Sara était une lycéenne de 17 ans quand plusieurs combattants séparatistes ont occupé son école, l’obligeant à fuir sa ville natale dans la région du Nord-Ouest du Cameroun par crainte des attaques. Elle a décidé de se rendre dans la capitale, Yaoundé, pour terminer ses études. En chemin, elle a été arrêtée par des séparatistes armés. Ils lui ont pris les fournitures nécessaires à son éducation, ont déchiré ses manuels scolaires et ses cahiers, et l’ont avertie que le pire l’attendrait si on la retrouvait en possession de ses fournitures scolaires. À Yaoundé, elle ne pouvait pas payer ses frais de scolarité et a dû chercher un travail. Elle s’est mise à travailler dans une entreprise de production d’ananas. Deux ans plus tard, elle a abandonné son rêve de terminer l’école.
Clara est la directrice d’une école publique dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. Elle a refusé de se plier au boycott de l’éducation ordonné par les séparatistes. Lorsque des combattants séparatistes ont fait irruption chez elle en mars 2019 pour lui extorquer de l’argent et la punir, elle a payé 30 000 CFA (56 dollars US), et plus encore de son propre sang : ils lui ont infligé de multiples blessures corporelles, lui ont entaillé la main droite si gravement qu’elle a dû être amputée médicalement, et lui ont fait perdre l’usage de sa main gauche.
Les histoires de Sara et Clara sont malheureusement des expériences trop courantes pour les élèves et les enseignants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun qui, depuis 2017, sont victimes d’attaques de séparatistes armés contre l’éducation.
Ces attaques sont devenues fréquentes dans le cadre de la crise dans les régions anglophones du pays, due à une marginalisation politique, économique, culturelle et sociale ressentie après l’indépendance par la minorité anglophone des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Bien que le Cameroun soit un pays bilingue et bijuridique, de nombreux anglophones pensent que le gouvernement essaye d’écarter ou d’assimiler leurs systèmes éducatif et juridique pour le fondre dans le système francophone dominant.
Les tensions se sont intensifiées en octobre et novembre 2016, puis en septembre et octobre 2017, lorsque les forces de sécurité camerounaises ont fait un usage excessif de la force contre des manifestations pacifiques menées par des enseignants et des avocats. Différents groupes séparatistes armés anglophones ont fait leur apparition depuis et se sont développés, et l’éducation est rapidement devenue leur champ de bataille privilégié.
Les combattants séparatistes ont commencé à ordonner et à faire respecter le boycott des écoles, notamment en attaquant des dizaines d’établissements scolaires dans les régions anglophones. A l’instar de l’école de Sara, ils se sont aussi servis de ces établissements scolaires comme de bases pour stocker leurs armes et leurs munitions et détenir et torturer des otages. Les combattants séparatistes ont également attaqué, intimidé ou menacé des milliers d’élèves, de professionnels de l’éducation et de parents dans le but d’empêcher les enfants d’aller à l’école. Ces attaques, la peur qui en résulte et la détérioration de la situation sécuritaire ont entraîné la fermeture d’écoles dans les régions anglophones, privant ainsi les élèves de l’accès à l’éducation.
Les séparatistes armés portent l’entière responsabilité de ces attaques ciblées sur l’éducation, mais la réponse du gouvernement camerounais et des forces de sécurité a été insuffisante et est entravée par les nombreuses opérations anti-insurrectionnelles abusives menées dans les régions anglophones, qui ont répandu une méfiance profonde au sein de la population civile victime de ces opérations. Parfois, ces opérations doublées d’exactions ont également eu un impact direct sur l’éducation. Le rapport montre ainsi que les forces de sécurité ont brûlé au moins une école qui était utilisée comme base des séparatistes armés. Par conséquent, le renforcement de la sécurité qui devait permettre de protéger élèves et enseignants a, dans la pratique, renforcé les craintes de nombreux élèves et enseignants vis-à-vis des abus commis par les forces chargées de cette sécurité.
Basé sur des entretiens téléphoniques menés entre novembre 2020 et novembre 2021 avec 155 personnes, dont 29 élèves, anciens et actuels, et 47 enseignants et professionnels de l’éducation, ce rapport documente les attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles, ainsi que l’utilisation des écoles par des groupes séparatistes armés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest entre mars 2017 et novembre 2021. Il examine également l’impact de ces attaques, qui ont privé d’éducation quelques 700 000 élèves. Après avoir décrit les réponses du gouvernement camerounais, il met en évidence les lacunes et, surtout, les solutions que les autorités camerounaises, en collaboration avec leurs partenaires internationaux, pourraient potentiellement mettre en œuvre pour stopper les attaques contre l’éducation et trouver des solutions à ce phénomène.
Les combattants séparatistes ont tué, enlevé, agressé, menacé ou extorqué de l’argent à des centaines d’élèves et d’enseignants dans les écoles, sur le chemin de l’école ou à leur domicile. Human Rights Watch ne prétend pas avoir documenté toutes ou même la majorité de ces attaques, mais pense que ce qui a été documenté illustre l’étendue du problème, et permet de réfuter toute affirmation selon laquelle il s’agirait de problèmes isolés. Human Rights Watch a documenté le meurtre de onze élèves et de cinq enseignants : sept élèves ont été tués lors d’une attaque contre leur école à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, trois élèves et un enseignant ont été tués lors d’une attaque contre leur école à Ekondo-Titi, dans la région du Sud-Ouest, tandis que le onzième élève et les autres enseignants ont été tués alors qu’ils étaient chez eux ou sur le chemin de l’école. Human Rights Watch a également documenté la mort de deux écolières, respectivement causées par un gendarme et par un policier qui ont tiré sur des véhicules qui ne s’étaient pas arrêtés à des points de contrôle. Human Rights Watch a documenté l’enlèvement d’au moins 268 élèves et professionnels de l’éducation par des séparatistes armés entre janvier 2017 et août 2021. Dans la région du Nord-Ouest, lors de deux incidents seulement, l’un en 2018 et l’autre en 2019, des combattants ont réussi à enlever pas moins de 78 et 170 élèves dans leurs écoles respectives. La plupart des victimes (255) étaient des élèves, neuf d’entre elles étaient des enseignants et quatre des directeurs d’école. Les victimes ont déclaré que les combattants séparatistes les avaient ciblés parce qu’ils allaient à l’école.
Au moins 70 écoles ont été attaquées dans les régions anglophones depuis 2017 selon les informations des agences des Nations Unies, de la Banque mondiale, des organisations de la société civile camerounaise et internationale et des médias. Human Rights Watch a documenté en détail 15 attaques d’écoles par des combattants séparatistes entre janvier 2017 et novembre 2021. Des séparatistes armés se sont rendus dans des écoles, ordonnant leur fermeture, menaçant et terrorisant élèves et enseignants, et ont détruit les infrastructures et les biens de ces écoles, notamment par le feu.
Human Rights Watch a documenté l’occupation, entre début 2017 et mars 2019, d’au moins cinq écoles par des combattants séparatistes dans la région du Nord-Ouest. Ces combattants ont utilisé les écoles comme bases où ils ont aussi détenu des otages et stocké des armes et des munitions. Certains se déplaçaient d’une école à l’autre, comme ceux qui ont pris possession de l’école de Sara. Dans un cas, des preuves suggèrent que les forces de sécurité camerounaises ont brûlé un bâtiment scolaire qui avait été utilisé par des groupes séparatistes.
Les autorités camerounaises ont pris des mesures pour répondre aux attaques contre l’éducation, notamment en approuvant, en septembre 2018, la Déclaration sur la sécurité dans les écoles – un accord politique intergouvernemental visant à protéger les élèves, les enseignants et les écoles pendant les conflits armés. Conformément à ses engagements visant à garantir que les élèves puissent poursuivre leurs études, le gouvernement a fait usage de fermeté dans plusieurs campagnes de retour à l’école dans les régions anglophones. Il a également posté des forces de sécurité dans ou à l’extérieur des établissements scolaires, principalement dans les grands centres urbains, dans le but de renforcer leur sécurité. Cependant, cette présence sécuritaire est inexistante dans les zones rurales ou sur les routes menant aux écoles. Plus important encore, les réactions des élèves et enseignants au déploiement des forces de sécurité dans ou à l’extérieur des écoles ont été mitigées, car certains pensent que leur présence augmente le risque d’être pris pour cible par des séparatistes armés. Il est aussi urgent que le gouvernement s’attaque au manque de ressources et au surpeuplement des écoles dont les effectifs ont doublé, voire triplé, en raison de la nécessité d’accueillir les élèves déplacés.
En signant la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, le gouvernement camerounais a accepté de protéger l’éducation, notamment en enquêtant sur et en poursuivant les auteurs d’attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles. Contrairement à la grande majorité des victimes d’attaques contre l’éducation, Clara a bénéficié d’un certain degré de justice, puisqu’au moins un de ses agresseurs présumés a été arrêté et est actuellement jugé. Ce n’est malheureusement pas la norme : outre l’arrestation effectuée dans ce cas précis, Human Rights Watch n’a connaissance que de deux autres séries d’arrestations pour des attaques contre des écoles depuis 2017 – l’une concernant l’arrestation de 10 personnes après une attaque de 2019 contre une université, l’autre concernant l’arrestation de 12 personnes après l’attaque du 24 octobre 2020 contre l’école de Kumba. Le sort des 10 suspects arrêtés en 2019 est inconnu, et le procès des personnes arrêtées en lien avec le massacre de l’école de Kumba, qui s’est tenu devant un tribunal militaire, n’a pas respecté les règles de base en matière d’équité des procès. Cela laisse entendre que les séparatistes continuent de bénéficier d’une impunité quasi absolue pour leurs attaques contre l’éducation.
Les fermetures d’écoles en raison des ordres de boycott ou des attaques contre les écoles par les combattants séparatistes, la peur de devenir une cible parce qu’on étudie et les défis économiques ont concouru ensemble à une vague d’abandon de l’école, privant les jeunes des régions anglophones de leur droit à l’éducation. Cette situation a encore été exacerbée par de nouvelles fermetures d’écoles liées à la pandémie de Covid-19. Le traumatisme causé par le fait de vivre une attaque ou d’en être témoin, augmenté du manque de services de soutien psychosocial, a affecté la capacité des élèves à apprendre et a poussé de nombreux enseignants à changer de profession. Cela aura des effets à plus long terme sur la mobilité économique et sociale des individus concernés et sur le développement des régions et du Cameroun dans son ensemble. Ce rapport décrit non seulement les préjudices émotionnels, tels que ceux subis par Sara et Clara, mais aussi la résilience des élèves et des enseignants qui luttent pour poursuivre leurs études ou leur travail, les obligeant parfois à faire le choix d’un déménagement.
Près de 600 000 personnes ont été déplacées par la crise dans les deux régions anglophones – un chiffre qui inclut sans doute plusieurs milliers d’enseignants et d’élèves – et ont été contraintes de fuir et de refaire leur vie ailleurs. Ce rapport documente également les expériences des élèves et enseignants déplacés, en soulignant les difficultés spécifiques rencontrées par les enseignants les plus âgés.
Le droit international des droits humains oblige le gouvernement camerounais à respecter, protéger et mettre en œuvre le droit à l’éducation. En signant la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, le gouvernement s’est engagé à prendre des mesures pour prévenir les attaques contre les écoles et en atténuer les conséquences. Malheureusement, les attaques des séparatistes armés se sont poursuivies, en grande partie sans relâche, causant d’énormes souffrances aux élèves, aux parents et aux enseignants. En l’absence d’une action urgente pour remédier au manque d’accès à l’éducation causé par les attaques séparatistes, de nombreux élèves seront privés d’éducation et risquent d’être confrontés à un avenir sombre avec des opportunités socio-économiques réduites.
Le gouvernement du Cameroun, qui a la responsabilité première de garantir le droit à l’éducation, devrait rapidement donner accès à des formes d’éducation alternatives, notamment à l’éducation communautaire, l’enseignement à distance, l’apprentissage par la radio et aux espaces d’apprentissage temporaires pour les élèves qui ne sont pas scolarisés du fait de la crise, notamment ceux des milieux ruraux et les déplacés. Les responsables des attaques doivent être arrêtés et poursuivis, et un programme de réparations accessible au plus grand nombre, comprenant des services de réhabilitation physique et de soutien psychosocial, doit être mis à la disposition des victimes et de leurs familles. Le gouvernement camerounais devrait envisager la création de deux groupes de travail spéciaux, l’un chargé d’évaluer et de formuler des recommandations concernant les enquêtes et poursuites sur les attaques contre les écoles, et l’autre chargé de contribuer au rétablissement et à la poursuite d’un accès à l’éducation sûre pour tous les élèves.
Les partenaires internationaux du Cameroun comme le Canada, la France, l’Italie, la Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Commission européenne, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ou encore l’Union africaine, devraient fournir un soutien financier et technique pour s’assurer que les deux groupes de travail spéciaux et le programme de réparations disposent de ressources suffisantes et durables.
En temps de crise, il est crucial de garantir l’accès à l’éducation : les écoles offrent en effet un environnement sûr et protecteur et peuvent procurer un sentiment de normalité essentiel au développement et au bien-être psychologique des enfants. Toutes les parties prenantes de la crise anglophone au Cameroun doivent prendre des mesures immédiates pour éviter qu’une nouvelle génération ne soit privée d’éducation. Les dirigeants des groupes séparatistes doivent immédiatement annoncer la fin du boycott des écoles et ordonner aux combattants de cesser toute attaque contre les élèves, les enseignants et les écoles.
Amba boys : expression utilisée par certains Camerounais pour désigner les combattants armés séparatistes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Ambazonie (ou République d’Ambazonie) : terme utilisé par certains habitants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour désigner un État autoproclamé annoncé par des groupes pro-séparatistes et composé des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.
Régions anglophones : les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, deux régions anglophones minoritaires du Cameroun parmi les 10 régions administratives du pays.
Attaques contre l’éducation : pour définir les « attaques contre l’éducation », Human Rights Watch utilise la définition fournie par la Coalition mondiale pour protéger l’éducation contre les attaques, qui définit ces attaques « comme toute menace intentionnelle ou recours à la force – pour des raisons politiques, militaires, idéologiques, sectaires, ethniques, religieuses ou criminelles – contre des élèves, des éducateurs et des établissements d’enseignement ».
CFA : désigne le franc CFA d’Afrique centrale, la monnaie du Cameroun (CFA signifie Communauté Financière Africaine).
Enfant : Conformément au droit international, Human Rights Watch définit un « enfant » comme une personne âgée de moins de 18 ans.
Professionnel de l’éducation : Enseignants, directeurs d’école, administrateurs scolaires, membres de syndicats d’enseignants ou responsables éducatifs au niveau local.
Régions francophones : Les huit régions administratives francophones du Cameroun. Il s’agit des régions de l’Adamaoua, du Centre, de l’Est, de l’Extrême-Nord, du Littoral, du Nord, de l’Ouest, et du Sud.
Élève : Un « élève » peut désigner un enfant (moins de 18 ans) ou un adulte (18 ans ou plus).
Ce rapport s’appuie sur 155 entretiens téléphoniques conduits entre novembre 2020 et novembre 2021, notamment avec 29 élèves, actuels et anciens, 47 enseignants et autres professionnels de l’éducation, et 15 parents d’élèves. Parmi les élèves, anciens ou actuels, figuraient 4 enfants (2 filles et 2 garçons) et 25 jeunes adultes (9 femmes et 16 hommes). Nous avons également interrogé 64 autres personnes, dont plusieurs témoins de violations des droits humains, des anciens combattants séparatistes, des professionnels de santé, des travailleurs sociaux et humanitaires, des avocats, des journalistes, des représentants de la société civile, des responsables des Nations Unies et des diplomates. Les personnes interrogées étaient tous des habitants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.
Human Rights Watch a mené ces entretiens avec le soutien d’un vaste réseau de contacts au Cameroun. Les entretiens ont été menés en français, en anglais, en anglais pidgin et dans des dialectes locaux, avec le soutien d’interprètes de confiance qui étaient physiquement aux côtés des personnes interrogées pour les entretiens en anglais pidgin et dans les dialectes locaux.
Human Rights Watch a informé toutes les personnes interrogées de l’objectif de l’entretien, de sa nature volontaire et de la manière dont les informations seraient utilisées, et a obtenu un consentement oral ou écrit pour tous les entretiens. Nous avons indiqué à toutes les personnes interrogées qu’elles pouvaient refuser de répondre aux questions et mettre fin à l’entretien à tout moment. Les personnes interrogées n’ont pas reçu d’incitations financières ou d’autres avantages pour parler avec Human Rights Watch, au-delà du remboursement de leurs frais de déplacement, le cas échéant.
La quasi-totalité des victimes d’attaques et des témoins ont fait part d’inquiétudes sérieuses et de risques de représailles liés au fait de s’être entretenus avec Human Rights Watch. Nous avons donc utilisé des pseudonymes et nous avons fait en sorte de ne pas divulguer toutes les informations qui permettraient d’identifier la plupart des victimes et des témoins. Nous n’avons pas divulgué les noms des enfants et nous les avons parfois remplacés par des pseudonymes. Sauf indication contraire, nous avons donné l’âge des personnes interrogées au moment de l’entretien.
Human Rights Watch a cherché à pallier aux limites des entretiens téléphoniques en utilisant des sources secondaires pour corroborer les conclusions auxquelles ils ont permis d’aboutir. Nous avons étudié plusieurs rapports d’organisations humanitaires et de défense des droits humains camerounaises et internationales, examiné les informations publiées par des médias nationaux et internationaux et par des organes gouvernementaux, et consulté des photographies, enregistrements vidéo, dossiers médicaux et documents judiciaires.
En raison de la persistance des violences et des difficultés d’accès au pays et de collecte d’informations dans des zones reculées, Human Rights Watch a parfois eu du mal à confirmer le nombre exact de victimes, les circonstances et les auteurs présumés d’attaques spécifiques.
Lors d’un appel téléphonique du 27 juillet 2021, Human Rights Watch a partagé les conclusions préliminaires de ce rapport avec Felix Mbayu, un membre du cabinet du Premier ministre camerounais. Human Rights Watch a également envoyé une lettre, avec ses conclusions et une liste de questions, au Premier ministre Joseph Dion Ngute et à Mbayu le 21 septembre 2021. Au moment de la rédaction de ce rapport, le Premier ministre n’avait pas encore répondu à cette lettre, reproduite à l’Annexe II.
