La firme de Mountain View veut profiter de la convergence des usages entre TV et digital. Elle peut compter sur son savoir-faire technologique… mais se heurte à la défiance des grands groupes audiovisuels.

Après avoir fait main basse sur le marché du digital, Google s'attaque à celui de la télévision et compte rien que moins que réinventer la pause publicitaire TV en 2019. Une ambition que Google justifie par la convergence des usages entre TV et digital. Les téléspectateurs sont en effet de plus en plus nombreux à regarder des contenus Web, clips Youtube ou autres, sur leur écran de TV connectée et, à l'inverse, des programmes télévisuels en live ou en catch-up sur les sites Web de leurs diffuseurs.

Et le géant de la pub, qui s'est fendu d'une vaste étude sur le sujet, estime qu'il est le mieux placé pour accompagner les grands groupes TV dans ce virage. C'est tout sauf une surprise pour le patron France du SSP vidéo Spot X, Sébastien Robin. "Il est logique que Google s'intéresse à un marché aussi important." Bien que déclinant, avec une baisse de 2% des investissements en 2018 selon l'agence Magna, le marché TV américain reste très juteux. Près de 41 milliards de dollars lui ont été consacrés l'année dernière.

"Nous allons travailler avec nos partenaires TV pour imaginer des solutions qui réunissent le meilleur de la TV et du digital", explique Shane Peros, directeur général en charge des partenariats broadcast, media et entertainment chez Google. Le groupe multiplie aujourd'hui les pistes pour décloisonner autant que possible achats TV et vidéo online. Il planche notamment sur la mise en place d'un ordre d'insertion unique qui permettra aux annonceurs d'acheter de l'inventaire vidéo, qu'il soit diffusé en digital ou en TV, depuis sa plateforme d'achat DV 360. Il est également à l'origine d'une coalition placée sous la houlette de l'IAB Tech Lab pour la création de standards convergents entre TV linéaire, digital et over-the-top (OTT).

Ciblage pub en OTT

Sans surprise, c'est du côté du digital et de l'OTT que l'offre de Google est la plus avancée. Les éditeurs équipés de Google Ad Manager peuvent d'ores et déjà recourir à l'insertion dynamique de publicités, une fonctionnalité qui permet d'adapter les spots diffusés sur le live Web au profil des spectateurs (alors qu'en linéaire ces derniers voient tous le même spot). Le nombre d'impressions diffusées via cet outil a augmenté de 60% au premier semestre 2018, estime Google. Avec un pic lors de la coupe du Monde de football où elles ont carrément été multipliées par deux. La chaîne de TV digitale,Grupo America annonce avoir multiplié ses revenus pubs par 4 grâce à l'outil. Et qui dit meilleur ciblage, dit meilleurs taux de complétion des vidéos pubs. Ces derniers ont été multipliés par 8 chez Grupo America.

Les éditeurs peuvent également recourir à Smarter TV Ad breaks pour optimiser la monétisation de leur inventaire pub live sur le Web. L'outil leur permet de découper une pause publicitaire de façon à en tirer les meilleurs revenus possible. "Une pause de 90 secondes peut comprendre deux formats de 15 secondes et deux de 30 secondes, ou un de 15 secondes, un de 60 secondes et deux de 6 secondes type bumper ads", illustre Google. C'est, pour chaque coupure, la formule qui marche le mieux qui se met en place.

Après le digital, Google veut régner sur le marché pub TV

L'inventaire pub des environnements de TV connectée est aujourd'hui en plein boom, assure Google. Le nombre d'impressions diffusées depuis Google Ad Manager a augmenté de plus de 80% en 2018. Google ne détaille pas leur répartition, mais une grande partie d'entre elles sont imputables à Youtube, dont les contenus sont de plus en plus consommés via Chromecast ou Smart TV. "La plateforme vidéo y est plus populaire que les chaînes TV", assure un connaisseur du marché. Les utilisateurs de DV 360 peuvent d'ailleurs désormais cibler les gens qui consomment Youtube au sein de leur TV connectée. Les performances des spots diffusés sont excellentes à en croire une étude d'Ipsos Lab Experiments commandée par Google. Les taux de mémorisation et d'intention d'achat augmentent respectivement de 47 et 35% par rapport à l'environnement Web de Youtube. Et on imagine que les CPM sont à l'avenant…

