Repoussant les frontières de l'infotainment en mélangeant starification de personnalités aux idées boueuses et mise en scène de soi comme individu glamouro-citoyen, Magali Berdah a lancé son émission politique disponible sur YouTube en tendant le micro au candidat d'extrême droite Éric Zemmour. Causette s'est perdue pendant 30 minutes dans les limbes d'un long clip de campagne.
Elle crève l'écran. Presque autant que son interlocuteur d'extrême droite. Dans un mélange des genres de plus en plus habituel à la télévision, Magali Berdah, agent artistique et papesse de la téléréalité, a lancé sur sa chaîne Youtube une série d'entretiens en immersion avec les candidat·es à la présidentielle.
Clairement, Magali Berdah joue avec un effet de surprise, tant on ne l'attendait pas sur le terrain de la campagne. « J'ai envie de reprendre un peu mon devoir de citoyenne et d'aller voter », justifie-t-elle, sur une musique conquérante, dans une vidéo d'introduction intitulée « Mon projet » - reprenant, est-ce un hasard ?, à son compte individuel le gimmick « Notre projet » de la précédente campagne de l'actuel président. « Peut-être comme vous, qui n'allez pas voter parce qu'on y comprend rien, j'ai envie de vulgariser la politique, de la rendre plus accessible, poursuit-elle. Tout ça pour qu'on puisse prendre nos décisions et pouvoir faire avancer ce magnifique pays. » Il y a de l'emphase dans les mots de la chroniqueuse de l'émission Touche pas à mon poste !. La promesse d'un nouveau genre d'infotainment vibratoire pour les citoyen·nes internautes désabusé·es que nous sommes.
Le premier invité de la femme d'affaires de 40 ans est lui aussi un habitué des plateaux de Cyril Hanouna : Éric Zemmour. On sent qu'il et elle font partie de la grande famille de Baba, vu la fluidité de leurs rapports à l'écran, durant la journée du 14 janvier 2022 où elle le suit. Au programme : une rencontre avec le maire d'Honnecourt-sur-Escaut (Nord), avant un meeting à Saint-Quentin (Aisne).
Au début de sa vidéo, Magali Berdah assure avoir « énormément de questions à lui poser » et, dans un exercice d'autosatisfaction que seules les influenceuses biberonnées à la pensée positive maîtrisent, pense que cet entretien « va passionner beaucoup de monde ». « Je sais que cette vidéo va faire polémique, je pense parce que personne ne s’y attend », nuance-t-elle comme pour faire monter la mayonnaise du buzz. Avant d'ajouter tout sourire en marchant, les mains dans les poches de son long manteau noir, comme si elle-même était spectatrice hallucinée du périlleux show qu'elle a créé :« Même moi je ne m’y attends pas. Mais je suis là, allez, suivez-moi. »
Le premier problème, parmi beaucoup d'autres, c'est que l'agent passe très peu de temps avec Éric Zemmour. Elle ne le rencontre vraiment que pendant deux séquences. L'une de 6 minutes et 24 secondes, pour un entretien. L'autre de 2 minutes et 37 secondes, pour un échange informel, entouré de Sarah Knafo, la conseillère et compagne du polémiste, et Samuel Lafont, ex-Les Républicains transfuge de 35 ans, qui s'occupe aujourd'hui de la stratégie numérique du candidat « Reconquête ». Pour une (longue) vidéo de 35 minutes et 56 secondes, ça fait peu.
L'autre problème, c'est que la quarantenaire n'est ni journaliste, ni éditorialiste. Elle se voudrait citoyenne lambda préoccupée par le pouvoir d'achat ou l'avenir de ses enfants, mais ce n'est pas ça non plus : Magali Berdah fait partie du système médiatique, elle gagne sa vie à mettre en scène celle des autres. L'effet Berdah, s'il fonctionne innocemment sur la scène Instagram pour reconvertir des vedettes de la téléréalité en entrepreneur·euses de l'influence produits de beauté ou de régime, est désastreux quand il est appliqué à la sphère politique.