Le 22 septembre, Human Rights Watch a également partagé ses conclusions préliminaires avec les dirigeants de quatre grands groupes séparatistes : le président du Ambazonia Interim Government (Sisiku), Sisiku Ayuk Tabe; le porte-parole du Ambazonia Interim Government (Sako), Christopher Anu; le président du Ambazonia Governing Council, Cho Lucas Ayaba; et le président du African People’s Liberation Movement, Ebenezer Derek Mbongo Akwanga. Les lettres envoyées aux dirigeants des quatre principaux groupes séparatistes sont reproduites à l’Annexe IV.
Le 27 septembre 2021, Anu a répondu à Human Rights Watch lors d’un appel sur l’application Zoom.
Le 29 septembre 2021, le Dr Jonathan Levy, le représentant légal d’Akwanga, a répondu par e-mail à Human Rights Watch. Sa réponse peut être consultée dans son intégralité à l’Annexe III.
Le 30 septembre 2021, Akoson Raymond, secrétaire du Département des droits de l’homme et des services humanitaires du Ambazonia Governing Council, a répondu par e-mail à Human Rights Watch. Sa réponse peut être lue dans son intégralité à l’Annexe VII. Le 10 octobre 2021, Akoson a également envoyé par e-mail à Human Rights Watch un code de conduite des Ambazonia Defense Forces, la branche armée du Ambazonia Governing Council. Ce code de conduite peut être consulté à l’Annexe VI.
Le 6 décembre 2021, Human Rights Watch a reçu une lettre datée du 29 novembre 2021 et signée de la « Direction de l’Ambazonie en prison », dirigée par Sisiku, avec un « Protocole de liberté » joint en annexe en réponse à la demande d’information de Human Rights Watch. La lettre et le protocole peuvent être consultés à l’Annexe IX.
La crise anglophone et la lutte séparatiste au Cameroun trouvent leur origine dans l’histoire coloniale du pays, les tensions qui ont entouré son indépendance, le sentiment de marginalisation des anglophones et leurs inquiétudes quant à leur assimilation dans le système et la culture francophones.
La zone géographique du Cameroun moderne était à l’origine une colonie allemande, le Kamerun, divisée en mandats français et britannique après la Première Guerre mondiale. Après avoir obtenu son indépendance en 1961, le Cameroun a été une fédération de février 1961 à mai 1972, date à laquelle les Camerounais ont voté pour adopter un gouvernement unitaire. Après des décennies de ce qu’ils considéraient comme une marginalisation par le gouvernement dominé par les francophones, en 1993, une « Conférence pananglophone » s’est réunie à Buea, l’ancienne capitale du territoire britannique, pour demander le retour au fédéralisme. En réponse, le gouvernement s’est engagé à adopter certaines réformes pour décentraliser le pouvoir. L’année suivante, une deuxième « Conférence pananglophone » a publié la déclaration de Bamenda, recommandant un système fédéral à deux États ou la sécession. Cependant, le gouvernement a maintenu son soutien au système unitaire, ce qui a amené les groupes anglophones à commencer à appeler à la sécession, notamment par le biais de campagnes diplomatiques.[1]
La crise actuelle a débuté après la violente répression des grèves pacifiques des avocats et des enseignants anglophones par le gouvernement en octobre et novembre 2016. Avocats et enseignants protestaient contre ce qu’ils percevaient comme les tentatives du gouvernement central de marginaliser et d’assimiler les tribunaux et écoles anglophones dans le système francophone. Des interventions musclées de même nature des forces de sécurité contre des manifestations pacifiques visant à célébrer l’indépendance symbolique de l’« Ambazonie », nom donné par les sécessionnistes à leur État indépendant autoproclamé comprenant les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, se sont à nouveau produites entre le 22 septembre et le 2 octobre 2017.[2]
Les voix modérées ont commencé à faiblir tandis que les séparatistes armés, dont beaucoup sont connus localement sous le nom d’« amba boys » ou « amba », ont vu leur nombre, leur profil et leurs soutiens augmenter, tant au niveau national qu’international. Ils ont commencé à s’attaquer aux forces de sécurité et aux représentants du gouvernement et à ordonner et appliquer des boycotts d’écoles et des grèves de « confinement » (ou opérations « villes mortes »), demandant aux gens de rester chez eux et de ne pas se rendre au travail dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, afin de faire pression sur le gouvernement pour qu’il accorde une plus grande reconnaissance politique à ces régions.[3]
En 2018, des milliers de membres des forces de sécurité ont été déployés dans les régions anglophones, où elles ont mené des opérations de grande envergure, souvent émaillées d’abus, visant à localiser et déloger les séparatistes armés.[4] Les séparatistes armés ont pris le contrôle de plusieurs zones périphériques rurales et urbaines,[5] où ils ont érigé des barrages routiers et des postes de contrôle. [6] Les séparatistes ont également continué à imposer le boycott des écoles et des « confinements » hebdomadaires.[7] Plusieurs irruptions de violence ont eu lieu de janvier 2018 à décembre 2019, notamment autour d’événements tels que l’élection présidentielle; [8] l’arrestation, la détention et les procès de dirigeants séparatistes; [9] et les confinements imposés par les séparatistes armés. [10]
Pendant les élections législatives et municipales de février 2020, des groupes séparatistes armés ont enlevé plus de 100 personnes, brûlé des biens publics et privés et menacé les électeurs pendant la période précédant les élections. Les forces de sécurité n’ont pas correctement protégé les civils ; au contraire, elles ont commis des exactions en guise de représailles pendant la même période.[11]
En mars 2020, les Southern Cameroons Defence Forces (SOCADEF), un groupe séparatiste armé, ont unilatéralement appelé à un cessez-le-feu en raison du Covid-19.[12] Il est à noter que ni le gouvernement ni les autres groupes armés séparatistes n’ont appelé à un cessez-le-feu, malgré le nombre croissant de victimes de la pandémie.[13] Au lieu de quoi, suite à l’assassinat d’un officier de police par des combattants séparatistes en septembre 2020, le gouvernement a lancé l’opération « Bamenda propre » (« Bamenda Clean » en anglais) pour éliminer les séparatistes,[14] opération au cours de laquelle les forces de sécurité ont aussi commis des exactions contre des civils.[15]
En décembre 2020, des combattants séparatistes ont perturbé les premières élections régionales camerounaises[16] avec des boycotts, des menaces et plusieurs attaques violentes.[17] Les attaques des séparatistes contre les civils,[18] les forces et autorités gouvernementales[19] et l’ONU[20], tout comme celles de l’armée contre les civils, se sont poursuivies en 2021.[21] Septembre 2021 a marqué une nouvelle escalade des violences : des combattants séparatistes ont tué au moins 15 soldats et plusieurs civils lors de deux attaques distinctes dans la région du Nord-Ouest en utilisant des engins explosifs improvisés et un lance-roquettes antichar.[22]
Le 5 octobre, le Premier ministre camerounais Dion Ngute s’est rendu à Bamenda, capitale de la région du Nord-Ouest, pour faire un état des lieux de la mise en œuvre des recommandations formulées lors des consultations du dialogue national.[23] Le même jour, son discours public a été interrompu par des coups de feu nourris, apparemment tirés par des combattants séparatistes. Avant la visite de Ngute à Bamenda, les Ambazonia Defense Forces (ADF), l’un des principaux groupes armés séparatistes, avaient donné l’ordre aux habitants de rester chez eux, affirmant que toute personne qui participerait à des réunions avec Ngute s’exposait à un danger.[24]
En raison de la crise anglophone, 573 900 personnes ont été déplacées dans les régions anglophones et dans les régions francophones du Littoral, de l’Ouest et du Centre.[25] Dans les régions anglophones, 2,2 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire.[26] La fourniture des services de base, d’éducation et de soins de santé notamment, a été perturbée.[27] L’accès humanitaire reste un défi en raison de l’instabilité de la situation sécuritaire et des attaques ciblées contre le personnel humanitaire[28] par des groupes séparatistes armés. L’ONU a enregistré pas moins de 19 incidents d’enlèvement impliquant des humanitaires entre avril 2020 et août 2021. [29] En raison de l’insécurité et des barrages routiers des séparatistes dans les régions anglophones, rien qu’en août 2021, 40 000 personnes n’ont pas pu recevoir d’aide humanitaire, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).[30]
En 2021, plus d’1,2 million d’enfants en âge d’être scolarisés dans les deux régions anglophones avaient besoin d’une aide humanitaire, et environ 700 000 d’entre eux avaient besoin d’un accès urgent à des services éducatifs.[31]
Depuis fin 2016, quelques 66 000 personnes originaires du Cameroun ont également fui vers le Nigeria.[32] Des milliers d’autres ont quitté le continent pour l’Europe ou les États-Unis.[33]
Au moins 4 000 civils ont été tués par des combattants séparatistes armés ou par les forces gouvernementales dans les régions anglophones depuis fin 2016.[34]
La crise a entraîné une contraction importante des économies des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et a aussi gravement touché l’économie de l’ensemble du pays.[35] Selon la Banque mondiale, « Compte tenu de l’ampleur de la destruction des actifs productifs, ainsi que des effets néfastes de la crise sur le marché du crédit local, les répercussions pourraient être durables ».[36]
Dans les régions anglophones, des chefs de famille ont été tués,[37] des entreprises ont fermé et des personnes ont perdu leur emploi.[38] Les familles déplacées n’ont plus de moyens de subsistance et peinent à se nourrir, se loger ou à payer les frais de scolarité de leurs enfants.[39] La violence a eu un impact sur des milliers d’agriculteurs eux aussi déplacés[40] en les exposant aux risques de famine et de pauvreté et à des difficultés à subvenir aux besoins de leurs enfants. Certains parents des régions anglophones ont confié à Human Rights Watch qu’ils avaient dû retirer leurs enfants de l’école parce qu’ils ne pouvaient plus payer les frais de scolarité et les coûts associés à leur éducation, notamment les livres, les uniformes, les fournitures et le transport.[41]
La Banque mondiale a estimé que « les effets combinés de la baisse des revenus due à la réduction des emplois et de la hausse des prix à la consommation due aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement ont considérablement entamé le bien-être », et qu’en 2019 « le bien-être des ménages au niveau national, mesuré par la consommation réelle, était inférieur de 3,4 % en 2019 » par rapport à la situation d’avant la crise. [42]
Le gouvernement camerounais et les membres de la communauté internationale ont commencé à réagir avec fermeté à la crise en 2019, environ trois ans après son commencement.
Dans un contexte de violence croissante et de pression internationale de plus en plus soutenue, le président Paul Biya a organisé un dialogue national qui s’est tenu du 30 septembre au 4 octobre 2019, pour trouver une issue à la crise anglophone. Le dialogue, dirigé par le Premier ministre Joseph Dion Ngute, a été suivi par plus de 1 000 délégués, notamment par des responsables du gouvernement, des membres du clergé, des enseignants et des représentants de la société civile.[43] Cependant, les principaux groupes séparatistes et partis politiques d’opposition[44] n’y ont pas assisté, et certains dirigeants politiques de l’opposition ont claqué la porte en signe de protestation.[45]
Les victimes de violations des droits humains dans les régions anglophones n’ont pas été associées au dialogue.[46]
Le dialogue a abouti à l’instauration d’un statut spécial pour les deux régions anglophones en vue de renforcer l’autonomie des zones administratives.[47] Le rapport final du dialogue n’a pas abordé les questions de droits humains et des responsabilités des auteurs de violations.[48]
Le gouvernement a tenu des pourparlers de paix avec les dirigeants détenus du groupe séparatiste du Ambazonia Interim Government (Sisiku) en avril et en juillet 2020.[49]
Dans un communiqué de presse du 20 septembre 2021, le colonel Cyrille Atonfack Nguemo, porte-parole de l’armée, a déclaré que les attaques menées par les groupes séparatistes en septembre 2021 avec l’utilisation d’armes comprenant des engins explosifs improvisés et des lance-roquettes par les séparatistes « découle en grande partie de leur jonction avec d’autres entités terroristes opérant hors des frontières » du pays et a annoncé un « changement de paradigme » dans les opérations militaires en cours.[50] Contacté par la BBC, Atonfack a refusé de fournir plus d’informations sur les groupes qui collaboreraient avec ou soutiendraient les combattants séparatistes anglophones.[51]
Lors du Débat général de la 76ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 27 septembre 2021, Lejeune Mbella Mbella, ministre des Affaires étrangères, s’exprimant au nom du président Paul Biya, a déclaré que le Cameroun poursuivait « ses efforts dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour mettre fin aux tensions sociopolitiques qui sont entretenues par les groupes armés ». Il a évoqué les mesures prises par le gouvernement à la suite du dialogue national, notamment la création d’une commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, l’octroi d’un statut spécial aux régions anglophones, ainsi que la mise en place d’un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion, d’un plan d’assistance humanitaire et d’un plan de reconstruction. Il a noté que « l’action du gouvernement porte déjà des fruits visibles à travers le retour progressif à la paix ». Le ministre a ajouté que « malgré quelques actes isolés de banditisme perpétrés par des bandes armées, la situation s’améliore », et que « nos forces de défense et de sécurité déployées sur le terrain protègent les populations et leurs biens avec professionnalisme et dans le respect des droits de l’homme ».[52]
Réponse des acteurs régionaux et internationauxLes principales interventions des acteurs des Nations Unies, de l’Europe et des États-Unis sont présentées ci-dessous. Mars 2019 : Trente-huit membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) se déclarent profondément préoccupés par la détérioration de la situation des droits humains dans les régions anglophones et appellent le Cameroun à s’engager pleinement avec le HCDH.[53] Avril 2019 : le Parlement européen adopte une résolution qui condamne les violences dans les régions anglophones et s’inquiète de l’incapacité du gouvernement camerounais à responsabiliser ses forces de sécurité.[54] Mai 2019 : La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) se rend au Cameroun, rencontre les autorités et fait part de ses préoccupations au sujet des violations des droits humains dans les régions anglophones et du manque d’accès des travailleurs des droits humains dans les régions concernées.[55] Le Conseil de sécurité des Nations Unies organise une session informelle sur la situation humanitaire au Cameroun,[56] plaçant la situation dans ce pays sur la liste des préoccupations des membres du Conseil. [57] Juillet 2019 : la Suisse accepte de servir de médiateur dans les pourparlers entre les autorités camerounaises et les séparatistes.[58] Octobre 2019 : les États-Unis retirent au Cameroun ses privilèges commerciaux, citant les violations persistantes des droits humains dans le pays, notamment dans les régions anglophones.[59] Février 2020 : Le Secrétaire général des Nations Unies, ses conseillers spéciaux et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) font part de leurs préoccupations concernant les violations des droits humains au Cameroun. [60] Janvier 2021 : Le secrétaire d’État du Vatican se rend au Cameroun et exprime la volonté de l’Église catholique romaine de faciliter le dialogue entre le gouvernement et les séparatistes.[61] Mai 2021 : Pour la première fois, le Secrétaire général de l’ONU inclut la « situation préoccupante » dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun dans son rapport annuel au Conseil de sécurité de l’ONU sur le sort des enfants en temps de conflits armés. Juin 2021 : Le Secrétaire général de l’ONU condamne les violences contre les civils, les écoles, le personnel et les biens de l’ONU et des organisations humanitaires dans les régions anglophones. Il encourage les autorités camerounaises à « donner la priorité au dialogue inclusif et à la réconciliation et à les promouvoir ».[62] Juin 2021 : Le secrétaire d’État américain annonce des restrictions de visas « à l’encontre des personnes qui sont considérées comme responsables ou complices de l’affaiblissement de la résolution pacifique de la crise dans les régions anglophones du Cameroun ». Il condamne également les violations des droits humains et les menaces contre les défenseurs des droits et les travailleurs humanitaires.[63] Le 25 novembre 2021, le Parlement européen adopte une résolution condamnant les violations des droits au Cameroun et exhortant l’UE à travailler avec les acteurs régionaux, notamment l’UA et la CEDEAO, pour faciliter le dialogue. Le Parlement a notamment exhorté le gouvernement camerounais et les dirigeants des groupes séparatistes « à conclure un cessez-le-feu humanitaire » et a encouragé les parties au conflit « à s’entendre sur des mesures propres à restaurer la confiance telles que la libération des prisonniers politiques non violents et la levée des boycotts scolaires ».[64] |
Au début de la crise, fin 2016, dans le cadre d’une campagne de désobéissance civile visant à créer une nouvelle nation anglophone appelée « Ambazonie », les groupes militants anglophones considéraient le boycott des écoles comme un moyen de protester contre la perception que le système éducatif distinct des régions anglophones était sur le point de s’effondrer et d’être assimilé au système francophone.[66] Cependant, fin 2017, les dirigeants séparatistes ont commencé à faire usage des boycotts scolaires pour perturber la vie quotidienne dans les régions anglophones, en s’en servant comme d’un levier dans les négociations avec le gouvernement camerounais, et comme moyen de mobiliser l’attention internationale sur la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.[67]
Depuis 2017, les séparatistes armés ciblent systématiquement les établissements scolaires et tuent, kidnappent, agressent, harcèlent et menacent les responsables de l’éducation et les élèves qui ne se plient pas à leurs exigences en matière de boycott de l’éducation.[68]
Selon Peter, un ancien combattant séparatiste de 24 ans affilié à un groupe connu sous le nom d’Asawana : « [Nos généraux] nous ont fait croire que c’était bien et important de fermer les écoles... Ils nous ont dit que si les écoles continuaient de fonctionner, le monde penserait qu’il n’y a pas de crise dans les régions anglophones ».[69]
Les groupes séparatistes anglophones en brefLa plupart des séparatistes anglophones sont organisés autour de trois organes politiques principaux qui disposent de branches armées qui opèrent dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest : · Le Ambazonia Interim Government (Sisiku), dirigé par Sisiku Julius Ayuk Tabe, qui purge une peine de prison à vie pour terrorisme et sécession dans une prison de haute sécurité à Yaoundé;[70] · Le Ambazonia Interim Government (Sako), une faction dissidente dirigée par Samuel Ikome Sako, un pasteur établi aux États-Unis;[71] et · Le Ambazonia Governing Council, dirigé par Ayaba Cho Lucas, établi en Norvège.[72] Les factions armées liées aux deux « gouvernements intérimaires » sont connues sous le nom de Forces de restauration de l’Ambazonie. Elles n’ont pas de structure de commandement claire et se composent de divers groupes, comme les Terminators of Ambazonia, les Bui Warriors, les Red Dragons, and les Buffaloes of Bali, etc.[73] Les Ambazonia Defence Forces (ADF), dirigées par Benedict Kuah, constituent quant à elles le bras armé du Ambazonia Governing Council. Il existe plusieurs autres groupes séparatistes de plus petite taille, qui ne sont pas affiliés à ces trois groupes principaux, notamment : · Le African People’s Liberation Movement, dirigé par Ebenezer Derek Mbongo Akwanga, établi aux États-Unis, et dont la branche armée est le SOCADEF (Southern Cameroons Defence Forces);[74] · Les British Southern Cameroons Resistance Forces, dirigées par le « général RK »; et · Les Tigers of Ambazonia, dirigés par Chia Martin alias « Tiger 1 ».[75] En 2019, on comptait environ 2 000 à 4 000 combattants séparatistes dans les régions anglophones.[76] |
Lors de déclarations publiques et leurs échanges avec Human Rights Watch, la plupart des groupes séparatistes ont fourni deux raisons principales pour justifier le maintien du boycott des écoles : les élèves ne seraient pas en sécurité à l’école à cause des violences, et l’enseignement dispensé dans les écoles publiques serait de qualité inférieure et entaché de partialité.
