L’adhésion de la République démocratique du Congo à l’EAC se confirme petit à petit. Il apporte son ticket gagnant avec de nombreuses opportunités d’affaires pour la communauté et le Burundi en particulier. Mais aussi ses défis politico-sécuritaires.
Dossier signé Guy-Arsène Izere et Agnès Ndirubusa
Les pays de la communauté d’Afrique de l’Est lorgnent du côté du nouveau venu. La République démocratique du Congo a plusieurs atouts pour séduire.
C’est le deuxième pays le plus vaste du continent. La RDC partage ses frontières avec cinq des États de l’EAC : la Tanzanie, Burundi, Rwanda, Ouganda et le Soudan du Sud.
Ce pays est également réputé pour être un « scandale » géologique avec un sous-sol riche à couper le souffle. Diamant, or, cuivre, cobalt, coltan, la liste de ses produits miniers est longue.
Ajouter à cela des forêts à perte de vue, une potentielle énergie hydroélectrique énorme et sa population de plus de 89 millions d’habitants. Ce pays présente sans nul doute un vaste marché d’investissement et d’écoulement.
Mais la nouvelle recrue de l’EAC apporte également dans ses bagages, son lot d’insécurité essentiellement à l’est du pays. Plusieurs groupes rebelles nationaux et de la région ont élu domicile dans cette partie du pays en proie depuis plus d’une décennie à l’insécurité.
Mais les pays de l’EAC se préparent à composer avec la RDC qui a fait sa demande d’adhésion. L’équipe de vérification de la conformité de cette entité régionale a déjà transmis son rapport aux chefs d’Etat des pays de l’EAC.
Les ministres chargés des affaires de la Communauté Est Africaine ont recommandé aux chefs de l’Etat d’examiner le dernier rapport de l’équipe de vérification de conformité. Une décision prise lors de leur 44ème réunion extraordinaire tenue le 22 novembre dernier.
Le rapport a observé, entre autres, les cadres institutionnels en place, les cadres juridiques, les politiques, les projets et programmes, les domaines de coopération avec d’autres États partenaires de la CAE et les attentes de la RDC vis-à-vis de son adhésion à la Communauté.
Les questions relatives à la paix et à la sécurité, à la langue et aux systèmes juridiques font partie des domaines qui seront pris en compte pour une voie stratégique à suivre lors des négociations.
Le secrétaire général de l’EAC, le Dr Peter Mathuki s’est montré très enthousiaste. « La population d’environ 90 millions d’habitants de la RDC a le potentiel de contribuer à l’élargissement des opportunités de marché et d’investissement. Avec la RDC, la Communauté ouvrira le corridor de l’océan Indien à l’océan Atlantique, ainsi que du nord au sud, élargissant ainsi le potentiel économique de la région », s’est-il réjoui.
Des échanges commerciaux entre le Burundi et la RDC
Les exportations du Burundi vers la République démocratique du Congo ont sensiblement augmenté, passant de 36.665,3 millions de francs burundais en 2015 à 60.945,9 millions de francs burundais en 2020, soit une hausse de 39%. Selon les données de la banque de la République du Burundi (BRB)Selon les données de la banque de la République du Burundi (BRB).
Pourtant, elles avaient diminué de 13.081 millions de BIF en 2018 par rapport à l’année précédente. La valeur de ces exportations était de 46.792,1 millions de BIF en 2017 et a diminué pour atteindre 33.711,1 millions de BIF en 2018.
La RDC est le deuxième marché d’écoulement pour le Burundi après les Emirats Arabes Unis. La valeur des exportations vers ce pays arabe était de 100.214,8 millions de BIF en 2020 et celle des exportations vers la RDC était de 60.945,9 millions de BIF pour la même année.
A titre d’exemple, pour l’année 2020, les exportations vers la RDC représentaient plus de 48% des exportations de toute l’Afrique. Elles étaient de 60.945,9 millions de BIF pour la RDC alors qu’elles étaient de 119.394 millions de BIF pour toute l’Afrique.
Elles dépassent également de 10.202,1 millions de BIF, les exportations de toute l’Europe, qui étaient de 50.743,8 millions de BIF pour la même année 2020, selon toujours les données de la BRBselon toujours les données de la BRB.
Les exportations du Burundi vers la République démocratique du Congo sont généralement constituées par les vivres, les jus, eau minérale et les boissons. Et, les importations sont quant à elles, constituées principalement de pagnes, les chaussures et le lait en poudre.
Les importations à partir de la RDC ont aussi suivi les mêmes proportions. Elles ont considérablement augmenté : elles étaient de 5.399,3 millions de BIF en 2015, elles sont passées à 6.946,2 millions de BIF en 2018 et elles ont atteint 16.256,9 millions de BIF en 2020, selon toujours les données de la banque de la République du Burundi.
