Au détour d’une ballade sur quelques sites d’information en ligne, je suis tombé sur un articlepublié sur le site Connectionivoirienne.net le 17 janvier 2022 et signé ‘Douglas Mountain, Le Cercledes Réflexions Libérales’. [La Côte-d’Ivoire a-t-elle fait un « faux calcul » en permettant l’installationde Wave ? – Connectionivoirienne.net]. L’analyse faite et l’argument développé par l’auteur del’article a attiré mon attention dans un sens désapprobatif. Ce qui motive la présente contribution.Pour résumer la pensée de l’auteur, la venue de Wave sur le marché du transfert d’argent par voieélectronique est globalement et in fine défavorable à l’économie ivoirienne. Cinq idées structurentson argumentaire :
1. Le taux de 1 % adopté désormais par tous les opérateurs, fait du mobile money une activité nonrentable ; car la marge, selon lui, non-suffisante, provoque une perte ou une précarisation des emploisdans le secteur.2. La contribution du chiffre d’affaires global du secteur du mobile money au PIB va accuser un reculdu fait de la baisse des coûts des transactions, non compensée par une hausse de leur volume.3. Les trois opérateurs préexistants sur le marché effectuent d’importants investissements chaqueannée et entretiennent leurs infrastructures contrairement à Wave.4. C’est une erreur de privilégier le consommateur au détriment des entreprises et de la croissance.5. Le gouvernement ivoirien a mal fait d’autoriser les activités de Wave.
À la lecture de cet article, des points de réflexion émergent :– À qui doit au final et pour l’essentiel profiter la croissance, la création de richesses dans uneéconomie, dans une nation ? À quelques entités morales figurant les intérêts de richissimesgroupuscules d’individus, ou à la population dans son ensemble ?– Est-ce un article commandité par un acteur de la filière ? La chute de l’article en dit long : « Il sedit que Wave est en discussion pour un agrément dans la téléphonie mobile. Il est à espérer que cettefois les autorités ivoiriennes feront preuve de discernement. » C’est une invite aux autoritésivoiriennes à ne pas accorder une licence ou une quelconque autre requête à des fins commercialesformulée par Wave. Ce qui est une reformulation implicite et suggestive du dicton : ‘passé une fois,mais ne passera pas deux fois’.Voyons ensemble les faiblesses du texte :
1. L’affirmation selon laquelle le taux de 1 % adopté désormais par tous les opérateurs dumobile money provoque une perte ou une précarisation des emplois dans le secteur est une contrevérité au regard de la poursuite et des opérationnalités de l’activité. En effet, si les trois autresopérateurs descendent à 1 % de frais de transaction et même moins pour les gros montants, c’est bienparce qu’ils y trouvent une certaine rentabilité, certes moins que ce qu’ils gagnaient auparavant.Pareillement, les intermédiaires-terrain (les gérants de transfert dans les quartiers) y trouventégalement leur compte. À preuve, le grand nombre de pancartes de transfert d’argent, notamment au‘pingouin’ devant des commerces, et le maintien de la plupart des intermédiaires dans le business.Il convient d’ajouter que quel que soit le mécanisme de rémunération en vigueur (volume ounombre de transferts journaliers, hebdomadaires, mensuels ; fourchettes fractionnées de transferts),les gérants dans les quartiers grognaient déjà relativement au faible taux qui leur était reversé. Ceuxci n’étaient pas les grands bénéficiaires des 5 % et autres pourcentages auparavant institués par lesdifférents opérateurs, mais bien ces derniers. De plus, l’expérience a montré que nombre de gérantsqui avaient pour activité exclusive le transfert national d’argent ont vite fermé. La quasi-totalité desgérants de transfert ne pratiquent pas la seule activité de transfert d’argent mobile, mais mènentquelque autre activité en parallèle simultanément (transfert d’unités de communication, appelstéléphoniques, ventes d’autres produits ou services liés ou non à la téléphonie mobile, etc.). Au direde nombreux gérants la rémunération avec Wave est globalement, toutefois légèrement, plusintéressante. L’existence de (re)distributeurs exclusifs par zone (partenaires vers lesquels lesopérateurs Orange et MTN renvoient les gérants) réduit la marge de bénéfices des gérants, car ces(re)distributeurs perçoivent un pourcentage sur chaque transaction effectuée.Il parle de « 22.000 personnes affectées rien que dans le district d’Abidjan », sans citer lasource de cette donnée ni la technique de mesure employée, à savoir s’il s’agit du reflet d’unéchantillonnage effectué et donc ensuite généralisé ou d’une comptabilisation au cas par cas. En outreil existe une nuance entre ‘être affecté’ et ‘être ciblé’ par une situation. Dans la mesure de l’impactrestreint d’un phénomène, l’on s’intéresse aux cibles directes de l’action, tandis que dans l’impactélargi on inclut en plus les personnes affectées, c’est-à-dire indirectement touchées. Pour prendre unexemple simple, avec un gérant de cabine qui a une femme et trois enfants, la cible ici est le gérant,mais les personnes affectées sont au nombre de cinq (le gérant lui-même plus sa femme et ses troisenfants), ces derniers obtenant de lui leur subsistance. Donc s’il était vrai que 22.000 soient ‘affectées’combien sont donc réellement ciblées par cette situation ?