Le Ambazonia Governing Council et ses hauts dirigeants ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne permettraient pas aux écoles gérées par le gouvernement camerounais de fonctionner dans les régions anglophones.[77] Dans une lettre officielle datée du 26 mai 2021 et qui répond aux questions de Human Rights Watch sur la position du Ambazonia Governing Councilsur la reprise des cours, son dirigeant, Ayaba Cho Lucas, a écrit :
Dans une lettre officielle datée du 30 septembre 2021, envoyée en réponse à une demande d’information de Human Rights Watch, Akoson Raymond, secrétaire du département des Droits de l’homme et des Services humanitaires du Ambazonia Governing Council, a déclaré :
Le 19 mai 2021, Ebenezer Derek Mbongo Akwanga, président du African People’s Liberation Movement et chef de sa branche armée (les Southern Cameroons Defence Forces), s’est dit opposé à la reprise dans les écoles publiques : « Nous soutenons l’éducation de notre peuple, mais nous ne soutenons pas un système éducatif caractérisé par le lavage de cerveau qui a été imposé à notre peuple pendant plus de 60 ans ».[80]
Dans une lettre officielle du 29 septembre 2021, en réponse à une demande d’information de Human Rights Watch, le Dr Jonathan Levy, représentant légal d’Akwanga, a déclaré :
Le 18 mai 2021, Sisiku Ayuk Tabe, le président emprisonné du Ambazonia Interim Government,[82] a déclaré à Human Rights Watch : « Nous souhaitons voir la paix revenir en Ambazonie afin que nos enfants puissent aller à l’école au sein d’une nation qui garantit leur sûreté, leur sécurité et les perspectives d’une éducation non altérée et de bonne qualité, au sein d’une nation méritocratique et prospère ».[83]
Dans une lettre datée du 29 novembre 2021, Sisiku a fait part de son vif désaccord quant à l’attribution par Human Rights Watch de la responsabilité d’un grand nombre d’attaques contre l’éducation aux groupes séparatistes armés, et a notamment déclaré :
Le 30 septembre 2020, le président de la faction dissidente du Ambazonia Interim Government, Samuel Ikome Sako, a tweeté que la reprise des cours ne pouvait avoir lieu qu’après l’établissement d’un « cessez-le-feu négocié ou de zones scolaires sûres supervisées par les Nations unies ».[85]
Lors d’un appel via l’application Zoom du 27 septembre 2021 avec Human Rights Watch, Christopher Anu, le porte-parole du Ambazonia Interim Government (Sako), a déclaré :
Le 12 novembre 2021, Christoper Anu a annoncé une nouvelle interdiction visant toutes les écoles des régions anglophones, menaçant de violence les enseignants, les élèves et les dirigeants des écoles qui passeraient outre cette interdiction.[87]
Au début de l’année scolaire 2020-2021, les militants de différents groupes séparatistes, dont Eric Tataw et Mark Bareta, ont changé de position, passant d’une opposition à la reprise des cours, à l’appui de cette initiative .[88] Le 28 septembre 2020, Tataw a appelé sur Twitter à la réouverture des écoles : « Je demande sans ambages à tous les combattants et militants ambazoniens [de] me rejoindre dans la croisade pour permettre la reprise des cours ».[89] Le 29 septembre 2020, Bareta a tweeté : « Le boycott scolaire n’est plus une arme de notre lutte pour l’indépendance. Ainsi, dans la mesure du possible, les forces de l’Ambazonie devraient permettre l’éducation et même encourager [à se rendre] dans les écoles ». [90]
Plus de 500 élèves ont été attaqués dans les régions anglophones par des combattants séparatistes depuis 2017, selon les données de l’ONU et d’autres organisations dignes de confiance, et les recherches de Human Rights Watch. Human Rights Watch a documenté en détail 20 de ces attaques comprenant des menaces, des intimidations, du harcèlement, des agressions physiques, des enlèvements et même des assassinats d’élèves pour les forcer à ne plus aller à l’école. Human Rights Watch a documenté l’enlèvement par des combattants séparatistes de 255 élèves, dont 78 ont été enlevés de leur école à Nkwen, dans la région du Nord-Ouest, en novembre 2018, et 170 de leur internat à Kumbo, dans la région du Nord-Ouest, en février 2019.[92] Dans certains cas, à l’intérieur mais aussi en dehors de ces écoles, les agresseurs ont détruit ou saisi les livres, les documents ou les cahiers des élèves. De nombreux élèves ont confié à Human Rights Watch qu’ils se rendaient à l’école sans porter leur uniforme par crainte d’être repérés et attaqués par des combattants séparatistes.
Les élèves interrogés par Human Rights Watch pensaient que leurs agresseurs étaient des combattants séparatistes en raison des vêtements qu’ils portaient (des tenues civiles, ou simplement des pantalons militaires ou des t-shirts de camouflage, par opposition à des uniformes complets), de leurs accessoires (notamment des amulettes), du types d’armes qu’ils possédaient (des fusils de chasse et des machettes), de la langue qu’ils parlaient (anglais pidgin, anglais et dialectes locaux), des déclarations selon lesquelles les élèves ne devraient pas aller à l’école et les écoles devraient être fermées, et des techniques d’extorsion couramment utilisées par les combattants séparatistes. Lorsque des enlèvements ont été commis, les auteurs ont emmené leurs victimes dans des camps situés dans des zones souvent éloignées – par opposition aux postes ou casernes de la police, de la gendarmerie ou de l’armée – une tactique là aussi couramment utilisée par les séparatistes armés.
Un lycéen de 25 ans, Steve, a déclaré que cinq combattants séparatistes, armés de fusils et de machettes, l’ont enlevé, lui et quatre autres élèves, dont une jeune femme, âgés de 21 à 22 ans, tôt le matin sur le chemin de l’école :
Steve a été libéré au bout de deux semaines. Il a déclaré avoir trop peur de retourner à l’école et s’être caché dans la brousse pendant quatre mois avant de s’installer à Limbe, dans la région du Sud-Ouest, où il travaille désormais comme chauffeur et vit avec un parent.[94]
Des combattants séparatistes présumés ont mené un assaut sur le terrain de football de l’université de Buea et ont enlevé au moins 15 joueurs de football de l’équipe masculine de l’université.[95] Avant l’incident, sur les réseaux sociaux, les séparatistes présumés avaient mis en garde les équipes anglophones contre leur participation aux compétitions organisées par le gouvernement camerounais.[96] Les étudiants, dont certains ont été battus, ont été libérés le lendemain, et l’armée a arrêté au moins 10 suspects environ une semaine plus tard.[97] On ignore si une rançon a été versée pour obtenir la libération des étudiants.[98] Le sort des 10 suspects est également inconnu, bien que Human Rights Watch ait cherché à obtenir des informations sur leur sort auprès du gouvernement.
Six combattants séparatistes ont enlevé Veronica, une étudiante de 23 ans de l’université de Buea, vers 15h30. Ils l’ont emmenée dans une école abandonnée du quartier de Bomaka et l’ont agressée sexuellement avant de l’emmener dans leur camp en brousse, où ils l’ont menacée de mort. Ils l’ont libérée le lendemain après le versement d’une rançon de 500 000 CFA (933 dollars US). Veronica a déclaré :
Après l’incident, elle a déménagé à Limbe, dans la région du Sud-Ouest, pour des raisons de sécurité. Elle est ensuite retournée à Buea pour reprendre ses études en janvier 2020.[100]
Le 30 janvier 2020, des séparatistes armés ont enlevé Marie, une lycéenne de 19 ans, à Buea, dans la région anglophone du Sud-Ouest du Cameroun, alors qu’elle rentrait de l’école. Trois jours plus tard, ils lui ont coupé un doigt à la machette.[101]
Selon Marie, les séparatistes ont également mutilé un jeune homme de 19 ans qui était détenu avec elle et qui était lui aussi accusé de fréquenter l’école. Les deux élèves ont été libérés le 3 février, après le paiement d’une rançon.
Human Rights Watch a également examiné des photographies montrant le doigt de Marie enveloppé dans un bandage après un traitement médical.
Selon les médias, un engin explosif jeté sur le toit d’un amphithéâtre de l’université de Buea a blessé au moins 11 étudiants.[103]
Personne n’a revendiqué l’attaque, mais les médias ont cité « deux sources de sécurité » affirmant que les autorités soupçonnaient que l’attaque avait été menée par des groupes séparatistes.[104] Horace Manga Ngomo, le vice-chancelier de l’université, a affirmé que « l’enquête nous révélera qui sont les auteurs de l’attaque ».[105]
Des combattants séparatistes ont agressé Tim, un élève de 21 ans, sur le chemin de l’école à Kumbo.[106] Il a raconté son expérience : « Ils m’ont frappé près de la tête. Ils m’ont donné des coups de poing. Ils m’ont dit : "Pourquoi tu vas à l’école ? Les écoles devraient être fermées. Pourquoi t’entêtes-tu ?" J’ai encore une cicatrice à l’arrière de la tête à cause des coups ».[107] Sa mère savait que son fils avait été passé à tabac, et a indépendamment informé Human Rights Watch de cet incident.[108]
Sara, 21 ans, a abandonné l’école et fui la ville de Ndu en 2017 parce que des combattants séparatistes ont occupé son école et multiplié les menaces contre les enseignants et les élèves. Alors qu’elle se rendait à Yaoundé pour poursuivre ses études en janvier 2018, des combattants séparatistes l’ont prise pour cible :
Carl, un ancien étudiant de l’université de Bamenda âgé de 24 ans, a déclaré que des séparatistes armés qui se présentaient comme des combattants du groupe SOCADEF l’ont enlevé et l’ont menacé, et ont essayé de le recruter à Njinikejem. Ils l’ont retenu dans leur camp pendant trois jours. Il pense que les combattants séparatistes l’ont pris pour cible non seulement en raison de ses études, mais aussi parce que son oncle est un responsable du gouvernement.[110]
Moins d’un mois plus tard, le 2 janvier 2019, quatre combattants des SOCADEF se sont présentés chez lui, ne l’ont pas trouvé et ont menacé sa mère. Carl a déclaré : « Elle m’a dit qu’ils avaient laissé un message très clair : si je ne rejoignais pas leur groupe, il y aurait des conséquences ». Pour sa sécurité et parce qu’il voulait étudier, lui et sa mère ont décidé qu’il devait quitter le Cameroun.[111]
Sam, âgé aujourd’hui de 15 ans, a décrit comment trois combattants séparatistes armés de fusils et de couteaux l’ont arrêté alors qu’il rentrait de son école, le lycée public bilingue de Bamenda :
Six combattants séparatistes armés disant appartenir au groupe connu sous le nom de 7Kata ont enlevé un élève de 18 ans qui se rendait au lycée public bilingue de Bamenda. Il a affirmé avoir été emmené dans leur camp, avoir été attaché, torturé et gardé en captivité pendant quatre jours :
L’élève a été libéré après le paiement d’une rançon de 70 000 CFA (130 dollars US), non sans que la partie de sa carte d’identité où se trouve le drapeau national du Cameroun ait au préalable été découpée. Un de ses camarades de classe a été témoin de l’enlèvement mais a réussi à s’enfuir.[114]
Des séparatistes armés ont enlevé trois lycéennes dans le quartier de Ntarikon, à Bamenda, alors qu’elles rentraient de l’école. Les élèves, âgées de 14, 18 et 20 ans à l’époque, fréquentaient le lycée public bilingue de Ntamulung, situé à environ un kilomètre du lieu de leur enlèvement. Les séparatistes armés leur ont bandé les yeux, les ont emmenées dans un camp séparatiste du village de Ntanka et les ont battues.
Human Rights Watch a parlé avec l’une des élèves, Maria, ses parents[115] et un témoin de l’enlèvement.[116] Maria a raconté son expérience :
Les élèves ont été libérées le 7 novembre 2019, après le paiement d’une rançon de 1 130 000 CFA (2 100 dollars US).
Jim, un étudiant de 24 ans de l’université de Bamenda, a déclaré que des combattants séparatistes avaient pris d’assaut sa résidence universitaire à Bambili, Bamenda, et l’avait enlevé, lui et au moins huit autres étudiants. Le 20 mai étant une journée de commémoration de la décision présidentielle de 1972 d’abolir le système fédéral et de former un seul État-nation, les séparatistes ont décrété qu’il s’agirait d’une journée « ville morte ». Jim a expliqué :
Les étudiants ont été emmenés par les séparatistes dans deux camps séparés, dont le premier était une école abandonnée. Ils leur ont donné des coups de pied, des gifles et des coups de machette sur la plante des pieds. Les combattants ont libéré les étudiants au bout de cinq jours après le versement de rançons allant de 100 000 CFA (186 dollars US) à 500 000 CFA (933 dollars US).[119]
Quatre combattants séparatistes ont menacé de tuer et ont frappé un élève de 14 ans qui se rendait au lycée progressif polyvalent. Cet élève a expliqué :
Trois combattants séparatistes ont menacé de kidnapper un élève de 20 ans qui se rendait au lycée public technique de Bamenda. Il a déclaré à Human Rights Watch :
Cet incident s’est produit quatre jours après que Christopher Anu, le porte-parole du Ambazonia Interim Government, un groupe séparatiste, a annoncé le renouvellement du boycott de toutes les écoles dans les régions anglophones, menaçant de violence les enseignants, élèves et directeurs d’écoles qui ne respecteraient pas le boycott.[122] Le renouvellement du boycott a été décrété après à la mort d’une écolière, Brandy Tataw, tuée par un officier de police à Bamenda le 12 novembre.[123]
Les groupes séparatistes armés des régions anglophones ont recruté des enfants et se sont servis d’eux dans le cadre de leurs opérations.[124] La violence permanente, les menaces des séparatistes à l’encontre des élèves et des jeunes en général, les frustrations causées par les abus de l’armée et le besoin de survie sont autant de facteurs qui augmentent le risque de recrutement des élèves par les groupes armés séparatistes. Lorsqu’ils vivent parmi les combattants séparatistes, les enfants peuvent subir des violences, être obligés de participer à des cérémonies d’initiation et d’entraînement éprouvantes et être contraints de prendre des drogues dangereuses.
Cependant, en raison de la faiblesse de la documentation et des informations des autorités camerounaises, et des difficultés de vérification rencontrées par les observateurs nationaux et internationaux, il n’existe pas de chiffres disponibles sur le nombre d’enfants utilisés par les groupes armés séparatistes dans les régions anglophones.
Les témoignages de personnes qui ont été enlevées et emmenées dans des camps séparatistes révèlent que des enfants sont présents au sein des groupes séparatistes armés. Human Rights Watch a également examiné des photographies et des extraits vidéo montrant des personnes ressemblant à des enfants avec des armes à feu, debout avec d’autres combattants séparatistes d’apparence plus âgée. Cependant, nous n’avons pas été en mesure de déterminer si ces enfants étaient des élèves lorsqu’ils ont été recrutés. En raison des difficultés inhérentes à l’identification des enfants soldats ou recrutés, anciens ou actuels, qui peuvent être stigmatisés et faire l’objet de représailles, Human Rights Watch n’a parlé à aucun d’eux dans le cadre de ce rapport.
Certains élèves ont volontairement pris les armes. Une enseignante a déclaré qu’après la fermeture de son école à Kombone Bakundu, dans la région du Sud-Ouest, en décembre 2017, plusieurs de ses anciens élèves, des garçons qui avaient moins de 18 ans lorsque l’école a fermé, ont rejoint des groupes séparatistes armés. Elle a fui Kombone Bakundu et n’est pas revenue depuis car, a-t-elle expliqué :
D’autres personnes interrogées par Human Rights Watch ont observé des enfants d’âge scolaire dans des camps séparatistes. Un enseignant kidnappé a reconnu un enfant qui se battait aux côtés des séparatistes comme l’un de ses anciens élèves du lycée.[126] Dans un camp séparatiste, Boris a vu « 10 combattants, tous très jeunes, avec des fusils, des machettes et des bâtons – certains d’entre eux avaient certainement moins de 18 ans ».[127] Maria a observé non seulement des hommes et des femmes, mais aussi des garçons et des filles âgés de 10 à 14 ans équipés de fusils, de couteaux, de sabres, de frondes et de lances.[128] Ida a constaté que, sur une vingtaine de combattants, « beaucoup étaient des petits garçons d’une quinzaine d’années seulement » qui participaient à des entraînements et à des cérémonies rituelles.[129] Dans un autre camp, Veronica a vu un garçon de 15 ou 16 ans parmi les huit combattants présents.[130]
Caro Louise Ndialle, une fillette de 4 ans, a été tuée par une balle tirée par un gendarme, alors qu’elle était assise dans un véhicule sur le chemin de l’école dans le quartier de Molyko à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Une foule en colère a réagi à ce meurtre en lynchant le gendarme.[131]
Dans un communiqué de presse publié le même jour, le colonel Cyrille Serge Atonfack Guemo, porte-parole de l’armée, a déclaré que les gendarmes d’un poste de contrôle avaient arrêté le véhicule dans lequel Caro Louise se trouvait, mais que le conducteur avait refusé d’obtempérer.[132] « Dans une réaction inappropriée [...], l’un des gendarmes a procédé à des tirs de sommation pour immobiliser le véhicule », indique le communiqué, ajoutant que « dans la foulée », Caro Louise « a été mortellement touché à la tête ».[133] Atonfack a également indiqué dans le communiqué qu’une enquête avait été ouverte par les autorités administratives locales et les forces de défense et de sécurité « pour faire toute la lumière et établir les responsabilités » dans cet incident.[134]
Brandy Tataw, une écolière de 8 ans, a été tuée par une balle tirée par un policier alors qu’elle marchait en revenant de l’école sur une route à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest.