>>Réactions
Pour le professeur Léonidas Ndayizeye, enseignant à l’université du Burundi à la Faculté des Sciences économiques, les échanges intra-communautaires dans la Communauté Est Africaine restent très faibles. « Pourtant, les blocs régionaux sont constitués pour booster les échanges intrarégionaux ».
M. Ndayizeye trouve qu’il y a un gain immédiat : « La libre circulation des personnes et des biens dans cette communauté. ». Si le Burundi avait des marchandises à vendre en République Démocratique du Congo, ce serait une belle opportunité, car c’est un vaste marché. Néanmoins, ce professeur estime que chaque chose a son début.
Un autre économiste sous couvert d’anonymat, fait savoir que pour profiter pleinement de l’adhésion de la RDC à la CEA, le Burundi devrait penser à la diversification des produits d’exportation.
Professeur Evariste Ngayimpenda, recteur de l’université du lac Tanganyika, indique que les échanges des étudiants et des professeurs existaient déjà entre la RDC et le Burundi au niveau de l’enseignement et de la recherche. « Avec l’intégration de la RDC, les échanges devraient s’intensifier ».
Selon lui, avec l’entrée de la RDC dans la Communauté Est Africaine, les universités burundaises qui désirent ouvrir des filières de formations en RDC bénéficieront une certaine facilité. « D’ailleurs deux universités, à savoir Lumière et Martin Luther King avaient essayé d’entrer en RDC », fait-il savoir.
Il ajoute que les Congolais pourront aussi ouvrir des filières de formations ici. « A considérer les coûts de formations, ils sont très bas au Burundi. Le pays en tirera une meilleure partie ».
M. Ngayimpenda recommande aux opérateurs privés et au pouvoir public de comprendre que c’est une bonne opportunité. Mais, poursuit-il, les opportunités profitent à ceux qui savent anticiper et les saisir. « Nous devons améliorer aussi notre système éducatif pour rendre nos étudiants plus compétitifs. »
Thierry Havyarimana, représentant de l’Association des Commerçants transfrontaliers du Burundi, salue l’adhésion de la RDC à la Communauté Est Africaine. « C’est une bonne nouvelle pour les commerçants transfrontaliers burundais et congolais ».
Pour lui, les commerçants des deux pays auront droit au régime du commerce simplifié de l’EAC. Ce dernier permet aux commerçants des pays membres ayant un capital de moins de 2.000 dollars américains de ne pas payer certaines taxes.
« Vous ne bénéficiez de cette exonération qu’après la présentation du certificat d’origine pour prouver que ces articles sont produits dans les pays membres de la communauté », précise M. Havyarimana.
Il espère que les barrières non tarifaires qui persistaient encore entre le Burundi et la RDC seront complètement supprimées et demande également de veiller au respect des lois qui régissent l’EAC, comme c’est le cas pour d’autres pays.
Jason Stearns, directeur du Groupe d’Etude sur le Congo (GEC) à l’Université de New York et expert de la sous-région nous livre son analyse sur les défis liés à l’intégration de la RDC. Dans un contexte politico-sécuritaire tendu malgré lequel les pays de l’EAC doivent pouvoir capitaliser l’entrée de ce grand pays dans la communauté.
Le chercheur américain indique qu’il y a plusieurs défis que rencontrent les pays de l’EAC. Ils sont essentiellement politiques, sécuritaires et économiques.
Pour ce qui est de la politique, Jason Stearns note que les pays doivent impérativement régler la question liée à la méfiance entre les pays de la Communauté Est Africaine.
Le Rwanda et l’Ouganda qui sont à couteaux tirés dont les frontières communes sont probablement fermées. C’est le cas aussi du Rwanda et le Burundi.
Cette méfiance existe aussi entre la RDC et ces trois voisins de l’est, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Tous ces trois pays ont participé à la guerre du Congo et sont perçus avec beaucoup de méfiance par la population congolaise. En général, il faut donc trouver une façon de générer la confiance entre ces pays de l’EAC. C’est au niveau culturel et politique.
Le deuxième défi est sécuritaire. Tant qu’il y a la violence à l’est du Congo, il sera difficile pour la région de parfaire son intégration. Il est vrai qu’il y a un grand commerce transfrontalier qui s’opère entre le Congo et ses voisin de l’est.
Mais ce commerce fait face à cette insécurité et il est difficile dans ce contexte d’instabilité que de grands investissements se fassent en RDC. « Cela est un défi générationnel. Ce n’est pas dans deux ou trois jours qu’il sera résolu. Mais c’est aussi quelque chose pour laquelle la RDC aura besoin de ces voisins. Des besoins dans la coopération militaire, mais aussi dans la coopération technique ».
