LE QUOTIDIEN : Six millions de Français n’ont pas de médecin traitant et plus d'un Français sur deux ont déjà renoncé aux soins. À qui la faute ?
GÉRARD RAYMOND : C'est l'ensemble du système qui est responsable de cette pénurie médicale, aggravée par une vision économique de la gestion de la santé. C'est ce qui a provoqué une perte de sens et des valeurs à la base de l'engagement des professionnels de santé que sont la solidarité et l'humanisme.
Mais aujourd'hui, la crise est trop grave pour pointer du doigt une quelconque corporation. On pourrait accuser les médecins de ne pas avoir su évoluer, et de s'être accrochés à des négociations conventionnelles qui n'étaient pas à la hauteur des enjeux de transformation du système de santé. Mais c'est trop facile ! Nous sommes dans une situation compliquée, pas simplement pour les patients mais aussi pour l'ensemble des professionnels de santé et particulièrement les médecins libéraux. Ce qui m'intéresse est de savoir comment se retrousser les manches pour trouver des solutions. Mais il faudra que certains fassent des efforts plus importants que d'autres.
Justement, dans votre plateforme présidentielle, vous voulez imposer la régulation à l’installation. Sous quelle forme ?
Cette régulation doit passer par une réflexion intelligente et pragmatique sur la situation. Oui, on ne va pas continuer à conventionner les médecins libéraux qui souhaitent s'installer dans les zones où il y a déjà suffisamment de praticiens. Mais on ne va pas non plus envoyer les jeunes au fin fond de la Lozère, sans réfléchir à l'offre de soins existante, sans les aider à élaborer un projet médical en fonction des besoins de la population et à travailler avec les autres professionnels de santé, les élus et les structures hospitalières.
C'est dans ces conditions que les médecins peuvent retrouver un intérêt à s'installer dans les zones sous-dotées. Nous estimons que c'est faisable si chacun fournit des efforts pour avoir un projet médical solide, travailler avec les moyens modernes que sont le numérique en santé et le partage de compétences, notamment avec les infirmières en pratique avancée. Cette façon de faire est beaucoup plus intelligente que de donner 20 000 euros pour acheter un ordinateur. En tout cas, la médecine solitaire, c'est terminé, maintenant c'est de la médecine « solidaire », de groupe.
Précisément, l’exercice médical en solo se réduit au profit des modes d’organisation collective (maisons de santé, centres de santé, CPTS). Faut-il aller encore plus loin ?
Absolument ! Les jeunes médecins sont attirés par les modes d'organisation en équipe, quel que soit leur statut, libéral ou salarié. Ces modèles ont certes eu un peu de mal à se développer à cause de la réticence initiale de certains syndicats et de praticiens préalablement bien installés. Mais aujourd'hui, la volonté pour développer ces collectifs de soins est beaucoup plus importante.
De notre côté, nous avons signé un manifeste en faveur des maisons de santé car nous savons que demain, ce sera un outil puissant pour répondre à la pénurie médicale. Dans ce cadre, les patients ont un rôle à jouer sur ce que doit être l'offre de soins sur leur territoire. Leur place est évidemment aux côtés des élus et des professionnels de santé pour bâtir de véritables projets médicaux. Mais ce n'est pas le cas actuellement car les législateurs ont oublié de nous faire participer aux MSP et aux CPTS !
Le paiement à l’acte fait partie des piliers de la médecine libérale. Souhaitez-vous le supprimer ?
Je ne souhaite pas supprimer le paiement à l'acte car, dans le cadre des consultations non programmées, l'acte est très important. En revanche, dans le cadre du suivi des pathologies chroniques, le forfait est plus pertinent. Il faut donc travailler sur une rémunération mixte. Mais je n'ai aucune idée de la juste proportion des forfaits. Aujourd'hui, tout généraliste a au moins 20 % de patients diabétiques de type 2 ou avec des problèmes cardiovasculaires. Ces patients-là, intégrés dans un parcours d'accompagnement, devraient être pris en charge dans le cadre de forfaits ou d'enveloppes globales que l'on pourrait réévaluer au fur et à mesure.
Êtes-vous partisan de la fin des dépassements d’honoraires ?