Dans un communiqué de presse du 12 novembre, Martin Mbarga Nguele, Délégué général à la Sécurité nationale et chef de la police camerounaise, a déclaré que Tataw a été touchée alors qu’elle marchait dans la rue par une balle tirée par un policier sur une voiture qui ne s’était pas arrêtée à un poste de contrôle de la police et qui l’a atteinte par ricochet.[135] Nguele a également annoncé qu’une enquête avait été ouverte sur la mort de Tataw et que le policier et tireur présumé avait été arrêté.
La mort de Tataw a déclenché des manifestations à Bamenda, où des centaines de personnes sont descendues dans la rue pour demander justice pour le meurtre de l’enfant par la police. Pendant ces manifestations, des soldats camerounais ont fait usage d’une force excessive et meurtrière, notamment de balles réelles, pour disperser les manifestants, blessant au moins sept d’entre eux.[136]
Au moins 100 professionnels de l’éducation ont été attaqués par des combattants séparatistes depuis 2017, selon les données de l’ONU et d’autres organisations dignes de confiance, et les recherches de Human Rights Watch. Human Rights Watch a documenté en détail 12 attaques contre des enseignants, des directeurs d’école, du personnel scolaire et d’autres professionnels de l’éducation. Ces attaques consistaient en des meurtres, des agressions physiques, des enlèvements, des extorsions d’argent, des menaces et d’autres formes d’intimidation.
Les enseignants interrogés par Human Rights Watch pensaient que leurs agresseurs étaient des combattants séparatistes à cause des vêtements qu’ils portaient (des tenues civiles ou juste des pantalons treillis ou des t-shirts de type camouflage, par opposition à des uniformes complets), de leurs accessoires (des amulettes, notamment), du types d’armes qu’ils possédaient (fusils de chasse, machettes), de la langue qu’ils parlaient (anglais pidgin, anglais et dialectes locaux) et des déclarations qu’ils faisaient, en accusant les éducateurs de faire leur métier (notamment en expliquant qu’enseigner était un crime) et en affirmant que les écoles devraient être fermées. Enfin, lorsque des enlèvements ont été commis, les auteurs ont emmené leurs victimes dans des camps situés dans des zones souvent éloignées – par opposition aux postes ou aux casernes de la police, de la gendarmerie ou de l’armée – une tactique couramment utilisée par les séparatistes armés.
En tant que fonctionnaires, les enseignants des écoles publiques semblent être les principales cibles des combattants séparatistes. Cependant, Human Rights Watch a également documenté des attaques de combattants séparatistes contre des enseignants d’écoles privées, comme au Kulu Memorial College et à la Mother Francisca International Bilingual Academy.
Des combattants séparatistes ont enlevé le propriétaire du Community Christian College.[138] Ils se sont présentés comme des combattants séparatistes, l’ont accusé d’enseigner et de ne pas respecter l’ordre de boycott, l’ont emmené dans leur camp et l’ont giflé avant de le relâcher quatre jours plus tard après le versement d’une rançon de 1 million de francs CFA (1 866 dollars US). Les combattants séparatistes l’avaient déjà harcelé et lui avaient extorqué de la nourriture et 80 000 CFA (149 dollars US) lors d’une précédente rencontre. « Ils m’ont dit que je devais soutenir leur lutte pour l’indépendance et les aider à acheter des armes », a-t-il expliqué.[139]
Vers 20 heures, quatre combattants séparatistes se sont présentés au domicile de Clara, professeure principale d’une école maternelle publique du village de Bachou Akagbei. Ils ont déclaré être des combattants séparatistes, l’ont accusée d’enseigner et lui ont ordonné d’arrêter. Elle leur a donné 30 000 CFA (56 dollars US) lorsqu’ils ont exigé « leur part de l’argent du gouvernement qu’elle recevait comme salaire ». Ils l’ont alors coupée à la machette sur tout le corps : dans le dos, le cou, le coude et les mains, lui coupant presque complètement la main droite, qu’elle a dû amputer par la suite.[140] Le voisin de l’enseignante s’est précipité sur les lieux juste après l’agression et l’a emmenée à l’hôpital pour la soigner.[141]
D’après Clara et l’un de ses voisins, les forces de sécurité ont arrêté au moins un des auteurs des exactions et l’ont identifié comme un combattant séparatiste. Il est détenu à la prison centrale de Buea. Son procès était en cours au moment de la rédaction de ce rapport.[142]
Clara n’a pas été en mesure de reprendre l’enseignement, car elle est physiquement handicapée et se sent psychologiquement abattue. Elle a également fait part de son inquiétude pour ses enfants, en particulier sa fille de 19 ans qui a été témoin de l’incident.[143]
Sept séparatistes, certains armés de machettes et d’autres de fusils, ont fait irruption vers 4 heures du matin au domicile d’Aster, une enseignante de 31 ans, et l’ont agressée pour avoir commis le « crime » d’enseigner. « J’ai essayé de les supplier, mais ils n’ont fait preuve d’aucune pitié et m’ont coupé la jambe droite avec des machettes avant de s’enfuir », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite été amputée de la jambe dans un hôpital de Douala, à plus de 50 kilomètres de là.[144] Trois autres personnes ont corroboré le récit de la victime, et Human Rights Watch a examiné une photographie prise par l’un des proches de la victime montrant sa jambe presque entièrement coupée et en sang.[145]
Des combattants séparatistes ont enlevé 17 enseignants, dont 11 femmes, vers 20 heures, alors que les enseignants se rendaient à une réunion organisée par l’administration de l’école.[146] Les séparatistes armés ont battu les enseignants avant de les libérer vers 3 heures du matin, le 1er septembre 2019. Un enseignant, Boris, a raconté son expérience :
Deux combattants séparatistes ont tué Paulinus Song, enseignant à l’université de Bamenda âgé de 58 ans[148], qu’ils avaient déjà menacé et accusé d’être un traître pour ne pas avoir respecté le boycott scolaire. Lorsque l’enseignant a dit aux séparatistes qu’il devait enseigner pour gagner sa vie, ils lui ont réclamé 500 000 CFA (933 USD), mais il n’avait pas les moyens de payer.[149]
Un témoin du meurtre a déclaré :
Des combattants séparatistes, qui disaient appartenir à un groupe connu sous le nom de « Mountain Lions », ont enlevé un enseignant à son domicile à 7h30 du matin, parce qu’il avait refusé de hisser le drapeau d’« Ambazonie » devant son école communautaire. Dans leur camp, il dit avoir rejoint 16 autres otages, dont d’autres enseignants et des parents d’élèves. Pendant trois jours consécutifs, les combattants séparatistes lui ont frappé la plante des pieds, les bras et le dos avec des machettes. Un mois plus tard environ, le 3 septembre, ils l’ont libéré après le versement d’une rançon de 300 000 CFA (560 USD), qu’il a dû emprunter.[151]
Un agriculteur a vu huit combattants séparatistes kidnapper l’enseignant en plein jour : « Cet enseignant est un enseignant communautaire depuis longtemps et il s’est beaucoup investi pour améliorer la vie des enfants de la communauté de Bafia. Son enlèvement a été un choc pour la communauté ». [152]
Lorsque Human Rights Watch s’est entretenu avec l’enseignant, il avait cessé d’enseigner par crainte d’être à nouveau kidnappé. Il s’était mis à cultiver et à vendre des bananes plantains pour gagner sa vie.[153]
Trois combattants séparatistes ont fait irruption au domicile d’une enseignante de l’école publique secondaire bilingue du quartier de Molyko à Buea, et ont menacé de lui faire du mal si elle ne boycottait pas l’école le lundi, jour de grève désigné par eux pour l’opération « ville morte ».[154] Elle a raconté ce qui s’est passé :
Vers 16 heures, deux combattants séparatistes ont attaqué Florence, 48 ans, une enseignante à l’école publique à Wum, alors qu’elle rentrait de l’école avec son mari.
Ils ont tiré à plusieurs reprises sur le couple, qui circulait à moto, blessant Florence aux bras et aux jambes et son mari à la poitrine, au cou et à l’abdomen, avant de prendre la fuite. Malgré leurs blessures, Florence et son mari ont pu se rendre à l’hôpital du district de Wum où ils ont reçu une assistance médicale.
Human Rights Watch s’est entretenu avec le couple et a examiné des photographies de leurs blessures et des dossiers médicaux établis par l’hôpital.
Le mari de Florence a déclaré que, pendant qu’il était soigné à l’hôpital, des combattants séparatistes l’ont appelé sur son téléphone et ont dit qu’ils les avaient attaqués, lui et sa femme, parce que Florence était enseignante. « Ils ont dit que la raison, au-delà de l’attaque, était le travail de ma femme. Ils ont dit qu’elle ne devrait pas enseigner. Ils ont dit que les écoles devaient être fermées ».[156]
Florence et son mari ont quitté Wum après l’attaque. Florence n’enseigne plus.
Des séparatistes armés ont enlevé Ida, une enseignante de 55 ans au lycée publique bilingue de de Bamenda, et son mari vers 6 heures du matin à leur domicile de Mankon, une communauté de Bamenda.[158] Ils les ont emmenés, elle et son mari, dans leur camp, les ont menacés de mort et ont accusé Ida d’aller à l’école. Ils ont été libérés au bout de 12 heures après le versement d’une rançon de 500 000 CFA (933 dollars US). Ida a décrit leur expérience :
Huit combattants séparatistes, en tenues civiles, portant des gris-gris (amulettes) et armés de fusils, ont intercepté un bus à un poste de contrôle entre Njinikom et Belo. Ils ont vérifié les cartes d’identité et les sacs des 17 passagers et ont fait descendre Andrew, un enseignant, et trois autres personnes (deux hommes et une femme). Ils ont emmené ces quatre personnes dans leur camp, ont tiré sur Andrew, le blessant à la jambe gauche, puis l’ont relâché quatre jours plus tard. Il a passé six mois à se faire soigner à l’hôpital. Il a raconté le calvaire qu’il a vécu quand les combattants ont trouvé son diplôme d’enseignement :
Human Rights Watch a examiné une photographie envoyée par l’enseignant montrant des blessures cohérentes avec son récit.
Des combattants séparatistes armés de fusils de chasse, de couteaux et de pistolets vraisemblablement fabriqués localement ont arrêté un enseignant à un poste de contrôle à Takija, fouillé son sac, trouvé des documents scolaires révélant qu’il était enseignant, puis l’ont enlevé et torturé dans leur camp, notamment en le brûlant « partout » sur son corps avec un briquet. Ils l’ont libéré six jours plus tard après le versement d’une rançon de 700 000 francs CFA (1 191 dollars US). Il se remémore ainsi ce qui s’est passé :
Ida, qui avait été enlevée en février 2019, a été victime d’une nouvelle attaque le 12 janvier 2021. Elle a déclaré qu’un groupe d’hommes armés, qu’elle croyait être des séparatistes armés en raison de leur tenue vestimentaire et de leurs armes, avait tiré sur sa voiture et l’avait touchée à l’abdomen sur une route très fréquentée entre Mankon et l’aéroport militaire. Elle a raconté :
Human Rights Watch a examiné 10 photographies de la voiture de l’enseignante montrant les impacts et les destructions, notamment les vitres brisées par les tirs, qui concordent avec son récit. Human Rights Watch a également examiné des dossiers médicaux établis par un hôpital de Bamenda, indiquant que l’enseignante a été traitée pour une blessure par balle à l’abdomen le 12 janvier 2021.
Depuis 2017, pour faire respecter leur boycott de l’éducation dans les régions anglophones, les séparatistes armés ont attaqué au moins 70 écoles, selon les données collectées par les agences des Nations Unies, la Banque mondiale, les organisations de la société civile camerounaise et internationale et les médias.[164] Ils ouvrent le feu sur les biens des écoles, brûlent des salles de classe et des bureaux dans les établissements scolaires, cassent les fenêtres, les portes, les murs et les toits des écoles, brûlent les dossiers, les livres et autres fournitures scolaires, extorquent et volent l’argent des frais de scolarité.[165] Des séparatistes armés ont également effectué des visites menaçantes des établissements, au cours desquelles ils ont ordonné la fermeture des écoles et, dans certains cas, enlevé des élèves et des enseignants.[166]
Certaines attaques contre des écoles se sont produites dans des écoles en activité, quand les élèves et enseignants étaient soit en classe, soit à l’extérieur du bâtiment, ce qui les exposait à des risques de préjudice ou les mettait en danger de mort. Les enseignants ont décrit des scènes où les élèves paniqués criaient, pleuraient et s’enfuyaient, et les élèves ont raconté la peur et l’anxiété ressenties pendant ces attaques.
Human Rights Watch a documenté par le détail 15 attaques d’écoles par des combattants séparatistes armés entre janvier 2017 et novembre 2021. Dans bon nombre de ces attaques, les auteurs n’ont pas été identifiés comme combattants séparatistes, et aucun groupe n’a revendiqué la responsabilité. Cependant, les personnes interrogées par Human Rights Watch pensent que les attaques ont été commises par des combattants séparatistes en raison des vêtements qu’ils portaient (des tenues civiles, ou simplement des pantalons militaires ou des t-shirts de camouflage, par opposition à des uniformes complets), de leurs accessoires (notamment des amulettes), du types d’armes qu’ils possédaient (des fusils de chasse et des machettes), de la langue qu’ils parlaient (anglais pidgin, anglais et dialectes locaux) et de leurs déclarations selon lesquelles les élèves ne devraient pas aller à l’école et les écoles devraient être fermées. Dans un autre cas documenté dans ce rapport, des preuves suggèrent que les forces de sécurité camerounaises ont brûlé et détruit un bâtiment scolaire qui avait été utilisé par des groupes séparatistes armés.
Ce lycée avec internat accueille environ 200 étudiantes. Il a fermé en octobre 2017 suite à des menaces persistantes de combattants séparatistes, notamment une attaque qui s’est produite au début de ce mois. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux élèves présentes lors de cette attaque.[167] Nina, 19 ans, se souvient : « Ils n’ont pas tiré, mais ont utilisé des pierres et des machettes pour briser les fenêtres de l’école. Nous n’avons pas vu les amba, mais nous avons entendu leurs cris et nous avons eu peur ».[168]
Human Rights Watch a également examiné deux vidéos montrant l’école abandonnée.
Des inconnus armés ont pris d’assaut cette école privée du quartier Fiango à Kumba vers 11 heures, tuant 7 enfants et en blessant au moins 13 autres.[169] Le jour de l’attaque, le ministre camerounais de la communication a annoncé l’ouverture d’une enquête.[170]
En octobre 2021, le gouvernement n’avait toujours pas rendu d’information publique sur l’enquête. L’école a fermé ses portes immédiatement après l’attaque et restait fermée au moment de la rédaction de ce rapport.
Le 7 septembre, un tribunal militaire camerounais a condamné quatre personnes à la peine de mort par peloton d’exécution pour l’attaque de l’école de Kumba. Toutefois, la manière dont les quatre accusés et huit autres prévenus ont été identifiés, l’absence de preuves crédibles à leur encontre et la façon dont le procès s’est déroulé en violation des normes internationales en matière de procès équitable suscitent de vives inquiétudes.[171] Outre le recours à un tribunal militaire pour juger des civils ou l’imposition de la peine de mort, le procès a été entaché de graves irrégularités de procédure, notamment en raison de l’impossibilité pour la défense de procéder au contre-interrogatoire des témoins, de l’absence de traduction des débats de l’anglais ou du français vers l’anglais pidgin parlé par la plupart des prévenus, et de l’absence de procédure régulière en ce qui concerne la détention des prévenus.[172]
Le tribunal a jugé les quatre accusés coupables de terrorisme, de sécession, d’hostilité contre la patrie, de meurtre, de possession d’armes et de munitions illégales et d’insurrection. Il a condamné quatre autres accusés à cinq mois de prison et à une amende de 50 000 francs CFA (89 dollars américains) pour avoir prétendument omis de signaler l’existence d’une menace qui leur aurait été transmise par des combattants séparatistes. Le tribunal a acquitté quatre autres personnes.
Vers 8 heures du matin, au moins 10 combattants séparatistes armés de fusils et de machettes ont attaqué cette école privée.[173] Ils ont forcé une vingtaine d’écoliers et quatre enseignants à se déshabiller et ont battu certains d’entre eux avant de les relâcher et d’incendier le bureau du directeur ainsi qu’un autre bureau.
Human Rights Watch s’est entretenu avec deux enseignants qui étaient présents lors de l’attaque et avec le directeur de l’école, arrivé sur les lieux peu après l’attaque.[174] Une enseignante, Julia, a déclaré :
L’autre enseignant a ajouté que les combattants séparatistes ont ramassé leurs vêtements imbibés d’essence et les ont mis dans deux bureaux de l’école avant de mettre le feu à ces derniers.[176] Human Rights Watch a également examiné des extraits vidéo de cette attaque.[177]
Vers 10 heures, un groupe de combattants séparatistes présumés a attaqué l’école, déjà fermée depuis 2017 en raison de la crise, et a partiellement brûlé au moins l’une des salles de classe. Deux témoins[178] ont déclaré avoir vu plusieurs hommes armés, qu’ils ont identifiés comme des combattants séparatistes, entrer dans l’école située dans le quartier Balong de Muyuka, avant d’apercevoir de la fumée qui venait du bâtiment. Ils ont également déclaré que des soldats étaient intervenus pour tirer sur les assaillants qui se sont enfuis.
