de la chaleur dispensée par les cuisines...

Demain, des immeubles écologiques et sources d’énergie ?

Des panneaux solaires alimenteront le tout, avec l’objectif pour l’hôtel d’être non seulement totalement déconnecté du grid mais aussi de fournir son surplus d’électricité aux communautés locales ou pour alimenter une flotte de bateaux électriques circulant autour du resort. « Svart démontrera que le voyageur contemporain peut contribuer à la croissance durable de notre planète sans sacrifier aux agréments et au confort de la vie moderne », assurent les promoteurs.

Le projet Svart, en cours de construction — © Svart

Immeubles écologiques

L’idée fait donc son chemin et, outre la Norvège, on trouve des démarches similaires et des exemples d’immeubles à énergie positive aux quatre coins du monde.

Par exemple en Allemagne, comme le note le Conseil allemand de l’immobilier durable, une bonne quinzaine d’immeubles pionniers en la matière ont vu le jour ces dernières années, qu’il s’agisse d’immeubles de bureaux, d’agences bancaires, d’écoles ou de maisons individuelles. Tous utilisent des procédés innovants pour atteindre la neutralité énergétique et réduire l’impact environnemental : nouveaux matériaux, nouveaux principes d’isolation et de circulation des flux thermiques, nouveaux modes de stockage d’énergie...

Le City Hall de Fribourg, en Allemagne, est l'un des plus gros immeubles à énergie positive d'Europe — © HGEsch, Hennef

Même chose en France, où des dizaines d’immeubles agrées BEPOS ont vu le jour, dont quelques-uns sont emblématiques, comme le bâtiment Descartes+ de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, l’un des plus anciens (inauguré en 2012) et qui produit 32% de plus d’énergie qu’il n’en consomme. Ou comme le Hangar 108 à Rouen (Hôtel de la Métropole Rouen Normandie), mis en service en 2017 et toujours le plus grand immeuble à énergie positive français (8 000 m2). Début septembre 2021 était aussi annoncé à Dijon un projet immobilier d’une nature inédite : les premiers logements sociaux à énergie positive. Construits « à coûts standards » sur une parcelle de 2 300 m2 et sur trois étages, l’immeuble « produira plus d’énergie qu’il n’en consommera, permettant ainsi à ses habitants d’avoir une facture d’énergie proche de zéro et donc un gain important de pouvoir d’achat et de confort ».

Autre exemple à Singapour, où le campus de l’Université nationale abrite désormais plusieurs bâtiments à énergie positive, dont le SDE4, finalisé en 2019, qui utilise un dispositif novateur en matière de climatisation et abrite 1200 panneaux solaires générant 500 MWh d’énergie par an. L’université estime que ce seul bâtiment permet d’économiser 180 000 $ en électricité par an.

On commence du reste à percevoir les bénéfices réels de toutes ces démarches. Aux Etats-Unis, Unisphere, pleinement opérationnel depuis 2019 et considéré comme le plus gros immeuble commercial à énergie négative du pays, a fait l'objet l’année dernière d’un audit complet notamment destiné à mesurer sa pertinence au plan énergétique. Le bâtiment de six étages, qui abrite le siège social d’une entreprise de biotechnologies, utilise 3 000 panneaux solaires, mais également un système géothermique complexe et unique en son genre : 52 puits creusés à 150 m de profondeur, assortis d'une circulation de liquide réfrigérant, de pompes à chaleur hydrauliques et d’une piscine intérieure servent aussi bien à chauffer qu’à refroidir les locaux.

L'audit apporte un éclairage sur les données réelles, après un an d’exploitation : « La consommation énergétique totale de l’immeuble est d'environ 6% inférieure aux prédictions, mais la production solaire est également inférieure d'environ 22% à ce qui était prévu ». Malgré tout, avec une production totale de 915 MWh, « le bâtiment était toujours en mesure d'atteindre l'objectif d'énergie zéro, malgré une énergie renouvelable plus faible que prévu renvoyée au grid ». Ajustements et optimisations (tant des systèmes thermiques que de l’éclairage et autres systèmes électriques) continent d’être effectués, mais les principes mis en œuvre ont d'ores et déjà fait leurs preuves. « Les données de performance d'Unisphere montrent que ce type de bâtiments — s'ils sont conçus, construits et mis en service de façon appropriée — peuvent fonctionner comme prévu et ne sont pas juste des études théoriques », concluait-on en octobre 2020.

Hangar 108 à Rouen

Le numérique à la rescousse

On le voit, l’enjeu n’est pas juste d’installer des panneaux solaires sur les toits ou d’inclure des murs végétaux en façade des immeubles, mais bien de repenser — de A à Z — la façon dont sont conçus, construits et utilisés les bâtiments.

Pour le Forum économique mondial, on peut identifier « quatre tendances cruciales » qui sont autant de vecteurs sur lesquels agir pour parvenir aux bâtiments zéro carbone : la décarbonisation, l'électrification, l’efficience énergétique et la numérisation. Toutes doivent être savamment combinées pour réduire les émissions et limiter l’impact environnemental des immeubles.

L'intérieur du Brattørkaia — © Powerhouse

Et dans tout cela, le numérique joue un rôle particulier. Capteurs électroniques et systèmes automatiques intégrés aux bâtiments sont loin d’être des gadgets, mais bien l’une des clés de l’optimisation des ressources. En se numérisant, les immeubles deviennent « intelligents » (smart buildings) et « ils tirent parti de systèmes de détection et de contrôle avancés, de l’analyses de données et de l’optimisation énergétique pour activement réduire la consommation et la demande d'énergie, tout en améliorant d’une part le confort, la santé et la productivité des occupants, d’autre part la résilience des installations », note le Forum.

Et l’apport est significatif. « Des commandes automatisées de base peuvent faire économiser 10 à 15% d'énergie dans les bâtiments commerciaux », explique le WEF, tandis que « des systèmes de contrôle de ventilation à la demande peuvent ajouter 5 à 10% d’économies », tout comme le contrôle numérisé du chauffage et de l’éclairage, suffisant pour entraîner des économies d’énergie supplémentaires de 8 à 18%. Ajouté à des systèmes automatisés de détection des pannes ou favorisant le diagnostic, ou encore à des dispositifs d’optimisation de l’usage d’électricité (produite in situ ou provenant du grid), on comprend que le numérique appliqué à la gestion des immeubles est « un élément crucial pour assurer l’efficience et l’empreinte carbone nulle des bâtiments, tout en réduisant les investissements dans les infrastructures de réseau électrique — une priorité absolue si nous voulons atteindre les objectifs de 2050 », conclut le WEF.

Cela confirme, si besoin était, que réduire la facture environnemental des immeubles passe par l’innovation technologique. En repensant la construction et l’opération des immeubles, en inventant de nouveaux matériaux et en s’appuyant sur toute la panoplie d’outils numériques disponibles (IoT, Big Data, Intelligence artificielle, blockchains...), la voie paraît toute tracée vers des constructions qui n’abîment plus la planète mais en deviennent des poumons complémentaires. Pour les immeubles comme pour bien d’autres choses, de véritables solutions écologiques existent, sans sacrifier confort et modernité.

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