Oui, nous voulons la suppression des dépassements. Est-ce que la consultation d'un spécialiste libéral vaut trois plus que celle d'un médecin généraliste classique en secteur I ? Si c'est juste pour me dire que ma glycémie va bien, je vais payer trois fois plus cher chez un diabétologue, ça rime à quoi ? Trouvons des organisations qui permettent à ces spécialistes de second recours d'exercer pleinement leur expertise, avec un niveau de rémunération correspondant au service médical rendu.
Cela nécessite de revoir le mode de rémunération de la profession, quitte à améliorer le montant de la consultation. Demain, on devrait avoir la capacité de graduer cette rémunération en fonction des compétences et du service rendu. Je trouve à cet égard que les consultations à 25 euros ne veulent rien dire du tout. Certaines valent beaucoup plus que 25 euros et d'autres moins.
Quel regard portez-vous sur l’explosion des usages numériques ? Y voyez-vous une forme de déshumanisation de l’exercice ?
Pour moi la déshumanisation de la médecine, c’est le manque de médecins ! Il est trop facile de botter en touche. Cela dit, si l’outil numérique peut être la meilleure des choses, il ne faudrait pas en faire la pire. La télémédecine peut servir à créer du lien entre le citoyen et le professionnel de santé, et à soulager l'organisation des soins, mais la téléconsultation ne remplacera jamais le colloque singulier. Le diagnostic doit se faire en présentiel, on ne va pas annoncer une maladie grave, un cancer, à travers un écran.
Je veux insister sur l’intérêt de la télémédecine dans le cadre des parcours programmés chez les malades chroniques. Pourquoi perdre une demi-journée pour aller voir mon médecin alors que je peux lui envoyer ma glycémie à distance grâce aux outils numériques ? Ça ne tient pas la route.
Après l’échec du DMP et le lancement de « Mon Espace Santé », est-on sur la bonne voie ? Comment ne pas laisser de côté les patients éloignés du numérique ?
Le DMP était un outil hors sol, on s’est loupé pendant 15 ans, on y a laissé beaucoup d’argent et ça n’a servi à rien. Avec « Mon espace Santé », il ne faudra pas se rater. Désormais, il y a une stratégie de vrai coffre-fort numérique qui appartient à chacun d’entre nous.
Mais effectivement, il y a toujours le risque de mettre certains patients de côté, c’est pourquoi nous mettons la pression sur l’Assurance-maladie et la délégation du numérique en santé pour accorder des moyens financiers et humains et permettre aux 66 millions de Français de se saisir de ces outils. Il faudra aussi accompagner efficacement les médecins, car cet espace sera une révolution dans leur cabinet : tout saisir dans les logiciels métiers, utiliser une messagerie sécurisée… Il faut que cette révolution se fasse dans les meilleures conditions possibles.
Depuis des années, vous souhaitez la montée en puissance des « patients experts ». Leur rôle est-il reconnu ?
Ça fait des années que nous disons que l’accompagnement par les pairs, dans le cadre de l’éducation thérapeutique, est un plus par rapport au seul discours médical. Évidemment, certains membres du corps médical s’y sont opposés, en nous disant que c’était impossible.
La loi Kouchner de mars 2002 avait encadré la représentation des usagers dans le système de santé mais pas celle des patients experts. 20 ans plus tard, tout le monde est conscient que l’expérience du patient dans sa maladie chronique est importante. Certains interviennent dans la formation initiale des médecins, pour leur donner un avant-goût des patients qu’ils rencontreront plus tard. La Fédération française des diabétiques déploie environ 200 patients experts, quelques centaines aussi pour la Ligue contre le cancer. Il nous apparaît indispensable de réguler leur statut pour clarifier ce que peuvent apporter ces patients experts dans la qualité des soins.
À l’aube des 20 ans de la loi Kouchner, quel bilan tirez-vous des droits des malades ? Était-ce une révolution ou de l’habillage ?
Oui, ça a été une vraie révolution… il y a 20 ans. Sauf que la crise nous a bien montré que les textes ne suffisaient pas. En pleine pandémie, plus personne n’a écouté les patients ! Les hôpitaux ont pris des décisions — comme la fermeture des visites médicales — sans consulter les commissions d’usagers. Les conférences régionales de la santé et de l'autonomie ont été mises en sommeil, les directeurs d’ARS ont pris des décisions dans leur coin. Aujourd'hui, les instances de la démocratie en santé et les textes législatifs qui les encadrent ne sont à l’évidence pas suffisants. Il va falloir que l'on regagne en indépendance afin de créer un nouvel élan de la démocratie en santé.
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