« Quand les tirs ont cessé, je suis entré dans l’école et j’ai vu la classe brûlée », a déclaré l’un des témoins. « Des habitants du quartier ont aidé à éteindre le feu ».[179]
Human Rights Watch a également examiné quatre photographies prises par un habitant de Muyuka le lendemain de l’attaque et qui montre les dégâts dans la salle de classe qui a été incendiée.
Des hommes armés non identifiés ont pris d’assaut le lycée, tué quatre enfants et une enseignante[180] et blessé au moins cinq autres enfants. L’attaque s’est déroulée en plein jour, pendant les cours, vers 7h45 du matin.
Une femme qui habite à proximité du lycée a raconté à Human Rights Watch : « J’ai entendu plusieurs coups de feu, puis une forte explosion. Je ne savais pas ce qui se passait. Je me suis allongée sur le sol. Une heure plus tard, j’ai été informée de l’attaque contre l’école. Je suis encore sous le choc. Le lycée public bilingue est la plus grande école de la ville, avec environ 1 000 élèves ».[181]
Une femme membre d’une organisation humanitaire et habitante d’Ekondo Titi a déclaré :
Une autre habitante d’Ekondo Titi, qui connaissait deux des enfants tués et s’est précipitée dans les deux hôpitaux où les victimes ont été transférées après l’attaque, a déclaré :
Selon les habitants d’Ekondo Titi interrogés par Human Rights Watch, il n’y avait pas de personnel de sécurité aux alentours de l’école au moment de l’attaque. Les habitants ont cependant déclaré qu’il y avait un poste de police, une base de gendarmerie et une base de l’armée à Ekondo Titi.[184]
L’attaque, qui a suscité des condamnations dans tout le pays[185] et au niveau international[186], a entraîné la suspension temporaire de toutes les activités scolaires à Ekondo Titi.[187]
Personne n’a revendiqué l’attaque. Aboloa Timothe, le préfet d’Ekondo Titi, a imputé la responsabilité de l’attaque aux combattants séparatistes.[188]
Des témoins et des habitants d’Ekondo Titi qui ont parlé à BBC News Pidgin ont déclaré qu’avant l’attaque, les combattants séparatistes avaient menacé de brûler l’école si elle ne se pliait pas à leurs exigences de fermeture.[189]
Dans une déclaration du 12 novembre 2021, Capo Daniel, le chef adjoint des Ambazonia Defense Forces, un important groupe séparatiste, a imputé l’attaque à « The Expandable 100 », un autre groupe séparatiste qui, selon lui, est sous l’autorité de Samuel Sako, le président du Ambazonia Interim Governement.[190]
Dans un communiqué de presse du 25 novembre 2021, Cyrille Serge Atonfack Guemo, porte-parole de l’armée, a imputé l’attaque aux combattants séparatistes placés sous le commandement de « 10 Kobo ».[191]
Human Rights Watch a visionné une vidéo censée montrer des combattants du groupe « The Expandable 100 » et l’un de leurs chefs, connu sous le nom de « 10 Kobo », qui, en anglais pidgin, menace d’attaquer toute école et tout autre lieu placé sous la surveillance de l’armée. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier l’authenticité de la vidéo. Dans la vidéo non authentifiée, « 10 Kobo » indique la date à laquelle la vidéo a été filmée : « aujourd’hui, le 8 du 9ème mois de 2021 », qui correspond à la première semaine de la nouvelle année scolaire 2021-2022, un contexte cohérent avec le fait que l’armée, à l’époque, essayait bien de surveiller les écoles pour permettre leur reprise.
Dans un message publié sur Twitter le 25 novembre, Mark Bareta, un militant séparatiste bien connu, a déclaré que « 10 Kobo a envoyé un message audio dans lequel il accuse l’armée camerounaise d’avoir tué des écoliers » et ajouté que « le combattant a déclaré qu’il n’avait rien à faire avec des enfants ou des civils, et que son objectif avait toujours été militaire ».[192]
Des combattants séparatistes ont brûlé cette école une nuit, entre 21 et 22 heures, en mars ou avril 2017.[193] Thomas, un enseignant, a décrit l’attaque : « Ils ont brûlé la salle du personnel, la salle du directeur et la bibliothèque. Nous nous y sommes précipités, mais le feu était difficile à éteindre. Tous les dossiers scolaires, les livres et autres documents ont été brûlés. Même certains ordinateurs ont été brûlés ». [194]
Un ancien élève[195] de l’école et le parent d’un autre ancien élève ont fait le même récit des événements.[196]
« Cela a été un choc de voir la bibliothèque entièrement brûlée », a déclaré une ancienne élève de 21 ans. « Pour les élèves comme moi qui ne pouvaient pas se payer des manuels, les livres de cette bibliothèque étaient très importants ».[197]
Les trois personnes interrogées par Human Rights Watch au sujet de cet incident pensaient que les auteurs étaient des combattants séparatistes, car des séparatistes armés avaient déjà menacé d’attaquer cette école auparavant et avaient attaqué d’autres écoles dans la région.
Le lycée, qui accueillait entre 1 000 et 1 400 élèves avant la crise, a finalement fermé ses portes en 2018. Il est resté fermé au moins jusqu’à la fin avril 2021, comme en témoignent deux vidéos filmées à cette époque et qui montrent une école à l’abandon, l’aile administrative incendiée, et des chèvres et des vaches qui paissent sur les terres environnantes, indiquant que les terrains de l’école sont inutilisés.
Une dizaine de combattants séparatistes armés de fusils et de machettes ont fait irruption au lycée public du village d’Ashong et ont menacé de tuer huit enseignants s’ils ne fermaient pas l’école. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux enseignants qui ont assisté à l’attaque et avec un responsable local.[198] Les élèves avaient cessé d’aller à l’école des semaines auparavant, ils n’étaient donc pas présents lors de l’attaque. Cependant, en raison de la pression exercée par le gouvernement, les enseignants ont continué à se rendre à l’école et cette école est restée ouverte – sans élèves – même après l’attaque.[199]
Un enseignant de 32 ans a raconté comment au moins six séparatistes armés ont perturbé une réunion qui discutait de la reprise des cours :
L’enseignant a déclaré à Human Rights Watch qu’il y a plusieurs groupes armés séparatistes à Konene et dans les environs, dont les Ambazonia Defense Forces et le groupe dirigé par le général RK, les British Southern Cameroons Resistance Forces.[201]
Juste avant l’aube, des séparatistes armés ont pris d’assaut le pensionnat de Nkwen et ont enlevé 79 pensionnaires dans leurs dortoirs.[202] Selon les médias, les élèves, âgés de 11 à 17 ans, ont été enlevés en même temps que le directeur, un enseignant et un chauffeur.[203] Les 79 élèves, ainsi que le directeur, l’enseignant et le chauffeur, ont finalement été libérés le 7 novembre.[204]
En mai 2020, le gouvernement a déclaré que l’un des auteurs présumés, un combattant séparatiste connu sous le nom de « Général Alhaji », avait été tué au cours d’une opération militaire.[205]
Des séparatistes armés ont attaqué ces deux écoles catholiques, situées dans le même complexe, à deux reprises.[206] La première fois, en juin 2020, ils sont arrivés vers 19h30 et ont forcé les enseignants, en les menaçant avec leurs armes, à leur remettre de l’argent et des objets de valeur, notamment des téléphones et des ordinateurs. Ensuite, ils ont fait irruption dans le dortoir du collège de filles qu’ils ont « terrorisées avec leurs armes à feu ».[207] La deuxième fois, en septembre 2020, entre 10 et 15 séparatistes habillés en civil et armés de fusils de chasse et de machettes sont venus vers 18 heures. Ils ont menacé les sœurs catholiques qui gèrent l’école et ont tenté d’enlever l’abbesse (la religieuse en chef), que les autres sœurs avaient cachée, pour obtenir une rançon. Aucun enfant ne se trouvait à l’école au moment des faits.[208] Les deux fois, ils se sont identifiés comme des séparatistes et ont averti le personnel de cesser d’enseigner et de fermer l’école.
Les combattants séparatistes ont attaqué cette école où se trouvaient plus de 200 élèves et ont enlevé 11 enseignants. Ils ont détenu et menacé les enseignants dans leur camp situé dans la brousse, avant de les libérer le 6 novembre. Human Rights Watch s’est entretenu avec le révérend Fonki Samuel Forba, modérateur de l’Église presbytérienne du Cameroun et l’un des enseignants enlevés.[209] Les médias internationaux ont corroboré leurs récits.[210]
Selon Forba : « Les enfants se sont enfuis dans toutes les directions, ils étaient tous très effrayés… Les enseignants ont été emmenés dans un camp séparatiste situé loin dans la brousse. Bien que les enseignants n’aient pas été maltraités, ils ont été avertis qu’ils ne devaient pas enseigner et que l’école devait rester fermée ».[211] Les habitants de Kumbo soupçonnent les ravisseurs d’être des combattants séparatistes, qui disposent de nombreux camps dans la région, et le gouvernement camerounais a accusé les combattants séparatistes d’être responsables de ces enlèvements.[212]
Les séparatistes armés ont tiré en l’air et sur le portail de l’école, provoquant la panique parmi les élèves et les enseignants avant que les gendarmes stationnés dans l’école ne répondent par des tirs. Human Rights Watch a parlé avec deux enseignants qui étaient présents lors de l’attaque.[213] L’un d’eux pense que la présence d’environ sept gendarmes a déclenché l’attaque. Il a décrit les hostilités qui ont suivi :
L’autre enseignant a vécu une expérience similaire : « Les amba sont arrivés tôt, au moment où les enfants entraient dans l’école. Ils ont commencé à tirer en l’air. Ils sont venus pour effrayer les élèves parce qu’ils allaient à l’école. Je me suis enfui avec d’autres enseignants et élèves. Depuis cet incident, j’ai cessé d’enseigner. C’est trop risqué ». [215]
Human Rights Watch a pris connaissance de l’attaque présumée d’une école par les forces de sécurité camerounaises grâce à une vidéo publiée sur les réseaux sociaux en janvier 2019, qui montre un groupe de soldats camerounais autour d’un bâtiment scolaire en feu, et diffuse une interview avec un habitant de la ville de Widikum, dans la région du Nord-Ouest.[216] Le Centre des droits de l’homme de l’Université de Californie à Berkeley et Bellingcat, un collectif de journalistes d’investigation, ont géolocalisé la vidéo, qui semble avoir été filmée dans le village d’Eka, dans la région du Nord-Ouest.[217] Bien que la vidéo ne montre pas qui a allumé le feu, ils ont constaté que les soldats « ne semblent pas faire d’effort concerté pour l’éteindre ». [218]
L’habitant de Widikum, une ville proche d’Eka, a accusé les soldats d’avoir brûlé l’école en représailles à l’utilisation de cette dernière comme camp par les séparatistes.[219] Un site Internet pro-gouvernemental a également affirmé que « l’armée a brûlé l’école parce que les combattants séparatistes l’avaient utilisée comme base ».[220]
L’attaque a gravement endommagé l’école, qui reste fermée depuis juillet 2021.
Les combattants séparatistes se sont servis de dizaines d’écoles comme bases pour leur opérations et ont détenu des otages, stocké des armes et des munitions et déployé des combattants dans ces écoles et à proximité de celles-ci, selon les témoignages de l’ONU et d’autres organisations dignes de confiance.[222] Un haut responsable de l’éducation camerounais a déclaré en juillet 2019 que les combattants séparatistes occupaient et utilisaient 53 écoles comme camps dans les régions anglophones.[223] En septembre 2020, l’armée a annoncé avoir chassé les combattants séparatistes d’au moins 100 écoles dans la seule région du Nord-Ouest.[224] Human Rights Watch a reçu des informations sur l’occupation de trois écoles dans la région du Sud-Ouest par des combattants séparatistes, et a documenté dans plusieurs rapports déjà publiés l’occupation par des combattants séparatistes de quatre écoles dans la région du Nord-Ouest.[225]
Un ancien combattant séparatiste, Peter, a déclaré que le groupe Asawana auquel il appartenait avait occupé au moins trois écoles dans la région du Sud-Ouest. Il a précisé que ce groupe avait utilisé l’école secondaire publique de Foe Bakundu pendant environ deux ans, l’école secondaire publique de Maromba pendant environ trois ans et l’école secondaire publique de Bai Panya pendant environ un an. Toutes les écoles étaient utilisées pour stocker des armes et comme centres disciplinaires pour punir physiquement les villageois qui violaient les règles des séparatistes. Les écoles de Foe Bakundu et de Maromba, abritaient des geôles et des bureaux où les villageois pouvaient déposer des plaintes, et l’école de Bai Panya servait de lieu de réunion pour les combattants d’Asawana.[226] Human Rights Watch n’a pas été en mesure de corroborer les informations sur l’occupation de ces trois écoles.
Des combattants séparatistes ont occupé l’école primaire et maternelle publique du village de Tan, dans la région du Nord-Ouest, de 2018 à décembre 2019 au moins.[227] Le 8 décembre 2019, vers 5h30 du matin, des soldats l’ont prise d’assaut et ont tué au moins six combattants séparatistes dans l’école.[228] Par la suite, des témoins ont vu des soldats endommager et piller l’école. Les manuels scolaires avaient déjà été détruits pendant l’occupation des séparatistes armés.[229] Un leader communautaire a décrit la scène comme suit : « Les tirs étaient nourris. Les villageois se sont enfuis pour sauver leur peau. Je me suis également enfui avec ma famille et je me suis réfugié dans la brousse où je suis resté une semaine environ. Quand je suis revenu avec d’autres villageois, nous avons découvert les cadavres [des combattants séparatistes] et nous les avons enterrés ». [230]
Depuis décembre 2019, l’école est abandonnée. Les villageois et les enseignants qui y travaillaient ont commencé à réparer les dégâts. « Après l’intervention des soldats, nous avons enfin pu entrer dans l’école pour voir ce qu’elle était devenue », a déclaré un ancien enseignant de l’école. « Il y avait beaucoup de dégâts ». Selon lui, deux panneaux solaires et des ustensiles de cuisine, comme des casseroles, avaient disparu et les portes et le toit de l’école étaient criblés de balles.[231] Human Rights Watch a examiné des photographies et des vidéos prises en mai 2021 montrant l’école abandonnée, une salle de classe avec des bancs cassés et des cahiers dispersés sur le sol, et des portes et le toit détruits. Avant que la crise n’éclate fin 2016, cette école comptait jusqu’à 300 élèves et accueillait non seulement la population locale mais aussi les Mbororo, peuple nomade de la région.[232]
Les autorités camerounaises ont pris des mesures pour répondre aux attaques contre l’éducation, notamment en souscrivant à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles en septembre 2018.[234] Les pays qui approuvent cette déclaration acceptent de prendre des mesures pour renforcer la prévention des attaques contre l’éducation et les réponses qui leur sont données.[235] Le gouvernement camerounais a commencé à remplir ses engagements au titre de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles en mettant en œuvre certaines mesures visant à maintenir l’accès des enfants à l’éducation, avec le financement et le soutien de donateurs et d’organisations humanitaires.[236]
La poursuite de l’éducation durant les conflits est un engagement pris dans le cadre de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, et le gouvernement camerounais a tenté de relancer l’éducation dans les régions anglophones avec des campagnes de retour à l’école plus poussées au début de chaque nouvelle année scolaire que celles qu’il menait avant la crise. Malheureusement, de nombreux enseignants et analystes indépendants estiment que ces campagnes de retour à l’école mettent en danger la vie des élèves et des enseignants en les obligeant à aller à l’école malgré l’insécurité généralisée.[237]
Tina, enseignante au lycée public d’Ashong, un village dans la région du Nord-Ouest, a décrit comment les enseignants sont obligés de se rendre à l’école malgré le manque de sécurité, de protection et même d’élèves :
Avant le début de l’année scolaire 2019-2020, le gouvernement a lancé une campagne de rentrée des classes très médiatisée.[239] La campagne de rentrée scolaire qui a suivi, celle de l’année scolaire 2020-2021, est intervenue après près de sept mois de fermeture des écoles dans tout le pays en raison de la pandémie de Covid-19.[240] Les attaques contre l’éducation dans les régions anglophones se sont intensifiées presque immédiatement après le retour physique des élèves à l’école en octobre 2020. En quelques semaines, un enseignant a été assassiné, un autre kidnappé,[241] et Human Rights Watch a documenté des attaques contre trois écoles au moins (à Kumba, Kumbo et Limbe).[242] Certains élèves ont cessé d’aller à l’école pendant des mois après ces attaques, car les parents hésitaient à y envoyer leurs enfants parce qu’ils craignaient pour leur sécurité.[243]
Chris, un professeur de lycée à Buea, à environ 70 kilomètres de Kumba, a déclaré qu’après la diffusion d’informations sur le massacre de Kumba, des parents d’élèves « se sont précipités à l’école et ont littéralement sorti leurs enfants des salles de classe ». Il a décrit « la panique et l’agitation, même si nous étions loin de l’endroit où les tueries se sont produites ». [244]
Non seulement les parents, mais aussi les enseignants ont peur. « Il faut du courage pour enseigner », a déclaré une enseignante de 36 ans à Muea. « Chaque matin, quand je me réveille et que je marche vers l’école, je prie Dieu pour que je revienne vivante ». [245]
Le 3 septembre 2021, avant la reprise de l’année scolaire 2021-2022 le 6 septembre, le gouvernement a de nouveau mis en place une campagne musclée pour accompagner la rentrée des classes.