Pour coller avec ces nouveaux usages, les responsables de Youtube s’attellent donc à muscler leur offre. La plateforme a notamment signé un accord avec la ligue américaine de baseball, la MLB, pour diffuser des événements live. "Youtube mise beaucoup sur l'événementiel sportif pour faire monter en gamme ses contenus", confirme Sébastien Robin. C'est sans doute un passage obligé pour Google s'il veut peser dans ce marché. Le groupe peine en effet à convaincre les grands networks américains de lui confier la monétisation de leur inventaire. Il faut dire qu'aux Etats-Unis, où la publicité ciblée en linéaire est une réalité depuis plusieurs années déjà, la plupart d'entre eux commercialisent eux-mêmes leurs spots.

"Pour accéder à cet inventaire premium, les acheteurs n'ont pas d'autre choix que de traiter en direct avec les régies concernées", explique Emmanuel Crego, DGA de l'agence média Values. Et lorsque des géants comme NBC, Viacom, Turner et Fox s'associent pour lancer une plateforme commune baptisée Open AP, c'est à Accenture qu'ils font appel… et non Google. "Les grands networks vont avoir du mal à considérer Google comme une alternative crédible. Surtout qu'il a longtemps eu comme stratégie d'aller voir les agences médias pour les inciter à basculer une partie de leur budget TV vers Youtube", justifie Emmanuel Crego. D'autant qu'ils ont tous en tête ce qui s'est passé sur le Web. "La plupart des chaînes de télévision ne veulent pas faire la même erreur que leurs homologues du digital qui sont aujourd'hui pieds et poings liés avec Google", abonde Sébastien Robin.

Google a toutefois l'avantage d'être présent des deux côtés de la barrière, via la vente et l'achat. Et la porte semble plus facile à ouvrir avec son DSP, DV 360. Aux Etats-Unis, certains networks américains sont déjà accessibles via DV 360, grâce à une intégration en beta avec WideOrbit qui permet aux marketeurs de paramétrer leurs campagnes par géographie, moment de diffusion, type de programme ou réseaux TV. "Il s'agit d'une marketplace de régies locales qui fonctionne selon le principe du booking. L'acheteur propose un CPM et l'outil envoie la proposition aux régies, qui l'acceptent ou non", nuance Emmanuel Crego. On est donc loin du programmatique haut de gamme.

La piste telco

Des réseaux broadcasts plus premiums devraient suivre grâce à un partenariat signé avec un autre acteur du marché nommé clypd. Mais Emmanuel Crego est plutôt sceptique. "Je doute que les grands networks acceptent de devenir les produits d'appel d'une offre brandée Google connaissant la tendance de ce dernier à favoriser ses propres environnements." On peut d'ailleurs faire un parallèle avec le marché français où Sygma, l'offre IPTV commune à TF1, M6 et France Télévisions, est exclusivement accessible via le DSP d'Adobe. Mais toujours pas Google.

Reste une dernière porte d'entrée pour la firme de Mountain View : les opérateurs telco. "L'OTT est l'un des rares environnements où Google n'a pas une vision exhaustive, comme c'est le cas sur le Web", rappelle Emmanuel Crego. Il aurait donc tout intérêt à se rapprocher des opérateurs télécoms. En France, ces derniers connectent près de 50% des foyers à Internet. Certaines boxes de Free et Bouygues sont d'ailleurs propulsées par Android. Google discute d'ailleurs avec certains opérateurs télécoms français d'un rapprochement commercial. Mais les projets les plus concrets ont lieu au Mexique, où un premier partenariat avec l'opérateur télécom, Total Play, a été annoncé. Il permettra aux annonceurs de diffuser des publicités adressées via Dynamic Ads en télévision linéaire.

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