Au nom de la Responsabilité Sociale/Sociétale de l’Entreprise (RSE) aujourd’hui entrée dansles mœurs, sur leurs marges bénéficiaires certaines entreprises du secteur prélèvent un petitpourcentage pour quelques actions posées en faveur des populations locales (infrastructures etéquipements, écoles, centres de santé, accompagnements professionnels, etc.). Dans cette perspectived’aide et de RSE, ce n’est pas une mauvaise chose que de généraliser l’assistance sociale à toute lapopulation ivoirienne majoritairement constituée de pauvres par une baisse des coûts, au lieu d’uneaide ponctuelle à quelques localités ou individus.Un point à ne pas oublier est que tous ces opérateurs, sans exception aucune, sont desmultinationales qui rapatrient les fonds vers leur pays-siège. La création d’emplois pour la populationest un devoir pour l’État et non pour les opérateurs économiques qui sont avant tout des particulierspoursuivant leurs intérêts comme toute autre personne.
2. La baisse du prix d’un produit se traduisant par une hausse de sa consommation, lestransferts électroniques d’argent ne dérogent pas au principe. En effet, le volume des montantstransférés va connaître de plus en plus une hausse importante due justement au faible coût des frais(et même plus encore si les frais devenaient nuls). Bon nombre de personnes penseront davantage à :• Transférer de l’argent, plutôt qu’à effectuer des déplacements plus ou moins courts [pourquoi parexemple dépenser 2.000 F pour le transport, tandis que les 100.000 F à me remettre peuvent m’êtretransférés pour seulement 1.000 F (ou 1.100 F) de frais en plus de perdre des heures dans lacirculation] ;• Déposer davantage d’argent sur leur(s) compte(s), vu l’absence ou le faible coût de retrait. Ce, enévitant de conserver de l’argent sur soi pour des raisons de sécurité, notamment lors de voyages enprovince (système de ‘dépôt au départ et retrait sur place à l’arrivée’).• Le faible coût de retrait, en plus des cabines qui sont partout présentes, amène également despersonnes à éviter autant que possible les exigences des banques traditionnelles : les longs rangs, lesproblèmes de signature non-conformes, la distance jusqu’à l’agence bancaire ou le guichetautomatique le plus proche, l’indisponibilité de fonds dans ces guichets, cartes magnétiques avalées,etc.Cette ruée vers les dépôts et transferts d’argent due à la baisse des frais de transactions a unequadruple conséquence positive :– L’arrivée de nouveaux gérants de transferts dans le commerce, avec notamment ceux qui voient lejour grâce à Wave (sans parler des nombreux commerciaux recrutés qui sillonnent les rues) : emplois.– Hausse du revenu des gérants de transferts, indexé au volume croissant des transferts, permettantde compenser la diminution relative des frais antérieurement appliqués.– Le montant global des taxes également rehaussé avec la multiplication des dépôts et transferts.– Une plus grande disponibilité de ‘liquidités’ (réserve financière) chez les opérateurs du secteur ;entendu que tout dépôt ou transfert d’argent n’est pas immédiatement suivi de retrait, un temps plusou moins long peut en effet s’écouler. Or, en matière d’affaires cela n’est pas négligeable.3. Les investissements des trois opérateurs préexistants sur le marché portent plus surl’activité de communication mobile qu’autre chose. L’entretien des équipements et stations GSM detransmission (antennes) concernent en particulier la communication. Il importe de souligner que letransfert d’argent n’est pas la raison de l’implantation et n’a jamais été l’activité première et principaledes compagnies de téléphonies mobile. Ce n’est qu’un complément aux services ‘naturels’ desopérateurs, dans une bonne logique de diversification d’offres et d’activités propre à toute entrepriseambitieuse.