Dans un message publié sur le compte Facebook du ministre de la Défense, au-dessus d’une caricature montrant un soldat tenant un enfant par la main, on pouvait lire : « L’éducation est un droit fondamental. Les enfants doivent aller à l’école ».[246]
Les autorités camerounaises ont déclaré qu’au moins 400 écoles ont rouvert et que 70 000 élèves ont repris les cours dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pour l’année scolaire qui a débuté en septembre 2021.[247] Les médias locaux ont rapporté que les autorités des deux régions anglophones avaient enregistré des améliorations dans la fréquentation scolaire par rapport à l’année passée.[248]
Citant des statistiques des autorités éducatives camerounaises, l’OCHA a indiqué qu’une semaine seulement après la reprise de l’année scolaire 2021-2022, 53% des écoles secondaires, 49% des écoles primaires et 47% des écoles maternelles dans la région du Sud-Ouest n’étaient pas fonctionnelles, et que seules 23% des écoles secondaires étaient fonctionnelles dans la région du Nord-Ouest.[249]
Des enseignants et parents d’élèves des deux régions ont également déclaré à Human Rights Watch que la majorité des écoles restaient fermées.
Une mère de deux enfants scolarisés à Muyuka, dans la région du Sud-Ouest, a déclaré :
Les groupes séparatistes ont appelé à un confinement de 18 jours, du 15 septembre au 2 octobre 2021.[251]
Selon l’ONU, en raison du confinement imposé par les séparatistes, « toutes les écoles et espaces d’apprentissage communautaires ont été fermés, à l’exception de certaines écoles dans quelques zones urbaines qui fonctionnent à moins de 60 % de leur capacité par rapport à la première semaine de l’année scolaire 2021-2022 ».[252]
« Les écoles étaient censées ouvrir en septembre, mais mes enfants restent à la maison. Nous restons tous à la maison. La ville est morte. Nous avons peur de violer les ordres de confinement. Nous ne voulons pas avoir de problèmes », a déclaré à Human Rights Watch un père de deux enfants à Kumba, dans la région du Sud-Ouest.[253]
Le gouvernement camerounais a fréquemment déployé des membres des forces de sécurité à l’intérieur ou à l’extérieur des établissements scolaires dans le but d’améliorer la sécurité dans les écoles des grands centres urbains, où les écoles continuent de fonctionner. Après l’attaque du 10 novembre 2021 contre l’université de Buea, par exemple, Bernard Okalia Bilai, gouverneur de la région du Sud-Ouest, a déclaré aux médias que tout le monde devait retourner en cours, car des soldats avaient été déployés pour protéger les étudiants et les membres du personnel.[254] Les réactions ont été mitigées : à Human Rights Watch, certains étudiants et enseignants ont dit apprécier cette forme de protection, alors que d’autres considéraient au contraire que ce n’était pas une bonne chose.
Les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire pendant les conflits armés, que le Cameroun a approuvées par le biais de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, proposent une gamme d’interactions progressive entre les forces de sécurité et les établissements scolaires en cas de menaces pour la sécurité des écoles :
Si les Lignes directrices ont été spécifiquement élaborées pour être appliquées pendant un conflit armé, elles peuvent également être utiles et instructives pour des situations comparables, notamment pour les situations susceptibles de se transformer en conflit armé.[256]
Certains enseignants se sont sentis plus en sécurité lorsque des agents ou des forces de sécurité, tels que des policiers, des gendarmes et des soldats, étaient déployés dans les alentours de leur école. Lily, une enseignante de l’école secondaire bilingue du quartier de Molyko à Buea, a dit se sentir plus « à l’aise » et « plus en sécurité » du fait de la présence d’environ six membres des forces de sécurité devant le portail de l’école, et de celle de deux ou trois autres membres de ces forces qui patrouillaient autour. La nuit, des agents de sécurité privés remplacent les forces de sécurité du gouvernement.[257] Au lycée public technique, lui aussi situé dans le quartier de Molyko, au moins deux ou trois membres des forces de sécurité sont présents, y compris la nuit. Chris, un enseignant de cet établissement explique : « Je pense que c’est bien qu’ils soient là. Sans eux, nous serions plus exposés aux attaques. Leur présence dissuade les attaques ».[258] Un enseignant d’une école privée du quartier de Sandpit à Buea s’est dit « rassuré et mieux protégé » par la présence de soldats dans les environs de l’école. « Je me sens plus en sécurité et je travaille mieux », a-t-il déclaré. « J’espère qu’ils vont continuer à patrouiller jusqu’à ce que la situation sécuritaire s’améliore ».[259]
Certains élèves se sentent aussi plus en sécurité. « Les gendarmes sont présents dans notre école en permanence – ils dorment sur place », a déclaré un élève de 20 ans du lycée public technique de Bamenda. « Nous nous sentons plus en sécurité depuis qu’ils sont ici. C’est une garantie de sécurité supplémentaire pendant les heures de cours. Je pense qu’ils devraient rester là ». [260]
Pour d’autres, le déploiement des forces de sécurité dans et autour de leurs écoles était une source de préoccupation, alimentant les craintes que la présence de ces forces n’augmente le risque d’attaques par des séparatistes armés. Certains se sentent mal à l’aise en présence des forces de sécurité, en raison de leur réputation abusive.
Un enseignant de l’école supérieure technique de formation des enseignants de Kumba a fait part de sa crainte de voir les forces de sécurité patrouiller dans les salles de classe :
Lorsque des combattants séparatistes ont pris pour cible le lycée public bilingue d’Atiela à Bamenda, un enseignant a considéré que les combattants séparatistes avaient attaqué son école parce que des gendarmes y étaient stationnés pour des raisons de sécurité. En juin 2021, l’école fonctionnait avec des gendarmes postés à l’intérieur de l’établissement.[262]
Le personnel du Community Christian College de Muea a décidé de ne pas faire appel à des soldats pour assurer une sécurité supplémentaire :
Une élève de 22 ans du Saint Paul Comprehensive College, une école privée du village de Nkwen à Bamenda, a déclaré que des agents de sécurité privés assurent généralement la sécurité de son école. Cependant, pendant la période des examens, du 29 juin au 13 juillet 2021, les forces de sécurité ont patrouillé dans l’école, probablement pour dissuader les combattants séparatistes de l’attaquer. Elle a dit qu’elle préférait les gardes de sécurité privés aux forces de sécurité gouvernementales :
Certains ont trouvé un compromis avec les forces de sécurité. À l’école maternelle publique de Bokwoango à Buea, le personnel éducatif a demandé aux forces de sécurité de quitter les lieux et de privilégier les patrouilles autour du périmètre de l’école. « Les élèves avaient peur, et nous avions l’impression que nous pouvions devenir la cible des ambas », a expliqué un enseignant. Les forces de sécurité ont accédé à leur demande.[265]
Le gouvernement a fait des efforts pour répondre aux attaques contre l’éducation dans les régions anglophones, mais ces efforts ont été insuffisants pour résoudre les problèmes liés à la sécurité dans les écoles des zones rurales et sur le chemin des écoles. En outre, l’obligation de rendre des comptes pour des attaques contre l’éducation a été presque inexistante. Le gouvernement n’a pas non plus réussi à résoudre le problème du manque de ressources et de la surpopulation dans les écoles qui accueillent les élèves déplacés à l’intérieur du pays.
En période de conflit armé ou de situations comparables de violence persistante qui menacent la sécurité des lieux d’enseignement, des élèves et du personnel d’éducation, les gouvernements ont l’obligation de contrer le risque et de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la sécurité des lieux d’enseignement et de ceux qui s’y trouvent. La sécurité des écoles et des universités doit être assurée de manière à ne pas accroître leur vulnérabilité aux attaques, par exemple en en faisant les cibles potentielles d’un conflit armé ou de groupes armés dans le cadre d’une insurrection. Les opinions des professionnels de l’éducation, des élèves et des parents, qui doivent être régulièrement et formellement consultés, doivent être prises en compte dans l’élaboration des plans de sécurisation des écoles et des universités.
Les forces gouvernementales déployées pour assurer la sécurité doivent également respecter le droit international des droits humains de manière stricte et, le cas échéant, le droit international humanitaire, avec une tolérance zéro pour les abus contre les civils, afin que le personnel et les élèves puissent faire confiance à ceux qui assurent leur sécurité. Comme indiqué plus haut, les Lignes directrices sur la sécurité dans les écoles préconisent de recourir à du personnel civil dûment formé pour assurer la sécurité quand cela est possible, et de n’utiliser les forces armées que lorsque d’autres moyens ne sont pas disponibles.
Par conséquent, le gouvernement camerounais devrait proposer une gamme de mesures de sécurité qui répondent aux risques évalués pour les écoles, les élèves et les enseignants. Dans la mesure du possible, il convient de faire appel à du personnel civil dûment formé, tel que des gardes et des gardiens, pour assurer la sécurité des établissements. Toute décision de faire appel à la police, aux gendarmes, puis aux forces armées, ne doit être prise que dans le cadre d’une réponse nécessaire et proportionnée au risque évalué.
Si le personnel des forces armées est engagé dans des missions de sécurité liées aux écoles, leur présence dans l’enceinte des écoles ou les bâtiments scolaires doit être évitée dans la mesure du possible, notamment pour l’hébergement. Quand cela est possible, la mise en place de périmètres de sécurité élargis dans les quartiers autour des écoles, plutôt que directement devant les écoles, peut permettre de minimiser les perturbations de la scolarité des enfants et éviter la militarisation des enceintes scolaires ou universitaires.
De même, lorsqu’il devient nécessaire d’assurer la sécurité des itinéraires empruntés par les enseignants et les élèves pour se rendre à l’école et en revenir, le gouvernement doit envisager la possibilité d’effectuer des rondes sur ces itinéraires avant et après les journées d’école, plutôt que de déployer des escortes qui protègent directement enseignants et élèves.
Pour certaines des écoles attaquées, il n’existait aucune protection particulière. Pour d’autres, les forces de sécurité n’ont pas réagi de façon adaptée aux signes avant-coureurs et aux menaces d’attaque. Certaines victimes et certains témoins ont fait part de leur déception face à l’inaction du gouvernement.
Par exemple, les mesures de sécurité gouvernementale – de police ou autre – étaient inexistantes autour de la Mother Francisca International Bilingual Academy à Kumba lorsque des hommes armés soupçonnés d’être des séparatistes ont pris d’assaut l’école et tué sept enfants en plein jour le 24 octobre 2020.[266] « C’est une honte qu’aucun membre des forces de sécurité n’ait été présent à proximité de l’école au moment de l’attaque »,[267] a déclaré un homme dont la fille de 12 ans a été blessée par balle lors de l’attaque. « Nos enfants méritent une meilleure protection ».[268]
Dans un communiqué en réponse à l’incident, le porte-parole du gouvernement a déclaré que l’école « n’a lancé ses activités qu’au début de l’année scolaire 2020-2021, à l’insu des autorités administratives compétentes, et ne pouvait pas bénéficier des mêmes mesures de sécurité dont jouissent les autres écoles ».[269] Cependant, selon plusieurs habitants et journalistes de Kumba, l’école était ouverte depuis plusieurs années, et seules les écoles publiques de Kumba – et non les écoles privées – bénéficient de la présence de forces de sécurité devant les établissements.[270]
Lorsque les combattants séparatistes ont attaqué le Kulu Memorial College à Limbe moins de deux semaines plus tard, cette école n’était pas protégée non plus.[271] « Il n’y avait aucune présence des forces de sécurité aux alentours de l’école au moment de l’attaque : pas de militaires, pas de gendarmes, pas de policiers, rien », a déclaré Julia, qui enseigne dans cet établissement. « Les militaires ne sont arrivés qu’après l’attaque, quand les tireurs avaient déjà disparu ».[272]
Aucune troupe des forces de l’ordre n’est intervenue pendant ou après l’attaque du lycée public d’Ashong par des combattants séparatistes.[273] Tina, une enseignante de cette école, a estimé que les forces de sécurité ne s’en souciaient pas : « Il y a un poste de gendarmerie dans notre communauté. Mais les gendarmes n’ont pas réagi pendant ou après l’attaque des amba. Les jours suivants, ils ne sont pas non plus venus nous poser des questions pour savoir ce qui nous était arrivé ».[274]
Malgré les menaces répétées des séparatistes de perturber la fête nationale du 20 mai 2020, il n’y avait aucun membre des forces de sécurité dans ou autour de l’université de Bamenda ce jour-là. Jim, qui a été enlevé par des combattants séparatistes, a déclaré : « Il y a une base militaire à seulement sept kilomètres de [Bambili]. Mais personne n’est intervenu lorsque nous avons été kidnappés. Aucun soldat n’est venu et aucun soldat ne se trouvait près de l’université lorsque les amba sont arrivés… Au vu de ce que j’ai vécu personnellement, je pense que les menaces [séparatistes] ont été négligées ou qu’elles n’ont pas été prises au sérieux ».[275]
Les élèves et les enseignants devraient avoir non seulement pouvoir fréquenter des écoles sûres, mais aussi pour pouvoir aller à l’école et en revenir sans risquer d’être attaqués. Selon Lily, une enseignante dans un lycée public :
En fait, tous les élèves, enseignants et parents interrogés par Human Rights Watch qui vont encore à l’école dans les régions anglophones étaient très préoccupés par l’insécurité sur les itinéraires qu’ils empruntaient pour aller de l’école.
« Quand je les vois quitter la maison le matin, je m’inquiète, je suis nerveux », a déclaré le père de deux garçons de Bomaka, dans la région du Sud-Ouest. « Je pense à tous les risques qu’ils encourent sur le chemin et à l’école. Nous vivons avec la peur au ventre ».[277]
Certains parents ont cherché à atténuer ces risques en organisant des taxis pour leurs enfants, malgré le coût que cela représente.[278] Un lycéen de Bamenda a décrit une stratégie couramment utilisée par les élèves pour se protéger : « Quand je vais à l’école, je ne porte pas mon uniforme scolaire. Je porte juste des vêtements normaux. J’ai peur d’être repéré par les amba. Le trajet fait un kilomètre environ et je ne me sens jamais en sécurité ».[279]
La plupart des écoles qui se trouvent dans des zones touchées par la violence, en particulier les zones rurales où la présence des groupes séparatistes est plus forte, sont fermées depuis 2017.[280] Certains des enseignants, élèves et parents d’élèves interrogés par Human Rights Watch pensaient qu’une présence militaire accrue dans les communautés rurales favoriserait la reprise des cours. D’autres au contraire pensaient que l’augmentation des effectifs des forces de sécurité ne permettrait pas aux cours de reprendre en toute sécurité et pourrait même être un facteur d’insécurité.
Dans le village d’Akeh, une communauté rurale de la région du Nord-Ouest où sévissent des groupes séparatistes très actifs, un ancien haut responsable éducatif du lycée public, fermé depuis juillet 2018, a estimé qu’une présence militaire renforcée aiderait les écoles à reprendre en toute sécurité. Il pensait que « l’installation d’une base ou d’un poste militaire pourrait contribuer à décourager les amba d’attaquer les écoles ».[281]
Thomas, enseignant dans un lycée public, a appelé à une solution globale et politique pour faire face aux complexités de la reprise des cours :
Le nombre de déplacés dans les régions anglophones et francophones du Littoral, de l’Ouest et du Centre a plus que triplé, passant de 160 000 en 2018 à près de 600 000 en 2021.[283] En conséquence, les écoles publiques et privées des villes d’accueil ont souffert de la surpopulation. Les écoles des centres urbains sont particulièrement surchargées,[284] en partie parce que les enseignants, les élèves et les parents déplacés à l’intérieur du pays ont estimé que ces endroits seraient plus sûrs en raison d’une présence accrue des forces de sécurité.[285] De nombreux enfants ont ainsi déménagé, avec ou sans leur famille, vers ces zones urbaines pour avoir accès à l’éducation en toute sécurité.[286] Les enseignants ont aussi été redéployés dans les principaux centres urbains après la fermeture de leurs écoles en zone rurale.[287]
Dans ces centres urbains, les enseignants, parents et élèves interrogés par Human Rights Watch considèrent que ce problème de surpopulation pousse les classes au-delà des limites de leur capacité, avec parfois 100 élèves par classe – alors même que la taille des classes avant la crise était d’environ 25 à 50 élèves selon les recherches que nous avons menées – et des écoles qui se battent pour accueillir tout le monde avec une aide du gouvernement qui reste très limitée. Le manque de ressources matérielles et humaines a exacerbé cette situation.
Une enseignante de l’école secondaire publique bilingue de Buea a déclaré que les effectifs y avaient augmenté d’au moins 1 000 élèves depuis 2019 en raison de l’arrivée d’élèves déplacés. Elle a fait part d’un besoin en salles de classe supplémentaires, en enseignants, en bureaux, en bancs et en matériel scolaire.[288] Un autre enseignant de Buea a observé une forte augmentation du nombre d’élèves au lycée public du quartier de Great Soppo et au lycée public technique du quartier de Molyko due à l’arrivée d’un grand nombre d’élèves déplacés. « C’est compliqué d’assurer une éducation de qualité pour un nombre aussi important d’élèves », a-t-il expliqué. « Il nous faut plus d’espace dans les salles de classe, plus de pupitres et plus d’enseignants. Nous n’avons reçu aucun soutien du gouvernement en ce sens ».[289]
Tim, qui a fui sa communauté suite à une attaque de combattants séparatistes, a connu cette forme de saturation dans sa nouvelle école, le lycée public technique à Buea :
Selon un responsable de l’éducation à Douala – une ville située dans la région du Littoral, qui a accueilli des milliers de personnes déplacées[291] – le gouvernement a pris des mesures pour accueillir les élèves déplacés. Il a déclaré que le ministre de l’enseignement secondaire avait donné le pouvoir aux associations de parents d’élèves de construire davantage de salles de classe et a affirmé que « par conséquent, le problème de l’afflux d’élèves supplémentaires a été résolu ».[292]
Pourtant, à Douala, certaines écoles restent surchargées et des enseignants ont indiqué à Human Rights Watch que leurs établissements n’avaient pas reçu de matériel scolaire supplémentaire de la part du gouvernement. A titre d’exemple, alors que la taille des classes du lycée public bilingue du quartier de Bonaberi est passée de 25 à 50 élèves par classe en moyenne, le gouvernement n’a fourni ni bancs, ni pupitres, ni livres supplémentaires.[293]
Les écoles privées sont aussi surchargées. Un enseignant d’une école privée de Yaoundé, la capitale du Cameroun, a décrit comment les inscriptions dans les écoles privées avaient doublé, voire triplé, en raison des élèves déplacés venus des régions anglophones. Les effectifs du collège bilingue Paul Messi et du collège bilingue Frantz Fanon sont ainsi passé de 700 à plus de 1 600 élèves, tandis que le collège bilingue d’Amazia est passé de 700 à plus de 2 000 élèves. « Ce n’est pas viable », a déclaré l’enseignant. « Les classes sont surchargées, il est difficile d’enseigner. Il nous arrive d’avoir jusqu’à 100 élèves par classe ».[294]
Il ne fait aucun doute que les attaques contre l’éducation par des séparatistes armés ne font pas ou très peu l’objet de poursuites. En octobre 2021, Human Rights Watch avait connaissance de 23 personnes arrêtées suite à de telles attaques. Un séparatiste armé a été arrêté et fait l’objet de poursuites pour son implication présumée dans l’agression et la main coupée de Clara, une enseignante dans la région du Sud-Ouest.[295] Après l’incident de mars 2019, Clara a déclaré que des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR) étaient venus de leur camp près de Mamfe, avaient poursuivi les assaillants, et attrapé et détenu l’un d’entre eux à Buea. Son procès a débuté au début de l’année 2021 et se poursuivait au moment de la rédaction de ce rapport.[296]
Environ une semaine après la libération des étudiants de l’université de Buea enlevés en mars 2019, l’armée a déclaré avoir arrêté au moins 10 suspects.[297] Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces arrestations de manière indépendante, ou d’en savoir plus sur l’identité ou le sort de ces 10 suspects.