Cet entretien donne à Éric Zemmour une nouvelle occasion de répandre ses thèses nauséabondes - sur les musulmans notamment -, sans aucune contradiction. Exactement comme il le faisait dans Face à l'info avec la très compréhensive Christine Kelly. Exemple. La question de Magali Berdah : « On dit souvent que vous êtes raciste. Des gens disent ça. Beaucoup de jeunes issus de l'immigration nous suivent, nous, influenceurs. Et beaucoup d'influenceurs, eux-aussi, sont issus de l'immigration. Moi-même je suis issue de l'immigration. Vous avez envie de leur dire quoi ? » Le début de la réponse d'Éric Zemmour : « Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes issus de l’immigration, en particulier arabo-musulmane, qui ne veulent pas vivre comme les Français, qui les méprisent, qui appellent ça les Gaulois, qui estiment que la charria est plus importante et au-dessus des lois de la République. » Magali Berdah l'écoute sans l'interrompre, le laisse dérouler sa pensée, mais ne lui demande aucun chiffre, ni aucune source. Idem pour les deux autres questions qu'elle lui pose, sur la laïcité et sur les entrepreneurs.
Lors de son deuxième échange avec l'ancien polémiste, elle lui pose une seule question, qu'elle posera à tou·tes les candidat·es, affirme-t-elle : « Est-ce que vous allez créer un ministère des Réseaux sociaux ? » Hilarité générale du côté de Zemmour et de son équipe. Qui permet néanmoins, il faut le souligner, d'en apprendre un peu plus sur sa stratégie numérique. Non sans donner l'occasion à Sarah Knafo d'encenser son candidat de compagnon, capable de trouver « en deux secondes » la formule qui fera mouche sur les réseaux sociaux.
En dehors de ces presque 9 minutes mises bout à bout, Magali Berdah gravite, tout le reste de son immersion, autour de la galaxie des proches et des soutiens d'Éric Zemmour : de Samuel Lafont à Sarah Knafo, à qui elle claque la bise et qui la tutoie, en passant par Stanislas Rigault (président de Génération Zemmour au physique de jeune premier) et Jean Messiha (polémiste éructant passé avec souplesse du Rassemblement national à Reconquête). Les rencontres avec ces deux derniers sont d'ailleurs hallucinantes. Le premier est présenté comme « une star qui fait tous les plateaux TV et qui se défend très bien ». Le deuxième, lui aussi comme « une star » et « un personnage iconique de TPMP ». Car l'agent est une chroniqueuse régulière de Touche pas à mon poste !, tout comme Rigault et Messiha. Ce qui n'en fait évidemment pas des amis, mais cette manière de s'adresser à eux pose des questions sur leur proximité et brouille les pistes sur leur identité. Surtout pour celles et ceux qui ne les connaitraient pas.
Sous ses faux airs de reportage journalistique - caméra embarquée, interviews d'une galerie de soutiens, bandeaux et synthés... - le format s'apparente surtout à un long clip de campagne pour le candidat à la présidentielle. Si certaines séquences ne sont pas inintéressantes, comme lorsqu'elle interroge des électeur·rices lambdas prêt·es à voter pour le politique d'extrême-droite, ou la créatrice du comité de soutien des « Femmes avec Zemmour », presque tout le reste manque certainement de distance et de perspective. Et les publicités incrustées par Magali Berdah elle-même au début et à la fin de la vidéo qui cumule plus de 350 000 vues à l'heure où nous écrivons ces lignes, et non pas seulement par YouTube, ternissent un peu ses intentions louables sur le « devoir de citoyenne ».
Reste à savoir si tous·tes les autres candidat·es seront reçu·es de la même manière et bénéficieront du même dispositif de communication. Si aucun nom n'a pour l'instant filtré, des photographies de la papesse de la téléréalité et de Jean-Luc Mélenchon, postées sur le compte Instagram de ce dernier, laissent penser que ce sera bientôt au tour de l'Insoumis. À voir s'il sera prêt à lancer un ministère des Réseaux sociaux.
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