À l’introduction de la téléphonie mobile en Côte d’Ivoire en octobre 1996, et pendantplusieurs années, une seule minute d’appel téléphonique à une cabine coûtait 600 Francs. Là oùaujourd’hui il nous est proposé une dizaine de minutes plus d’autres services (internet et SMS) à 150francs, et à la cabine 50 F voire 25 F la minute de communication : de 600/mn à 25/mn ; une divisiondu coût par 24, vous avez bien lu ‘par vingt-quatre’, soit une baisse de près de 96 %.Fait importantissime : les gérants de cabines n’ont pas pour autant disparu. Ils exercenttoujours, sauf que la baisse de leurs activités en ce qui concerne les appels téléphoniques est liée auxpossibilités de souscription directe, personnelle par chaque détenteur d’une carte SIM. Si lesopérateurs ont engrangé des bénéfices astronomiques avec la minute à 600 francs en son temps,combien de gérants de cabines étaient pour autant millionnaires en termes de gains, profitant desmarges exceptionnelles de l’industrie ?
Les tarifs décroissaient très lentement au fil des années. La venue de Moov en 2006 avaitégalement bousculé les coûts en faveur des populations. C’est donc dire que la baisse des coûts ne« sinistre » pas le secteur qui continue à dégager des chiffres importants avec plus d’abonnés, plusd’offres, etc. Il s’agit de s’adapter au feu de la concurrence allumée ou ravivée par le nouveau venuWave en proposant de nouveaux produits et services et des prix compétitifs. Une crise égale créativitéet opportunités, autant qu’une forte concurrence appelle à de l’innovation.Les ‘forces ou menaces’ théorisées par Michael Eugène Porter en 1979 sont d’actualité. Enparticulier, celle relative au défi lié à l’entrée d’un nouvel opérateur. Déjà qu’il y avait des échosprovenant du Sénégal, l’un ou l’autre des opérateurs (Orange, MTN, Moov) aurait pu stratégiquementétouffer dans l’œuf la dynamique d’entrée du nouveau concurrent en cassant le coût à 1 % et moinsavant son implantation effective en Côte d’Ivoire. Ce qui aurait eu pour effet de diluer, noyer enamont la campagne et la compétitivité de Wave. La négligence, l’excès de confiance a plutôt conduità banaliser l’impact estimé de l’entrant. Et surprise, la chute vertigineuse et imprévue des recettes apoussé à revoir les coûts à la baisse, mais sur le tard puisque Wave a/avait déjà ravi une part de marchénon négligeable. L’écosystème préexistant moins favorable aux consommateurs a été bouleversé. Labaisse de revenus sur les frais de transaction peut toutefois être compensée par une focalisation surd’autres produits (exemple : la fibre optique).4. Monsieur Douglas Mountain (vraisemblablement un synonyme) soutient que c’est uneerreur de privilégier le consommateur au détriment des entreprises et de la croissance. ‘Incroyablemais écrit’ comme dirait l’autre. Visiblement c’est un adepte de ‘la croissance appauvrissante’, c’està-dire une croissance à deux chiffres peut-être à trois mais qui n’apporte sensiblement rien au grandnombre, qui ne change guère le quotidien des populations, mais ne profite qu’à une catégoried’individus. En effet, des statistiques peuvent être flatteuses tandis que le contenu de l’assiette ducitoyen se rétrécie de jour en jour.Or actuellement, toute la population ressent directement et clairement l’effet de la baisse desfrais de transactions dans ses poches en économisant quelques billets ou pièces à chaque transaction.Faut-il sacrifier le pouvoir d’achat de la masse souffrante pour les intérêts d’un petit nombre ? Leprofit de quelques milliers de travailleurs directs et indirects d’un business doit-il être préféré à celuide millions de personnes ? Le principe de ‘prélèvement-redistribution’, l’un des quatre principeséconomiques théorisés par Karl Polanyi (La grande transformation, 1944), et manié par l’État enprélevant des taxes et impôts aux entités économiques pour ensuite les redistribuer sous des formesdiverses aux populations n’est pas toujours suivi. En effet, si le fait d’avoir des coûts de transactionélevés implique systématiquement un profit de l’État, en termes de taxes et redevances, la populationqui doit en être la bénéficiaire finale peut hélas ne rien en sentir. L’augmentation du salaire d’untravailleur ne signifie pas que ses enfants seront mieux vêtus ou auront désormais droit à trois repaspar jour, mais celle-ci peut être utilisée à entretenir une maîtresse. Et c’est justement cette image querenvoie l’État. La fiscalité et la parafiscalité consistantes ne sont pas toujours profitables auxpopulations en termes de