Human Rights Watch a pris connaissance de l’arrestation de 12 autres personnes, dont 8 ont finalement été reconnues coupables de différentes infractions en lien avec l’attaque de l’école de Kumba en octobre 2020.[298] Ces 12 personnes ont été poursuivies devant un tribunal militaire qui, le 7 septembre 2021, à l’issue d’un procès qui s’est tenu dans des conditions particulièrement inéquitables, a condamné quatre personnes à la peine de mort et quatre autres à une amende et à une peine de prison, et acquitté les quatre dernières.[299]
Il est probable qu’il existe d’autres cas d’arrestations et de poursuites de personnes ayant participé à des attaques contre l’éducation. Cependant, Human Rights Watch n’en a pas connaissance, notamment en raison de l’absence de réponse du gouvernement à sa demande d’informations,[300] des restrictions imposées par le gouvernement sur la circulation de l’information, des difficultés d’accès aux régions anglophones,[301] ainsi que du secret quasi total qui entoure les procès des suspects séparatistes devant les tribunaux militaires. L’adoption par le gouvernement d’une approche essentiellement militaire de la crise est un autre facteur contribuant au faible nombre d’arrestations et de poursuites à l’encontre des auteurs présumés d’attaques contre les écoles, tel que documenté dans ce rapport.
Depuis que la crise sécuritaire et politique a éclaté dans les régions anglophones fin 2016, les autorités ont systématiquement tenté de contrôler le flux des informations et d’entraver l’accès aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest aux observateurs et journalistes indépendants nationaux et internationaux.
En janvier 2017, le gouvernement a bloqué Internet pendant trois mois dans les régions anglophones.[302] Selon Internet Sans Frontières, « il s’agissait de la plus longue coupure par un pays en Afrique et son impact sur l’économie du pays a été dévastateur ».[303] Les coupures d’Internet ont empêché les journalistes et les défenseurs des droits humains de couvrir et rendre compte des événements qui se sont déroulés dans les régions anglophones et ont entravé l’accès de la population à des informations cruciales et parfois vitales.[304]
Au moins un journaliste est mort en détention après son arrestation par l’armée pour avoir couvert la crise. Le 2 août 2019, la police a arrêté Samuel Ajiekah Abwue, connu sous le nom de Wazizi, un journaliste anglophone du diffuseur privé Chillen Muzik and TV (CMTV), et l’a transféré dans un établissement géré par l’armée dans la même ville le 7 août, où il a ensuite fait l’objet d’une disparition forcée.[305] Aucun de ses proches, amis, collègues ou avocats n’a eu de contact avec lui après le 7 août 2019, mais début juin 2020, les médias ont rapporté qu’ils avaient appris que Wazizi était mort en détention à une date indéterminée après avoir été torturé. Les autorités camerounaises n’ont toujours pas mené d’enquête effective sur sa disparition forcée et sa mort en détention militaire.[306]
Les journalistes internationaux qui ont pu se rendre dans les régions anglophones depuis 2017 sont peu nombreux, et ceux qui s’y sont rendus étaient embarqués avec l’armée camerounaise[307] ou voyageaient sous couverture.[308]
L’accréditation média d’autres journalistes qui ont obtenu des visas pour entrer au Cameroun excluait les régions anglophones. Un journaliste international a déclaré à Human Rights Watch : « Lorsque j’ai obtenu mon visa et mon accréditation média en 2019 auprès de l’ambassade du Cameroun à Paris, on m’a dit que je ne pouvais pas me rendre dans les régions anglophones ».[309] Un autre journaliste a déclaré : « J’ai obtenu le visa à l’ambassade du Cameroun à Paris, mais je n’ai obtenu l’accréditation média qu’à Yaoundé, au ministère de la Communication, cinq jours après mon arrivée, et cette accréditation ne couvrait pas les régions anglophones ».[310]
Au début de la crise, entre fin 2016 et début 2017, les forces de sécurité ont arrêté des centaines de personnes pour avoir participé à des manifestations,[311] mais au second semestre 2017, l’approche du gouvernement avait changé. En novembre 2017, alors que le nombre de groupes séparatistes armés augmentait dans les régions anglophones, le président Paul Biya les a qualifiés de terroristes et leur a déclaré la « guerre ».[312] Après le soi-disant « Grand dialogue national » qui s’est tenu du 30 septembre au 4 octobre 2019,[313] c’est la solution militaire qui semble avoir largement prévalu.
Le déploiement de milliers de soldats dans les régions anglophones pour mener des opérations anti-insurrectionnelles a conduit à la mort de centaines de civils[314] et de combattants séparatistes présumés.
Comme l’a expliqué un avocat camerounais :
L’insécurité qui prévaut dans les deux régions anglophones semble avoir nui à la capacité des autorités camerounaises à enquêter sur les attaques contre l’éducation et à poursuivre les responsables. Dans les deux régions, certains tribunaux ne sont pas ou pas entièrement opérationnels. Dans les deux cas documentés de poursuites contre des attaquants présumés d’écoles, les autorités ont eu recours à des tribunaux militaires.
Suite au meurtre d’un enseignant du secteur public par des combattants séparatistes présumés à Kumba, dans la région du Sud-Ouest en juillet 2021,[316] un avocat camerounais a déclaré à Human Rights Watch :
Les forces de sécurité sont souvent abusives envers les jeunes hommes et les garçons, qu’elles traitent souvent (avec ou sans raison) comme des séparatistes. Elles continuent de susciter la peur parmi les civils des régions anglophones, en particulier les jeunes hommes, les garçons et leurs proches, qui craignent d’être violemment pris pour cible par les forces de sécurité.
Un père de deux garçons en âge d’être scolarisés dans une communauté rurale de la région du Sud-Ouest a fait part de ses craintes et de sa méfiance à l’égard des forces de sécurité, notamment à l’intérieur ou autour des écoles, car elles ont la réputation de commettre des abus :
Certains jeunes hommes partagent également ce sentiment. Jim, enlevé par des séparatistes armés dans sa résidence universitaire, a été soulagé que les autorités ne l’aient pas contacté après sa libération :
Un étudiant de 23 ans au département des technologies de l’université de Buea a été accusé d’être un combattant séparatiste puis placé en détention après avoir signalé aux gendarmes l’explosion d’un générateur dans le quartier de Molyko en janvier 2021. Il a été détenu pendant une nuit entière, avant d’obtenir sa libération en payant une amende de 150 000 CFA (270 $). « Il faut faire plus pour maîtriser les forces de sécurité », a-t-il déclaré. « Il faut qu’elles améliorent leur conduite – elles doivent respecter les droits humains et les civils. Elles ont le droit de combattre les séparatistes, et doivent le faire, mais de manière légale ».[320]
La violence et l’impunité qui ont cours d’un côté comme de l’autre ont provoqué des déplacements de population, y compris vers l’étranger. Un ancien étudiant de 28 ans de l’université de Buea, dans la région du Sud-Ouest, a fui à Chypre en février 2019 à cause des menaces des combattants séparatistes et des abus de l’armée :
Les attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles dans les régions anglophones ont eu un impact significatif sur l’accès à l’éducation, réduisant ainsi à long terme les opportunités de mobilité économique et sociale des Camerounais anglophones. Selon un militant camerounais des droits humains :
Outre les conséquences directes sur les élèves, les enseignants, et les dommages causés aux bâtiments et au matériel scolaires, les attaques contre l’éducation ont entraîné la fermeture ou l’interruption des cours, une baisse de la fréquentation des élèves et de la qualité de l’enseignement, le déplacement forcé des enseignants et des élèves, et des grossesses précoces après l’abandon des études.[324] Elles ont aussi des effets toujours visibles en termes de détresse psychosociale et d’impact physique sur les professionnels de l’éducation et les élèves qui ont survécu à ces attaques.
En février 2021, moins de la moitié des écoles primaires et secondaires (49 et 42%, respectivement) de la région du Sud-Ouest étaient opérationnelles, et moins d’un tiers des écoles primaires et secondaires (27 % pour les deux) de la région du Nord-Ouest étaient opérationnelles.[325]
À Akeh, le lycée public était un lieu d’apprentissage pour les élèves des zones rurales reculées. Mais depuis 2018, en raison des menaces et des attaques des séparatistes, l’école est fermée, privant la quasi-totalité des 250 élèves d’une éducation. « L’école est à l’abandon, elle est sale », a déclaré un responsable de l’établissement. « Elle est envahie par la brousse. C’est une situation déplorable ». Le même responsable a noté qu’en octobre 2020, une ONG camerounaise avait décidé de rénover l’école, mais a interrompu ses travaux suite à une attaque de séparatistes armés.[326] Des photographies et des vidéos du bâtiment scolaire abandonné prises après l’attaque des séparatistes armés montrent des matériaux de construction restés à l’intérieur d’une salle de classe.
Un enseignant du lycée public bilingue de Jakiri a déclaré que la fréquentation de son établissement était tombée à zéro en l’espace d’un an après que des combattants séparatistes ont partiellement incendié l’école à la mi-2017. L’école a fermé peu de temps après.[327]
Le 6 septembre 2021, les écoles camerounaises ont rouvert pour l’année scolaire 2021-2022. Dans les régions anglophones pourtant, deux écoles sur trois sont restées fermées, privant d’éducation plus de 700 000 élèves.[328] Citant les statistiques des autorités chargées de l’éducation, l’OCHA a indiqué qu’après la première semaine de classe, en septembre 2021, 53% des écoles secondaires, 49% des écoles primaires et 47% des écoles maternelles n’étaient pas fonctionnelles dans la région du Sud-Ouest, et que seulement 23% des écoles secondaires étaient fonctionnelles dans la région du Nord-Ouest.[329]
En plus des défis posés par les attaques contre l’éducation, la propagation du Covid-19 a affecté la fréquentation scolaire. En 2021, les enseignants ont été infectés dans environ 30% des écoles opérationnelles de la région du Nord-Ouest. [330]
Le Secrétaire général de l’ONU a estimé en juin 2021 que 700 000 enfants en âge d’être scolarisés étaient déscolarisés en raison de la crise anglophone.[331] Des élèves ont dû abandonner leurs études à cause de la fermeture des écoles, par peur des attaques ou pour des raisons économiques liées à la crise. D’autres élèves ont dû arrêter l’école pendant des années avant de finir par reprendre leur scolarité ailleurs.
Tim a interrompu sa scolarité pendant environ trois ans par peur des attaques. Son école de Kumbo, dans la région du Nord-Ouest, ayant fermé, il s’est inscrit dans une autre école à Buea pour poursuivre ses études. « Les amba boys ont commencé à menacer tous ceux qui allaient à l’école, ainsi que les enseignants et nos parents ; ils ont dit à plusieurs reprises que toute personne qu’ils surprendraient sur le chemin de l’école serait traitée avec sévérité », a-t-il déclaré. « J’avais peur en permanence ». [332]
Linda, une jeune fille de 17 ans qui a abandonné l’école en 2017 en raison de la violence à Mbam, dans la région du Nord-Ouest, a déclaré qu’elle avait l’impression d’oublier comment lire et écrire après avoir manqué plus de quatre années d’école. « Comme je ne suis pas allée à l’école depuis un long moment », explique-t-elle, « j’ai de grandes difficultés pour lire et écrire. C’est comme si j’avais oublié comment on faisait ».[333]
Pour gagner leur vie, soutenir leur famille ou payer les frais de scolarité dans les nouvelles écoles, de nombreux élèves, y compris des enfants,[334] ont trouvé un emploi après la fermeture de leur école ou après avoir subi des attaques ou des abus. Selon les élèves, les enseignants, les parents et les travailleurs sociaux des régions anglophones, les élèves non scolarisés sont devenus mécaniciens, coiffeurs, tailleurs, employés de maison ou ouvriers du bâtiment.[335] Les agences des Nations Unies, les organisations humanitaires et les leaders communautaires ont signalé que les grossesses avaient augmenté de manière significative chez les adolescentes, en raison du décrochage scolaire chez de nombreuses filles et jeunes femmes.[336] Les grossesses adolescentes sont à la fois une conséquence de leur décrochage scolaire et un obstacle majeur à leur réussite scolaire.[337] De nombreuses études ont montré que plus longtemps une fille reste à l’école, moins elle risque d’être mariée pendant son enfance, ou d’avoir une grossesse précoce.[338]
De nombreux professionnels de l’éducation qui ont été attaqués ou été témoins d’attaques ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils luttaient contre la dépression, l’anxiété, la peur, les troubles du sommeil, les cauchemars et autres difficultés émotionnelles.
Julia, qui a été attaquée par des combattants séparatistes armés dans son école à Limbe, a fini par se sentir mieux, mais a décidé de changer d’école : « Après l’attaque, pendant des jours, je me suis sentie triste, effrayée, traumatisée. Je ne pouvais pas dormir. J’avais peur de mon ombre. Je refusais d’écouter les mots d’encouragement de ma famille et de mes amis, je me sentais tellement vide. J’ai vraiment craint pour ma vie ». [339]
Andrew, qui a été enlevé par des combattants séparatistes et a reçu une balle dans la jambe, a partagé son désespoir :
Dans tous les cas documentés par Human Rights Watch, les professionnels de l’éducation qui ont survécu aux attaques n’avaient pas reçu de soutien psychosocial de la part du gouvernement. Il n’y a de fait pas assez de services de soutien psychosocial public disponibles pour gérer le problème.[341]
Certains enseignants ont dit à Human Rights Watch avoir ressenti de l’anxiété et du stress en raison de leur situation financière précaire, souvent aggravée pour les enseignants des écoles privées. Nos recherches ont révélé que les enseignants des écoles publiques continuaient à recevoir leur salaire indépendamment de la fermeture des écoles et étaient parfois réaffectés, mais que les enseignants des écoles privées se retrouvaient sans emploi.
Un enseignant d’une école privée de 57 ans, dont la maison de Mile 40, dans la région du Sud-Ouest, a brûlé lors d’un affrontement entre soldats et combattants séparatistes en octobre 2017, s’est battu pendant plus d’un an pour retrouver un poste d’enseignant :
Depuis 2017, des milliers d’élèves des régions anglophones du Cameroun ont vécu des attaques contre l’éducation. Selon les parents, les enseignants et les experts, ces expériences ont eu de graves conséquences émotionnelles et éducatives à long terme pour les élèves, en particulier les jeunes enfants.[343] Un responsable de l’ONU qui travaille au Cameroun a expliqué : « Les enfants qui ont subi des violences et assisté à des atrocités auront plus de difficultés que les autres à apprendre, à se concentrer pendant les cours, à faire leurs devoirs ou à passer leurs examens. Ils sont susceptibles de souffrir de stress post-traumatique ». [344]
Un enseignant du Holy Rosary Integrated Comprehensive College, qui a subi deux attaques de séparatistes, a constaté une série de traumatismes et d’émotions négatives chez ses élèves, dont certains ont été déplacés, attaqués ou menacés ou ont été témoins d’abus :
Maria a exprimé des difficultés à se concentrer sur son travail scolaire après son expérience d’enlèvement.[346] Tim, qui avait 17 ans lorsque des combattants séparatistes l’ont agressé sur le chemin de l’école, ne pouvait cesser de ressentir de la peur. « Le moindre bruit me faisait paniquer », a-t-il expliqué.[347]
Un enseignant du lycée public bilingue de Bonaberi à Douala, qui a accueilli de nombreux enfants déplacés des régions anglophones, a fait part d’autres difficultés émotionnelles vécues par les élèves déplacés :
Il a également noté une corrélation entre le statut économique des élèves, leurs performances et leur besoin de soutien psychosocial. Malheureusement, le manque de services de soutien psychosocial, que le gouvernement ne fournit pas à ces élèves, est aggravé par les normes culturelles qui stigmatisent les personnes atteintes de troubles mentaux.
Selon un autre enseignant : « J’ai des élèves qui ont connu la violence, le déplacement et toutes sortes d’atrocités. Ils sont distraits – c’est comme s’ils ne pouvaient pas oublier la douleur. Parfois, leurs camarades de classe se moquent d’eux et les traitent d’idiots. Il y a peu ou pas de compréhension [des conditions de santé] mentale au Cameroun ».[349]
L’UNICEF s’efforce de combler les lacunes des services de soutien psychosocial en formant les enseignants et les responsables communautaires sur ces sujets et sur d’autres thèmes connexes, et en soutenant la création d’espaces de loisirs et de guérison adaptés aux enfants.[350]
Impact des attaques sur les élèves handicapésLa crise a touché de manière disproportionnée les enfants handicapés. Une enseignante a décrit des enfants handicapés qu’elle connaissait : Un ancien élève amputé d’une jambe a décrit des obstacles supplémentaires à l’éducation en raison de la crise : |
Malgré les violences et les abus dont ils ont été victimes ou témoins, de nombreux élèves et enseignants ont fait preuve d’une remarquable résilience.