Il s’agit donc pour tous les pays de l’EAC de ne pas permettre aux groupes armés d’utiliser les voisins comme bases arrière. Par exemple les rebelles M23 sont dans les camps en Ouganda et au Rwanda, selon lui.
Ce pays indique que plusieurs rebelles rwandais se servent du Burundi, de la RDC et l’Ouganda comme bases arrière. Les rebelles burundais ont des fiefs au Sud-Kivu… Bref, il faut que cela cesse et que le climat de confiance entre les pays revienne.
L’autre défi, très sérieux est un défi économique. C’est le plus grand défi de la Communauté des pays d’Afrique de l’Est en général. C’est lié au fait que les différents pays de la région sont à différents stades, niveaux de développement.
Et cela crée des craintes au sein des pays membres. Selon l’analyste, Certains ont la peur à l’idée d’ouvrir totalement leurs frontières pour la migration des personnes et compagnies.Ils ont la crainte que les pays plus développés profitent encore plus au détriment des populations locales. Il s’agit de la crainte que par exemple le Kenya puisse en tirer plus profit que les autres membres.
Jason Stearns affirme que cette peur se retrouve notamment chez les Tanzaniens qui craignent que le secteur touristique soit inondé par les Kenyans.
Cette crainte se retrouve également en République Démocratique du Congo. « A Goma, à Bukavu, même l’eau minérale provient des voisins. Le lait, les allumettes, à moindre degré les matelas… Cette ouverture serait une opportunité pour les autres pays, mais peut-être pas pour la RDC. Cela est lié à cette méfiance des uns et des autres. La plupart des Congolais se demandent comment permettre à un voisin qui avait envahi, qui a occupé une partie de leur territoire, qui a une très mauvaise réputation (je pense par exemple ici au Rwanda, mais d’une certaine façon aussi le Burundi et l’Ouganda) de revenir chez eux, mais maintenant comme commerçant pour se faire de l’argent ».
C’est un défi capital auquel il va falloir faire face. Donc si les pays de la communauté peuvent trouver des solutions à ces défis, l’intégration pourra bien se passer. « Mais déjà nous analysons qu’entre les autres pays de l’EAC, le courant ne passe pas très bien actuellement, je pense que la RDC ne va pas être différente. Les défis demeureront si les Etats ne parviennent pas à se parler franchement ».
Les groupes rebelles burundais en RDC
Plusieurs groupes armés sévissent au Nord et Sud-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. Parmi lesquelles figurent l’ADF de l’Ouganda, le FDLR et le FLN du Rwanda, le mouvement RED-Tabara (Résistance pour un Etat de droit au Burundi) et différentes factions des Maï – Maï du Congo.Le rapport des experts de l’ONU sur la situation en République démocratique du Congo, présenté le 17 août 2017 au Conseil de sécurité parle de trois groupes armés burundais sévissant au Sud-Kivu.Il y a les dissidents des Forces nationales de libération, FNL-Nzabampema aujourd’hui responsables de petites attaques et des vols côté burundais.Le rapport onusien parle également de la présence des Forces Républicaines du Burundi, Forebu qui a changé de nom en Forces populaires du Burundi (FPB), une rébellion composée essentiellement de déserteurs de l’armée burundaise.Tous ces groupes ont leur base arrière dans la province du Sud-Kivu, où ils bénéficient de la complicité de groupes Maï-Maï congolais, affirment les auteurs du rapport de l’ONU.
La langue de Molière s’invite dans la danse
Lors du 21ème sommet, les chefs d’Etat de la Communauté Est Africaine ont reconnu le français comme langue officielle de l’organisation à côté de l’anglais et du swahili.« Incontournable », a jugé un enseignant d’université.C’est au total plus de 100 millions d’habitants francophones avec la venue de la RDC qui vient agrandir l’équipe jusqu’ici tenue essentiellement par les Burundais.
Ces derniers se disent déjà réconfortés à l’idée que l’EAC va dorénavant composer avec le français. « Les Burundais francophones se sentaient exclus des discussions au sein des institutions de l’EAC. Nos jeunes pourtant plein de ressources avaient du mal à répondre à des appels d’offres dans le marché de l’emploi au sein des institutions de l’EAC. Cela va changer maintenant,» a indiqué un jeune diplômé à la recherche d’emploi.
Le professeur Evariste Ngayimpenda quant à lui espère que l’usage du français comme langue officielle dans la Communauté Est Africaine, deviendra effectif.
« C’était un désavantage pour nous, de travailler en anglais alors que nous sommes fondamentalement francophones. Il nous était d’ailleurs difficile de faire entendre notre voix ».
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