développement, mais servent souvent à effectuer des dépenses nonessentielles.Les centaines de milliards de chiffre d’affaires dans la communication mobile, à l’époquede la minute à 600 francs de 1996 à 2000, et les taxes y relatives prélevées par l’État en ce tempsn’ont pas empêché les endettements massifs opérés par l’État en interne comme à l’international (cefut même dans cette période que la Côte d’Ivoire s’est inscrite à l’initiative PPTE). Plus récemment,les frais de transaction et taxes appliqués avant l’arrivée de Wave n’ont pas été plus déterminantedans le quotidien de l’ivoirien lambda.N’est-ce-pas dans le souci d’un prélèvement plus élevé de taxes par la facturation du volumedes appels, SMS et connexions internet effectués, que l’Autorité de Régulation desTélécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI) a limité les bonus à 100 % ? Ce, à travers la décisionn° 2020-0599 du 9 septembre 2020 en vigueur depuis le 1er janvier 2021 tactiquement en vue d’unbasculement des consommateurs vers plus d’appels et autres facturés, donc prélevés ? Or, jamaisaucune plainte n’avait été enregistrée par l’ARTCI de la part des consommateurs ou association deconsommateurs contre les bonus à 300 % ou plus. Pour qui l’État et ses démembrements doivent-ilstravailler ? Contre le peuple ?
5. L’auteur reproche au gouvernement ivoirien d’avoir autorisé les activités de Wave.Le but de l’activité économique sous l’angle de l’État n’est pas et ne doit pas êtrel’enrichissement des entreprises au détriment de la population mais une redistribution équilibrée desrichesses, dans un fort souci de bien-être et d’épanouissement de tous ses citoyens, avec une attentionparticulière pour les plus vulnérables.
La vie économique, politique et sociale est globalement et traditionnellement inscrite dansle triptyque ‘État, Marché et Société civile’. L’État, s’entend de la puissance publique, de l’autoritéqui produit les contraintes légales et réglemente la vie en société, notamment l’économie. Il est auservice de la population et ne recherche pas de profit, ayant pour vocation de satisfaire l’intérêtgénéral. Le Marché, lui, désigne les échanges commerciaux, les flux financiers et les opérateurséconomiques qui ont pour objectif la maximisation des gains et l’accroissement de leurs bénéfices,dans une économie de marché (offre/demande ; prix/profit) et dans un environnement concurrentiel.Chaque investisseur ou entreprise poursuit ses intérêts, ce qui est normal. La société civile, quant àelle, englobe l’ensemble des individus (les consommateurs) et les organisations privées à but nonlucratif (ONG, etc.).
Le libéralisme dont l’auteur se réclame est une doctrine axée sur la liberté individuelle etd’action préconisant la réduction de l’influence de l’État. Le néo-libéralisme qui en découle appelle àla dérégulation des marchés et la liberté de commerce, avec un effacement du rôle de l’État : un ‘sang frontiérisme économique et commercial’. Dans une économie libérale, de façon générale, chaqueentreprise propose librement ses prix en veillant à la qualité de ses produits et services. Toute hausseou baisse est le reflet de l’évolution technologique, des conjonctures et des menaces concurrentielles.Ainsi, c’est tout de même curieux de revendiquer un tel courant de pensée et appeler l’État à empêchertoute velléité de saine confrontation commerciale, plutôt que de simplement et magistralementencadrer le jeu concurrentiel. Un gouvernement normal travaille pour le bonheur de son peuple etn’est pas supposé prendre partie pour un opérateur ou un groupe d’opérateurs. Il veille à encadrer lejeu relationnel du marché et dans le marché et est à équidistance des acteurs. Ce genre de concurrencedoit plutôt être souhaité et encouragé dans bien d’autres secteurs.
Il y a encore beaucoup à dire mais nous nous limitons à ces lignes par souci de concision.Sous un titre interrogateur, mais dans un texte au contenu déclaratif et affirmatif, l’auteur a à coupsûr fait une mauvaise analyse et une suggestion subséquente mal fondée. Le développement ne se faitpas contre l’humain mais doit avoir pour centre l’Homme, le bien-être de la communauté. C’est doncplutôt une erreur pour un État de privilégier les entreprises et la croissance au détriment desconsommateurs. Une croissance ou un développement sans humanité est une illusion des chiffres.
YAPI MichelSpécialiste en Initiatives de développement, Stratégies managériales et Évaluation de performancessmyapi@gmail.c
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