Veronica a déclaré qu’elle s’était sentie « traumatisée et choquée, mais aussi déterminée à poursuivre ses études universitaires » après son enlèvement. Dans son cas, sa famille a pu payer ses frais de scolarité et la soutenir.[353]
Sam, un élève menacé de mort par des combattants séparatistes à son retour de l’école à Bamenda en février 2019, aujourd’hui à Yaoundé, poursuit toujours son rêve de devenir médecin :
Nina, une élève de 19 ans, a réussi à changer d’école et à poursuivre ses études après la fermeture du collège Our Lady of Mount Carmel en octobre 2017. « Je ne pense pas faire preuve de courage – je veux juste poursuivre mes études malgré les menaces des combattants séparatistes », a-t-elle déclaré.[355]
L’employeur d’une enseignante d’une école primaire publique de Muyuka l’a réaffectée à Tiko, dans la région du Sud-Ouest, après les menaces de combattants séparatistes, dont elle a fait l’objet à plusieurs reprises. Cette enseignante a toutefois refusé de laisser ces intimidations façonner son avenir :
Depuis fin 2016, selon l’ONU, le cycle de violence dans les régions anglophones du Cameroun a déplacé près de 600 000 personnes à l’intérieur du pays.[357] Parmi elles, des enseignants –probablement des milliers – et au moins 230 246 enfants qui ont dû fuir suite à des attaques contre l’éducation ou contre leurs communautés.[358] Les enseignants et les élèves déplacés ont souvent du mal à combiner le retour à l’école et leur installation dans un nouveau lieu. Le traumatisme qu’ils ont subi et la perte de leurs biens et de leurs moyens de subsistance aggravent leurs difficultés.[359]
Certains des enseignants déplacés à l’intérieur du pays qui se sont entretenus avec Human Rights Watch ont cessé d’enseigner. Ils ont changé de travail et rencontré des difficultés d’adaptation. Une ancienne enseignante, dont le mari a été tué lors d’un affrontement entre des combattants séparatistes armés et des soldats à Isu, dans la région du Nord-Ouest, en avril 2018, a fui à Tiko. Elle n’a plus enseigné depuis et pratique l’agriculture pour gagner sa vie. Elle a déclaré : « L’école me manque, mes élèves, les autres enseignants. Parfois, je me sens vulnérable, impuissante. Être déplacée est une expérience difficile. L’intégration à Tiko n’a pas été facile – s’adapter au nouveau contexte, aux nouvelles personnes, perdre sa routine, perdre ce qui vous rendait heureux ».[360]
Défis auxquels sont confrontés les enseignants déplacés les plus âgésLes enseignants plus âgés avaient, en raison de leur âge, plus de difficultés à fuir et à vivre dans la brousse pendant des semaines, voire des mois, d’affilée. Dans la brousse, en l’absence de soins médicaux ou d’abri, les personnes plus âgées étaient exposées à des risques plus élevés d’exposition aux maladies. Un ancien enseignant de 60 ans a déclaré s’être enfui d’Ekona, dans la région du Sud-Ouest, après une violente confrontation entre des soldats et des combattants séparatistes en février 2018 : Un ancien instituteur de 63 ans a fui Defang, dans la région du Sud-Ouest, fin 2019, lors d’une violente confrontation entre combattants séparatistes et soldats : |
Les attaques contre l’éducation ont conduit des milliers de familles à quitter leur ville natale et leur village pour se rendre dans des zones plus sûres où leurs enfants pourraient accéder à l’école en toute sécurité. Selon un rapport de la Banque mondiale de janvier 2021, « un nombre important de déplacements s’est produit pour des raisons liées à l’éducation ».[363]
Un élève de 17 ans de la région du Sud-Ouest a déclaré : « Avant, j’allais à l’école à Tombel, dans la région du Sud-Ouest. En 2018, mes parents ont décidé de m’envoyer étudier à Douala parce que la situation se dégradait et qu’il y avait de l’insécurité et trop de menaces contre les élèves et les enseignants, des attaques d’amba boys contre les écoles ».[364]
D’autres élèves ne sont jamais retournés à l’école après avoir abandonné leurs études. Un élève de 24 ans qui avait arrêté l’école en 2017 suite à la fermeture de son établissement a fui Sang, dans la région du Nord-Ouest, en mars 2019 après que des soldats sont venus chez lui et lui ont tiré dans la main :
Linda, une élève de 17 ans, a connu des difficultés après avoir quitté son école à Mbam, dans la région du Nord-Ouest, et commencé à travailler comme nounou à Buea : « Buea n’est pas ma ville. Tout est nouveau ici. Je n’ai pas d’amis, je passe mon temps à la maison à faire du baby-sitting. Je ressens tout le temps une sorte d’incertitude. Je n’ai aucune familiarité avec ce nouvel environnement social. Je me sens déstabilisée ».[366]
Depuis fin 2016, jusqu’à 66 000 personnes originaires du Cameroun ont demandé l’asile au Nigeria,[367] et des milliers d’autres ont fui vers l’Europe ou les États-Unis.[368] En août 2019, Human Rights Watch a interrogé 56 demandeurs d’asile camerounais anglophones à Chypre, dont 7 anciens élèves et 2 anciens enseignants. Si les demandeurs d’asile se sentaient plus en sécurité à Chypre qu’au Cameroun malgré leurs mauvaises conditions de vie, toutes les personnes interrogées ont également confié qu’elles se sentaient isolées et malheureuses.
Un ancien étudiant à l’université de Buea, âgé de 27 ans, a fui en juillet 2019 en raison des risques croissants et de son incapacité à étudier :
Le droit à l’éducation, ainsi que d’autres droits visés par les attaques contre l’éducation, est inscrit dans le droit camerounais et dans les traités contraignants relatifs aux droits humains. De ce fait, le gouvernement doit s’abstenir de faire obstacle à l’exercice de ces droits et prendre les mesures nécessaires pour protéger la population des combattants séparatistes.
Le Cameroun dispose d’un système bijuridique. Dans ce cadre, les régions anglophones appliquent le droit anglais (« common law »), et les régions francophones appliquent le droit civil français.[370] La Constitution de 1972 reconnaît l’obligation de respect du droit à la vie, au traitement humain, à la liberté d’expression, de mouvement et d’éducation, entre autres.[371] Le gouvernement a l’obligation de prendre des mesures pour empêcher les combattants séparatistes d’interférer avec la jouissance de ces droits protégés par la Constitution. Les lois d’orientation camerounaises sur l’éducation de base, l’éducation secondaire, l’éducation des enseignants et l’éducation supérieure du Cameroun de 1998 et 2001 garantissent aussi le droit à l’éducation et la protection des élèves et des enseignants à l’école.[372] La loi de 1998 garantit également deux systèmes d’éducation publique distincts et parallèles, francophone et anglophone.[373]
Le Cameroun est partie à tous les instruments africains et internationaux qui consacrent le droit à l’éducation.[374] En tant que partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), à la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE), le Cameroun est tenu d’offrir un enseignement obligatoire et gratuit pour le primaire, ainsi qu’un enseignement disponible, accessible et progressivement gratuit pour le secondaire.[375] Human Rights Watch appelle les États à prendre des mesures immédiates pour s’assurer que l’enseignement secondaire est disponible et accessible à tous gratuitement. Human Rights Watch appelle également les États à rendre l’éducation obligatoire jusqu’à la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire.
En vertu du droit international des droits humains, le Cameroun a, comme tous les gouvernements, l’obligation de protéger les droits à la vie, à la liberté individuelle et à la sécurité des élèves, des enseignants, des universitaires et de tout le personnel éducatif.[376] Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels exige que les conditions matérielles du personnel enseignant soient constamment améliorées.[377] En tant qu’enfants, les élèves de moins de 18 ans bénéficient d’une protection spéciale en vertu de la CDE et de la CADBE, qui exigent que « l’intérêt supérieur de l’enfant » soit une considération primordiale dans toutes les mesure concernant les enfants, qu’elles soient entreprises par des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs.[378] Le gouvernement est aussi tenu d’assurer, dans toute la mesure du possible, la survie et le développement des enfants.[379] Le Cameroun est enfin tenu de prendre des mesures pour encourager la fréquentation régulière des écoles par les enfants et la réduction des taux d’abandon scolaire.[380]
Le Cameroun a signé mais n’a pas ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, qui garantit le droit à une éducation inclusive de qualité ainsi que la protection et la sécurité des personnes handicapées dans les situations à risque.[381] Le Comité des droits des personnes handicapées a noté que les situations de conflit armé ou assimilées ont un impact disproportionné sur le droit à l’éducation inclusive. Dans de tels contextes, les solutions d’enseignement mises en place à titre provisoire doivent garantir le droit des enfants handicapés à l’éducation dans des conditions d’égalité avec les autres enfants.[382]
Les attaques contre les écoles et établissements d’enseignement, et plus généralement le non-respect du droit à l’éducation, sont considérés comme une violation grave du droit international des droits humains.[383] Par exemple, la Commission africaine des Droits de l’homme et des peuples a considéré que la fermeture des universités et des écoles pendant deux ans constituait une violation « grave ou massive » de l’article 17 de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples sur le droit à l’éducation.[384] L’ampleur et la longévité du déni d’éducation des élèves au Cameroun pourraient être considérées comme une violation flagrante des droits humains. En 2005, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.[385] Les Principes fondamentaux prévoient que les victimes de violations flagrantes du droit international des droits humains ont droit à un recours, à une indemnisation et à des réparations, par exemple pour la perte de leur éducation.[386]
En septembre 2018, le Cameroun a approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, un engagement politique international visant à renforcer la prévention et les réponses aux attaques contre les élèves, les enseignants, les écoles et les universités pendant les conflits armés.[387] En approuvant la Déclaration, le Cameroun s’est engagé à utiliser les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés, qui exhortent les parties aux conflits armés à n’utiliser « en aucune façon » les écoles, en particulier celles qui sont en fonctionnement, « à l’appui de l’effort militaire ».[388] Ces recommandations non contraignantes restent informatives même dans les crises qui ne constituent pas des conflits armés, comme les crises dans les régions anglophones du Cameroun.
Le gouvernement camerounais a l’obligation d’enquêter et de poursuivre les auteurs d’attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles, ainsi que de fournir une assistance et des réparations aux victimes. Cela devrait inclure le rétablissement de l’accès à l’éducation là où il a été supprimé, et la protection de celle-ci là où elle existe ou lorsqu’elle est rétablie. La création de groupes de travail spéciaux pour aider à remplir les obligations en matière d’enquêtes et de poursuites et la mise en place d’un programme de réparations, prévoyant notamment le rétablissement de l’accès à l’éducation, pourraient constituer une avancée efficace et pratique.
Il est devenu de plus en plus urgent pour le gouvernement camerounais de prendre des mesures concrètes pour faire face à la crise de l’éducation dans les régions anglophones du Cameroun et de s’attaquer à deux volets du problème : l’impunité dont bénéficie les auteurs des attaques et l’accès à une éducation sûre. Compte tenu de la gravité immédiate de l’impact sur les enfants et des conséquences potentielles à long terme, le gouvernement camerounais devrait envisager de créer deux groupes de travail spéciaux, dotés de ressources humaines et financières adaptées, qui devraient chacun s’attaquer à l’un des aspects de la crise.
Le mandat du premier groupe de travail serait de contribuer à mettre fin à l’impunité dont jouissent depuis longtemps les auteurs d’attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles, et de veiller à ce que ces auteurs d’attaques, qu’il s’agisse de combattants séparatistes ou d’acteurs gouvernementaux, soient tenus responsables de leurs actes. Le groupe de travail, qui devrait bénéficier d’un soutien international si nécessaire, évaluerait les attaques contre les élèves, les enseignants et les écoles et les poursuites contre les auteurs et ferait des recommandations à ce sujet. Cette équipe spéciale ne mènerait pas elle-même les enquêtes et les poursuites, mais pourrait apporter son soutien et son expertise aux autorités judiciaires.
Ce groupe de travail spécial devrait comprendre des procureurs et des policiers ayant une expérience des crimes contre les enfants (le Cameroun dispose d’une unité de police spécialisée dans les crimes contre les enfants, la Police spécialisée sur les crimes contre mineurs), ainsi que des experts médico-légaux indépendants. Des experts de l’ONU et de l’UA devraient proposer leur soutien au groupe de travail.
Le second groupe de travail spécial devrait avoir pour mandat de promouvoir le rétablissement et la protection de l’accès à l’éducation pour tous sur une base égale. Elle devrait comprendre des experts des droits de l’enfant, des droits de la femme et des droits des personnes handicapées, ainsi que des membres des ministères de l’Éducation, du ministère de la Justice, et des représentants de la Commission nationale des Droits de l’homme et de la société civile camerounaise. Les agences des Nations Unies telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) devraient apporter leur soutien à ce groupe de travail. Le groupe de travail pourrait publier des recommandations centrées sur l’intérêt supérieur de l’enfant, sur la façon d’adapter des mesures de protection efficaces pour les espaces d’éducation, et proposer des options pour garantir à l’avenir l’accès à une éducation sûre et de qualité. Elle pourrait également donner des conseils sur le contenu d’un programme de réparations (voir ci-dessous).
La collecte et l’analyse des données sur les attaques contre l’éducation devraient être améliorées pour aider les deux groupes de travail. Ces données devraient être désagrégées par date, lieu, type d’école (niveau d’enseignement, privé, public), sexe et âge des victimes et des auteurs présumés, et selon que l’école a été utilisée par des groupes séparatistes armés ou à des fins militaires.
Les enseignants et les élèves qui ont subi des attaques, ainsi que leurs familles, ont droit à des réparations pour les aider à réparer les préjudices qu’ils ont subis.
Le gouvernement devrait mettre en place, par le biais d’un processus transparent et participatif, un programme de réparations crédible et inclusif, doté d’un budget annuel et de ressources humaines adaptés, pour soutenir les victimes d’attaques contre l’éducation et leurs familles.
Outre le droit de tous les élèves à l’accès à une éducation gratuite, les réparations pour les personnes touchées par des attaques pourraient prévoir une indemnisation pour la perte de matériel, ainsi qu’un soutien et des opportunités supplémentaires, notamment financières si besoin, pour compenser le temps d’éducation perdu. Le gouvernement devrait également indemniser financièrement les enseignants qui ont subi des préjudices ou des pertes dans l’exercice de leurs fonctions ou parce qu’ils ont été pris pour cible en raison de leur profession. Afin de remédier au traumatisme physique et émotionnel des enseignants et des élèves, le gouvernement devrait fournir gratuitement aux victimes des services adaptés de réadaptation physique et de soutien psychosocial. Il s’agit là d’une mesure essentielle pour remédier aux lacunes criantes qui existent actuellement dans ce domaine.
Le gouvernement devrait faire en sorte de sensibiliser le public à ce programme de réparations, aux options d’indemnisation et à la manière d’accéder à ces réparations. Il devrait également encourager les victimes (ou leurs proches si les victimes sont des enfants) et les professionnels de l’éducation à déposer des demandes d’indemnisation.
Les partenaires internationaux du Cameroun doivent faire pression au niveau officiel et en privé sur le gouvernement camerounais pour la création des groupes de travail spéciaux et des programmes de réparation, en s’appuyant si nécessaire sur les liens politiques et économiques qu’ils entretiennent.
Les partenaires régionaux et internationaux du Cameroun, tels que le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Commission européenne, l’UNICEF, le PNUD, l’UNESCO et l’UA devraient fournir une assistance financière et des experts à chaque groupe de travail spécial mis en place et au programme de réparations afin de s’assurer qu’ils disposent de ressources suffisantes et durables. Avec les organisations de la société civile, ils devraient fournir des experts en justice pénale et en réparation des attaques contre l’éducation, qui soutiendraient les mécanismes tout en développant ou en améliorant les compétences et l’expertise du personnel camerounais.
Ce rapport a été documenté et rédigé par Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior à la Division Afrique. Le rapport a été édité par le rédacteur principal de la division Afrique et par Ida Sawyer, directrice adjointe pour l’Afrique. Babatunde Olugboji, directeur adjoint du programme, a assuré la révision programmatique et Aisling Reidy, conseiller juridique principal, la révision juridique.
Le rapport a également été revu par Bede Sheppard, directeur adjoint de la division des droits de l’enfant; Agnes Odhiambo, chercheuse senior à la division des droits de la femme; Jane Buchanan, directrice adjointe de la division des droits des personnes handicapées; Bridget Sleap, chercheuse senior sur les droits des personnes âgées à Human Rights Watch; Louis Charbonneau, directeur du plaidoyer auprès des Nations Unies; Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer auprès de la division Afrique.
Aoife Croucher, coordinatrice auprès de la division Afrique, a apporté son aide à la rédaction et à la production. Le rapport a été traduit en français par David Boratav et vérifié par Ilaria Allegrozzi et par Peter Huvos, rédacteur du site web en français de Human Rights Watch. Sakae Ishikawa, rédactrice vidéo senior, Liliana Patterson, rédactrice senior, et Ifé Fatunase, directrice multimédia à Human Rights Watch, ont produit et édité la vidéo accompagnant le rapport. Grace Choi, directrice des publications et de la conception de l’information, et Travis Carr, coordinateur des publications/photographie, ont apporté leur soutien à la sélection et à la mise en page des photographies du rapport. Le rapport a été préparé pour la publication par Fitzroy Hepkins, responsable administratif. Birgit Schwarz, responsable de la communication, et Kathleen Rose, rédactrice senior, ont fourni des conseils sur le contenu du rapport.
Human Rights Watch souhaite remercier les nombreux et courageux professionnels de l’éducation, élèves, étudiants, témoins et membres des familles des victimes qui, souvent au péril de leur vie, ont partagé la façon dont ils ont été touchés par les attaques contre l’éducation, ainsi que les organisations et individus qui nous ont mis en contact avec ces personnes interrogées et ont fourni des services d’interprétation quand cela était nécessaire. Nous sommes également reconnaissants envers les responsables gouvernementaux, les dirigeants séparatistes, les activistes, les diplomates, les travailleurs humanitaires, les militants de la société civile, les avocats, les journalistes et les leaders communautaires qui ont partagé leurs expériences et leurs points de vue avec nous.
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